dimanche 26 juin 2016

HERITAGE DE LA PSYCHANALYSE ET SPIRITUALITE.


A - Pourquoi la psychologie peut servir la spiritualité ?

Certainement il nous faut rejoindre Prajnanpad quand il indique que pour dépasser  l'ego (ou perdre sa tête à 0 distance) il faut déjà un ego (ou une tête RELATIVEMENT bien faite). Douglas Harding qui compte beaucoup pour moi avait d'ailleurs reconnu quelque chose en ce sens-là. 

Par définition l'ego égocentrique sera toujours malsain mais un ego souffrant psychiquement est trop focalisé sur sa souffrance pour que se réalise son illusion. Et si la vraie nature de la conscience a été aperçue, les mécanismes de souffrance sont tellement enkystés parfois qu'il semble impossible d'y revenir ou d'avoir confiance en cette clarté intérieure en apparence si insignifiante pour se libérer de tant de souffrances.

Il est devenu évident que Freud a triché sur les succès de la psychanalyse et qu'il a souvent ainsi fait preuve de bien peu de science. L'INSERM dès 2004 avait démontré que les résultats thérapeutiques de la pure psychanalyse étaient peu convaincants face à des problématiques comme les phobies, les TOC, etc. même s'ils n'étaient pas nuls. Ken Wilber dans une perspective intégraliste qui cherchait à donner à chaque thérapie la place qui lui revient estime que les thérapies psychanalytiques sont bienvenues pour affronter les blocages liées à l'auto-interprétatio existentielle de soi-même.
Toutefois en resituant Freud dans l'histoire plus vaste de la psychiatrie et de la psychologie, il serait un peu dommageable de se priver de techniques de la même famille que l'INSERM n'a pas à cette occasion évaluée telles que la psychogénéalogie ou l'hypnothérapie par exemple. 
Rappelons que la critique impitoyable de Michel Onfray qui reprend les critiques historiques les plus convaincantes ne balaie pas d'un revers de main toute la psychologie héritière de la psychanalyse. Onfray a par exemple beaucoup d'admiration pour Reich et surtout pour Erich Fromm qui l'un des premiers a d'ailleurs relié psychologie et spiritualité zen (en rejetant toute attache religieuse).

Nous pouvons donner quelques exemples de concepts dont le destin est incompréhensibles sans leur parcours psychanalytique et qui aujourd'hui valent encore tant du point de vue psychologique que spirituel.
Car au fond, ce sont souvent des concepts éclairant des réalités psychiques qui ont précédé la psychanalyse et qui lui survivront.

1 - Le refoulé.

L'hypnose qui est aujourd'hui validée par les neurosciences prouve que certains éléments du psychisme peuvent être refoulés. Freud, Breuer ou Janet évoquaient des états hypnoïdes pour expliquer en premier lieu le refoulement. 

L'abandon de l'hypnose par Freud comme méthode thérapeutique est discutable d'autant qu'il empêche les psychanalystes de saisir en quoi leurs théories ont des effets hypnoïdes qui les confirment. Les états hypnoïdes dont provient la psychanalyse sont aujourd'hui sérieusement réinterrogés. Les imageries IRM montre que des états hypnoïdes ont un rapport à nos souvenirs sans passer par des récits.

Ce sont bien des réminiscences et des prises de conscience qui mettent fin aux refoulement et aux résistances inutiles car source de souffrances par inauthenticité de soi-même. 

La clé spirituelle ultime du refoulement et des résistances de l'ego, ne serait-ce pas que l'ego refoule pour demeurer égocentrique l'évidence de sa vraie nature ? Et si l'ego est une excroissance d'une individualisation de l'être qui doit se retrouver, refoulement et résistances de l'ego ne sont-ils pas des moments nécessaires à un déploiement psychique d'une âme fille consciente de l'UN ?  

L'éveil spirituel n'est pas loin quand on travaille sa réalité psychique avec ces outils. Les disciples de Prajnanpad qui se réclamaient de Freud, certains amis et disciples directs de Freud (Romain Rolland, Lou Andreas-Salomé, certains disciples de Jung (Karlfried Graf Dürkheim, Cazenave, les psychologues transpersonnels, etc.), certains disciples et proches de Lacan (Dolto, Didier Dumas, Serge Tribolet, etc.) ont à travers eux rencontré la spiritualité voire ont cheminé spirituellement.

2 - Le problème de l'énergie du désir et des rivalités (familiales) comme problèmes fondamentaux de l'ego.

Freud comme Nietzsche et Schopenhauer dont il est redevable quoi qu'il en dise montrent que le désir et sa vitalité étant premiers (sinon un plan de l'existence indéniable), nos marges de manœuvre personnelles sont limitées puisque notre énergie reste dépendante de celle de la vitalité de notre désir. 

L'ego croît en imitant, or l'imitation entraîne le désir des mêmes objets que l'autre d'où rivalités possibles. Cette rivalité et ces oppositions mêlées d'admiration sont propices au refoulé et à la recherche de compensations. Car le parent faisant face à la rivalité de l'enfant le terrorise volontiers et celui-ci refoule son affirmation de soi en opposition à l'adulte dans l'inconscient derrière la culpabilité, le remords, etc. qui sont en fait des émotions fondées sur la peur d'une violence parentale.
Henri Wallon lecteur attentif de Freud et observateur remarquable a ainsi repéré le stade du miroir (repris par Lacan et Dolto) qui met en jeu l'intériorisation du point de vue de l'autre, le stade de l'opposition enfantine essentiel à la personnification, etc.

Les Thérapies Comportementales Cognitives ne sont pas étrangères sur ce point à la psychanalyse. Parler de schémas de pensée inconscients (Jean Cottraux) qu'il s'agit de contrer pour aller mieux reste proche de la notion de complexe en psychanalyse. Certes le schéma opère inconsciemment sans qu'on puisse parler à proprement parler de refoulement mais toute formation mécanique de désirs excluant d'autres options plus ouvertes s'assimile à un refoulement inconscient de virtualités autrement désirables.

L'égocentrisme naissant de la conscience de l'enfant génère de la violence combattue par la violence parentale. Il y a dès lors une violence qu'on juge morale sans voir qu'elle ne peut que ralentir l'émergence de l'amour même au sein d'une conscience éveillée où l'ego est détrôné. Il faut se reconnaître victime de la violence pour ne plus en être l'artisan. Ce sont des psychanalystes plus ou moins hétérodoxes qui ont perçu les dégâts de ces refoulements. Freud d'ailleurs avec le complexe d’œdipe met la violence sur le dos des enfants sans voir que Laïos et Jocaste les parents d’œdipe sont les vrais criminels dans l'affaire. Alice Miller une psychanalyste hétérodoxe a vu ceci.

Ce serait plutôt à des éducateurs "éveillés" de ne pas donner suite aux rivalités enfantines par des violences inconsidérées. Il serait sage d'apprendre à déplacer les objets de désir plutôt que d'écraser nos désirs sous la peur et la culpabilité : apprendre ceci aux enfants est capital. Ce sont des psychanalystes comme Dolto ou encore Prajnanpad férus de psychanalyse qui pointent une telle sagesse.

3 - La part d'ombre (Jung en dialogue avec Freud)

L'ego détrôné du centre demeure bien souvent une ombre qui empêche la lumière intérieure de briller pleinement. Les porteurs de la lumière intérieure sont souvent lucifériens (lux=lumière ; ferre = ferre) parce qu'ils refoulent en fait leur violence hors champ. Leur liberté intérieure en vient à justifier tous les désirs de leur corps-esprit comme indifférents. De fait la lumière comme liberté intérieure n'est pas encore la lumière comme réalisation d'un amour pur. En sont-ils biens conscients, ces éveillés justifiant leur ignorance de l'amour pur ? Il y a là bien des résistances.

Pour moi, il y a ce refoulement particulièrement caractéristique d'une spiritualité qui se contente d'une illumination mentale et émotionnelle mais qui laisse en plan des niveaux plus obscurs mettant en jeu l'énergie sexuelle, les pulsions de reconnaissance et d'appropriation. Plus la lumière s'affine, plus il y a de diableries qui deviennent apparentes... Karfried Graf Dürkheim devait à Jung le chemin d'intégration de la part d'ombre souvent reprise depuis en un sens édulcorée.

Plus on est au fait et au diapason de la lumière intérieure plus ce qui est de l'ordre de notre personne humaine apparaît un abysse d'inconscience.

B - Un sens spirituel d'une exploration de l'inconscient.

On connaît souvent la critique de Sri Aurobindo sur la psychanalyse :


Votre pratique de la psychanalyse était une erreur; pour le moment du moins, cela a rendu le travail de purification moins facile, plus compliqué. La psychanalyse de Freud est la dernière chose que l'on devrait associer au yoga. Elle se saisit d'une certaine partie de la nature, la plus sombre, la plus périlleuse, la plus malsaine, telles les couches subconscientes du vital inférieur, isole quelques-uns de ses phénomènes les plus morbides et leur attribue une action hors de toute proportion avec leur vrai rôle dans la nature. La psychologie moderne est une science dans l'enfance, à la fois imprudente, maladroite et grossière. Comme toutes les sciences primitives, c'est un débordement du mental humain et de son habitude universelle de s'emparer d'une vérité partielle ou locale et de la généraliser indûment en voulant expliquer toute l'étendue de la Nature par ses termes étroits. En outre, l'exagération de l'importance des complexes sexuels réprimés est une dangereuse fausseté qui peut avoir une influence néfaste et contribuer à rendre le mental et le vital, non pas moins mais plus foncièrement impurs qu'auparavant.

Cependant un lecteur attentif notera le "pour le moment du moins". Qu'est-ce à dire ?


La suite de cette lettre offre un point de vue plus nuancé et on appréciera ce petit passage de Sri Aurobindo si proche de la démarche proposée par Prajnanpad à ses disciples :

Le système de vouloir se débarrasser des choses par anubhava est également dangereux; car sur cette voie, on peut facilement s'enliser davantage au lieu d'arriver à la liberté. Cette méthode repose sur deux mobiles psychologiques bien connus. L'un, le mobile d'épuisement volontaire, n'est valable que dans quelques cas, spécialement quand certaines tendances naturelles ont une emprise ou une poussée trop fortes pour que l'on puisse s'en débarrasser par vicāra ou par le procédé du rejet en mettant le vrai mouvement à la place. Quand la poussée est excessive, le sâdhak est parfois même obligé de retourner à l'action ordinaire de la vie ordinaire et d'en avoir la vraie expérience avec une mentalité et une volonté nouvelles derrière; puis il revient à la vie spirituelle une fois que l'obstacle est éliminé, ou en tout cas sur le point de l'être. Mais cette méthode de laisser-aller intentionnel est toujours dangereuse, bien que parfois inévitable. Elle ne réussit que quand l'être possède une très forte volonté de réalisation; car alors, l'assouvissement des désirs amène un grand mécontentement, une forte réaction, le vairāgya, et la volonté de perfectionnement peut alors passer dans la partie récalcitrante de la nature.
Puis Sri Aurobindo poursuit dans une direction que les psychothérapies commencent à peine à découvrir aujourd'hui :
L'autre mobile de l'anubhava s'applique d'une façon plus générale; en effet, pour rejeter quoi que ce soit de l'être, il faut d'abord devenir conscient de la chose à rejeter, avoir une claire expérience intérieure de son action et découvrir sa place réelle dans le fonctionnement de la nature. Alors on peut agir sur elle pour l'éliminer si c'est un mouvement entièrement mauvais, ou la transformer si c'est seulement la dégradation d'un mouvement supérieur et vrai. C'est cela, ou quelque chose d'approchant, que l'on a essayé grossièrement et abusivement avec une connaissance rudimentaire et insuffisante, dans le système de la psychanalyse. Soulever les mouvements inférieurs jusque dans la pleine lumière de la conscience afin de les connaître et de les manipuler est un procédé inévitable; car un changement complet ne peut pas se faire sans cela. Mais ce procédé ne peut vraiment réussir que si une lumière et une force supérieures interviennent suffisamment pour surmonter, plus ou moins vite, la force de la tendance offerte à la transformation. Bien des gens, sous prétexte d'anubhava, non seulement soulèvent le mouvement adverse, mais le soutiennent de leur consentement au lieu de le rejeter, trouvent des justifications pour le prolonger ou le répéter et ainsi jouent avec lui, se plaisent à son retour et l'éternisent; ensuite, quand ils veulent s'en débarrasser, il a une telle emprise sur eux qu'ils se découvrent impuissants entre ses griffes et ne peuvent être libérés que par un terrible conflit ou une intervention de la Grâce divine. Certains le font par déformation ou perversité vitales, d'autres par simple ignorance; mais dans le yoga, de même que dans la vie, la Nature n'accepte pas l'ignorance comme une excuse justificative. Ce danger est là chaque fois que l'on manipule maladroitement les parties ignorantes de la nature; mais aucune partie n'est plus ignorante, plus périlleuse, plus déraisonnable, plus obstinée dans ses répétitions nue le subconscient vital inférieur et ses mouvements. Le soulever prématurément ou sans la connaissance du procédé, pour en faire l'anubhava, c'est risquer d'inonder aussi de ce flot sombre et sale les parties conscientes de notre être, et ainsi d'empoisonner toute la nature vitale et même toute la nature mentale. Par conséquent, on doit toujours commencer par une expérience positive, et non par une expérience négative, et faire descendre d'abord quelque premier reflet de la nature divine, de la tranquillité, de la lumière, de l'équanimité, de la pureté et de la solidité divines dans les parties de l'être conscient qui doivent être changées; c'est seulement quand ceci a été fait suffisamment et qu'il y a une base positive solide, que l'on peut avec sécurité soulever les éléments adverses cachés dans le subconscient afin de les détruire ou de les éliminer par la puissance de la tranquillité, de la lumière, de la force et de la connaissance divines. Même ainsi, il y aura toujours assez d'éléments inférieurs qui se lèveront d'eux-mêmes pour vous procurer autant d'anubhava qu'il vous en faut afin de vous débarrasser des obstacles; mais dans ce cas, on peut les manipuler avec beaucoup moins de danger et sous une direction interne supérieure.

lundi 29 février 2016

POURQUOI PARTAGER NOTRE VERITABLE NATURE AVEC LA VISION SANS TETE DE DOUGLAS HARDING ?





Il n’y peu de risque à partager une technique d’expérimentation de vision sans tête sinon à en redécouvrir la vérité lumineuse. 
Beaucoup de propositions spirituelles exigent un guru réalisé, un enseignant obligé d’affirmer la véracité de ce qu’il transmet quitte à être insincère avec ses manques flagrants de liberté parce que son enseignement exige un enseignant impeccable. Ici avec la voie de la vision sans tête seul importe le contenu de l’enseignement. Le seul prérequis de celui qui transmet le protocole est de s’y soumettre lui-même et voir ce qu’il y a à voir n’exige nullement de prétendre à une perfection humaine qu’on n’a pas.   
Avec les expérimentations de la vision sans tête, je mets directement à disposition de l’autre le moyen de voir la lumière intérieure et même si dans ma forme extérieure, je ne la rayonne pas, même si mon ego a des ombres qui l’empêchent d’être pleinement authentique et donc même si il y a en moi des manques de sincérité par rapport à cette lumière intérieure, l’autre peut, lui, la laisser se réaliser voire même plus intensément que je ne le pourrais jamais. 
Après tout mon récipient sera toujours impur et étroit puisque je ne suis qu’un homme mais la place qui reste dans ce récipient est remplie de cette lumière et c’est là toute ma joie de pouvoir le redécouvrir à l’instant. Inutile de ne boire à longueur de temps que mes impuretés dans l’amertume ; ce breuvage de lumière a des vertus purifiantes dont je ne connais même pas tous les chemins quand il plonge dans mon inconscient le plus matériel. 

Mon ami, on peut ainsi partager ce breuvage de lumière sans l’ombre d’un doute quant à son obscurcissement par nos défauts et même si nous manquons encore de bienveillance et surtout encore de sincérité envers nous-mêmes. Les expérimentations proposées n’ont rien de personnelles. L’expérimentation qui peut s’accomplir en toi si elle a à s’accomplir le fera d’elle-même…  

Moi-même je me souviens que la première expérimentation à s’accomplir a eu lieu devant cette page-ci (p.150-151, La troisième voie) de Douglas Harding :
 
En cliquant sur l'image on aura une meilleure idée du dessin voire du texte.
Soudain lisant ce livre là-bas, me mettant à l’écoute de ce qui était dit là-bas sur ce livre, je suis devenu meilleur lecteur de moi-même, réalisant la plénitude de ce qui me manquait à zéro distance… 

Encore le même dessin.


Le doigt sur le dessin ne pointait pas seulement quelque chose d’imaginé mentalement au-dessus du bonhomme dessiné mais il pointe encore à l’instant au-dessus de mes épaules la véritable nature de lecteur, seul et unique que je suis (comme chacun d'ailleurs peut le constater pour lui aussi).

L’enseignant spirituel, auteur du livre avait su s’effacer au point où ce qui était dit était mon propre raisonnement me parlant de moi-même, de cette parfaite lumière ouverte que (par notre nature commune) je suis avant tout.

Cet enseignant est l’un des rares dans la spiritualité à proposer une expérimentation proprement scientifique. Comme un scientifique dont le nom est parfois associé à une formule, son individualité et donc sa qualité humaine n’avait rien à voir avec sa formule.

Et dans cette lumière pointée d’une façon qui n’exige pas la mortification des défauts ou la disparation de toute trace d’ego et d’émotion, je peux commencer enfin à être sincère : l’amour et la bienveillance ne sont pas le fait de ma petite personne.

mercredi 24 février 2016

LE BONHEUR EST-IL INDECENT FACE A L'HORREUR DU MONDE ? PAIX, JOIE ET BEATITUDE DANS L'AMOUR CREATEUR.


"Je Suis" est la paix. Le soleil brille dans le ciel bleu ou derrière les nuages. 

Le non dualiste radical parlera en tant que ce "je suis". Il affirmera sa paix radicale et irréversible : pour lui tant que la paix n'est pas réalisée, le "Je suis", le Soi véritable n'est pas réalisé. 


Positionnons-nous comme un ego qui apprend à laisser la place au centre au "Je suis". Cet ego n'est pas encore tout à fait en paix mais il sait bientôt que son manque de paix est toujours relié au fait de ne pas se laisser illuminer par la paix qui demeure éternellement au centre de l'esprit. Il sait que la lumière intérieure est une paix éternelle présente en tout et au-delà au-delà de tout.

La paix au centre n'empêche ni la bonne humeur ni la tristesse. Mais elle évite la noyade de l'ego : je ne suis pas noyé dans la tristesse, il y a tristesse et il y a paix ; je ne suis pas noyé dans ma bonne humeur, il y a bonne humeur et il y a paix.

Et si cet ego qui sait retrouver en soi la paix essentielle se met à véritablement l'aimer et à la partager explicitement ou implicitement alors émerge peu à peu une "certaine" joie sans objet, une énergie intérieure qui fait vibrer la vitalité au-delà de la vitalité proprement physique. La paix peut apparaître comme un choix mais la joie sans objet est une grâce. La joie en question est un feu intérieur avec des allumages plus ou moins foudroyants qui suit des chenaux dans le corps se prolongeant ciel et terre.


On remarquera que ce schéma n'indique pas que l'amour inconditionnel nie pitié, peur et séparation : il les accueille.

Dans l'accueil inconditionnel de ce qui est manifesté et de ce qui se manifeste est en jeu un amour sans préférence et sans condition de Cela qui donne à être : non plus ma petite volonté personnelle mais la volonté de "Je Suis". Mon amour pour Cela prend le risque de la soumission à une providence : chaque situation est l'occasion d'agir pour Lui et par Lui. L'amour ainsi purifié est une intelligence intuitive en croissance. Une intelligence du cœur dit la tradition occidentale. Mais "dire Oui à ce qui est ici et maintenant" n'est-ce se faire le complice du pire ?


Premièrement, un pompier qui s'affolerait face à un cadavre ou à du sang ne peut pas porter secours, il doit au moins demeurer flegmatique malgré ses émotions. La paix intérieure donne au flegme une puissance de plus en plus forte. Sans flegme pas d'amour intelligent !

Deuxièmement, l'amour pur s'expérimente vraiment dans la paix du cœur car la paix est un fondement nécessaire à l'accueil de l'autre. Accueillir le pire consiste aussi et d'abord à accueillir la détresse humaine qui en ressort. Ma forteresse et mon refuge intérieur n'ont peut-être pas ébranlé mon sentiment de paix mais celui-ci ne me rend pas étranger à la détresse humaine. Émerge alors une nouvelle dimension caractéristique de la révélation croissante de l'amour pur : il y a la tristesse ou l'angoisse de l'autre qui soudain paraît nue sans filtre. Ce n'est plus moi qui imagine mais la tristesse ou l'angoisse de l'autre est ressentie. C'est un préalable pour que l'amour pur dans la paix rende l'ego plus intelligent, plus intuitif dans ses actes pour porter secours à l'autre.

Ainsi il y a une paix et une joie (car l'énergie intérieure est joie) de l'amour transpersonnel qui n'empêchent nullement de partager la tristesse, les rires mais aussi l'angoisse de mort, le deuil sans que cette paix éternelle et cette joie de l'amour pur en devenir ne vacillent pour faire de l'ego un instrument accordé qui sonne juste. 

Par exemple, il y a des deuils qui cachent de l'égocentrisme malheureux : il y a des gens endeuillés par la mort d'un enfant qui négligent leurs proches encore vivants ; il y a des gens endeuillés qui prétendent que nul ne peut être à leur place négligeant souvent le fait que celui qui leur parle a connu plus de deuils qu'eux... Même quelqu'un atteint d'un handicap, d'une maladie mortelle et cause de douleurs ou encore blessé psychiquement à une profondeur qui fragilise tout abandon à la lumière intérieure n'est pas tout à fait exempt de la question d'être égocentrique ou non dans sa douleur et sa souffrance. 

Il y a une négativité tournée vers soi qui nous laisse au centre et nous empêche de voir notre vulnérabilité blessée et de l'accueillir dans la paix intérieure. Il y a une négativité tournée vers l'autre, tel(s) autre(s) et tous les autres qui nous empêchent d'accueillir la tristesse précise liée à une trahison qui nous hante et repousse le deuil à faire. La négativité qui peut d'ailleurs œuvrer alternativement ou conjointement contre soi et l'autre est toujours un art de dramatiser une émotion dramatique insupportable. Souvent c'est la douceur ferme d'un autre qui sera le porte voix de la lumière intérieure pour ne pas demeurer dans l'agitation de la négativité.

L'ego refuse souvent sans même le voir de laisser faire le deuil ou/et il se complait secrètement dans sa souffrance car l'ego égocentrique vit de l'amour du drame. L'ego pour servir son âme doit tout mettre de son drame au pied de la lumière intérieure et cette paix qui en émane consumera le drame. 
L'ego se saura enfin aimé, son égocentrisme mourra d'amour. 
L'ego amoureux de son drame se veut au centre et dénie à tout autre de pouvoir le comprendre. L'ego s’illusionnant incompris refuse de s'abandonner à la lumière intérieure qui seule guérit les blessures de l'âme. Même un ego qui connaît le geste pour se voir dans la lumière intérieure peut entretenir une ombre subtile qui l'amène à demeurer ancré dans le drame. L'ego n'est plus diabolique (séparé) mais luciférien (porteur de lumière et donc de demie-vérité). Se réaliser dans la lumière intérieure demande un je-ne-sais-quoi pour ne pas glisser dans le luciférien. Nous avons souvent besoin d'amis spirituels capables de psychologie et nous devons apprendre à écouter la voix de Cela à travers eux avant de l'entendre de plus en plus en toute chose.

Face à des expériences lucifériennes de ce type emprisonnant l'autre ou m'emprisonnant moi-même, je me suis aperçu qu'il y a des pessimismes qui sont de la désespérance vis à vis d'une perfection qui demande à s'incarner à travers nous dans et par la paix intérieure et la joie de l'amour. Le cynisme contemporain vient souvent de là : nous n'avons qu'à nous soumettre à ce monde et à en tirer le meilleur profit puisque toutes les utopies ont fini en dystopies. Un autre archétype de cette désespérance dont la présence est sensible dans les milieux spirituels me paraît être la pensée de Schopenhauer. Sa compassion et sa paix échouent sur sa désespérance et l'amène à manquer d'un sens élémentaire de la justice.



Arbre de Gabriel Durand 2016

Comment alors s'allient la soif et la faim de la justice avec la paix intérieure ? 


Car c'est bien là que le "Oui de la non dualité à ce qui est ici et maintenant" se faisant complice du pire paraît peu acceptable. Le philosophe historien de sa discipline aura en tête une réinterprétation agnostique et "païenne" du laisser-être du chrétien Maître Eckhart par Martin Heidegger qui n'a jamais su mettre en cause vraiment sa participation au régime nazi et donc à ses crimes. Le spiritualiste pensera aussi à Karlfried Graf Dürkheim ou à Mircea Eliade qui ont eu aussi des compromissions avec des politiques criminelles. Du point de vue d'une soif de justice, il ré-envisagera d'un autre œil ces gurus indiens qui n'interrogèrent jamais le système des castes hindou. Aujourd'hui chez les spiritualistes intéressés aux sagesses de l'orient, on voit souvent des plaidoyers remarquables pour les animaux accompagnés de promotion du végétarisme et du véganisme mais moins souvent des actions et des prises de position pour limiter la marchandisation des choses, de l'espace et du temps. Car pour eux, fidèles à tous les corps ecclésiastiques (au sens de religieux professionnel) du passé et du présent, le temps de l'enseignement spirituel est encore un moyen de gagner sa vie, d'arrondir ses fins de mois voire de réussir financièrement.

On peut constater son imperfection et rester en la paix de "Je suis". La contrition, c'est-à-dire le remords inquiet n'est pas nécessaire. L'attrition suffit. J'ai raté quelque chose de l'essentiel mais je suis là pour apprendre et même si je rechute, je me tenir devant lui en paix dans la connaissance de plus en plus saillante de mes imperfections.

Une image pour mieux approcher le rapport entre paix, joie, amour et justice serait que le tableau est toujours parfait dans sa globalité même si l'horreur d'un détail s'avère indéniable. Par exemple le tyrannosaure est un moment de la perfection du tableau mais dans le détail, c'est un carnivore qui peut manger ses propres petits et qui n'a aucune idée de ce qui se trame dans le ciel qu'il ne contemple jamais... C'est de notre niveau de perfection actuelle que nous pouvons voir ceci (les détenus de nos prisons n'y voient eux qu'une analogie avec la loi de la jungle qu'ils connaissent, d'où le succès des documentaires animaliers auprès d'eux(le rouge dans la spirale dynamique)). La beauté de l'univers ne peut jamais disparaître malgré l'horreur de certains de ses détails. Mais l'horreur face à un détail de l'histoire peut éveiller un nouvel élan vers un niveau de perfection plus intense, plus profond, plus à l'image de l'infinie perfection intérieure qui se révèle alors.

La faim et la soif de la justice ont beaucoup à voir avec l'amour de la beauté. Le spectateur artiste sent que telle œuvre est plus forte que telle autre dans cette équation d'harmonie immanente, de lien à la transcendance et d'individualisation stylistique. L'assoiffé et l'affamé de justice sait que la justice met en jeu le lien à la transcendance du Soi (non Soi), une harmonie sociale et les conditions sociales permettant à chacun de développer son individualité.

Il faut dire oui au dinosaure pour que se manifeste dans l'image même le nouveau niveau de perfection nécessaire. Aujourd'hui il faut faire face paisiblement aux réalités mettant en jeu l'imperfection humaine pour commencer à apercevoir simultanément ce qui en soi-même lui donne corps. Car au fond le "charmant" diplodocus herbivore fait partie de l'écosystème qui comprend le tyrannosaure. Voir en paix le réel n'est pas l'aimer. Le comprendre et l'expliquer n'est pas pas souscrire à sa prolongation telle quelle. Mais il s'agit de plonger dans la conscience la plus parfaite possible du réel. D'ailleurs je ne suis jamais individuellement détaché du réel : je participe forcément d'une manière ou d'une autre à l'impasse du réel humain.  Voir authentiquement l'imperfection du monde et donc sa laideur revient à voir la mienne mais aussi déjà aspirer à une nouvelle forme de beauté.


Aimer purement et radicalement est participer de plus en plus consciemment à plonger le sur-réel dans le réel (de notre individualité y compris). Tout moment de perfectionnement devient à sont tour usagé, insatisfaisant et rétif à son évolution. Tout moment de perfectionnement porte inéluctablement en lui ce qui deviendra l'impasse de demain. L'amour pur et radical est donc embellissement perpétuel, il ne peut être étranger au ravissement de la beauté et donc à la béatitude.
 
La Joie selon Amita et Niranjan Guha Roy

Heureux ceux qui ont faim et soif de justice car ils seront rassasiés !

samedi 13 février 2016

PENSEE INTEGRALE ET SPIRITUALITE INTEGRALE.



Former le mental est nécessaire : il ne doit ni se cantonner à être prémoderne, moderne ou postmoderne... Le mental postmoderne aime beaucoup vouloir se reconnaître dans les mouvements minoritaires même si la minorité ne garantit nullement l'authenticité... Mais il a raison quand il aboutit au scepticisme authentique qui voit dans toute expression mentale même une synthèse ouverte type pensée intégrale d'un Ken Wilber le risque d'une forteresse mentale de plus. Par crainte du relativisme postmoderne, on risque de vouloir nier l'utilité d'une mentalité postmoderne pour parachever la décrispation identitaire du moderne. Il y a un pseudo-universalisme moderne qui empêche tout métissage culturel. Or sans ce métissage culturel rien ne permet un réel dépassement de l'identitaire prémoderne tout en ouvrant à de nouvelles composantes universalistes d'émerger. Sans ce postmodernisme, il n'y a pas d'ouverture au spirituel. Le relativisme au sens fort n'est pas forcément l'affirmation que tout se vaut mais que tout est relatif à une instance autre qu'une révélation religieuse (prémodernité), qu'une vision philosophique rationnelle (modernité). L'essence positive du postmodernisme est à comprendre au sens où "tout doit être relatif à un véritable dialogue interculturel" dont on ne peut présupposer que les conditions pour qu'il soit effectif. Le dialogue et la convivialité postmoderne ne sont guère incarnés institutionnellement. Certains gauchistes s'y sont essayés mais pour devenir vraiment moteur, ce mouvement ne doit pas permettre un prosélytisme religieux ou culturel mais une véritable éthique de la discussion où la conviction d'être ensemble et l'échange des arguments restent premiers. 


D'où du point de vue post-postmoderne, la conception d'un espace laïque en partie neutre vis-à-vis des options métaphysiques et religieuses mais aussi la promotion encore à faire d'un espace laïque porteur d'un idéal "spirituel" non neutre d'universalisation et de dépassement des particularismes  dans la constitution d'une fraternité républicaine. 

Quant à l'hypermoderne qui entend dépasser le postmodernisme dans une pensée systémique, il bute encore souvent sur la non intégration des limites inhérentes au mental.


La pensée systémique ouverte est entrée récemment dans l'histoire. Spinoza et Hegel sont certainement les deux premiers penseurs à envisager l'univers et le monde humain dans une puissante saisie mentale interdisciplinaire ainsi que dans une certaine lumière intérieure.
Mais ce sont aussi peut-être parmi les derniers penseurs à posséder la connaissance intégrale des connaissances de leur époque. On a pu dénoncer justement leur système de pensée comme totalité close.
On peut avoir une forte connaissance interdisciplinaire mais on est donc devenu incapable de tout embrasser. On sait que le mental risque des égarements totalitaires à vouloir concevoir la totalité. Marx est l'auteur de l'une des pensées intégrales les plus conséquentes mais aussi l'inspirateur direct des pires totalitarismes du 20ème siècle. Des pans de sa pensée sont pertinents mais son idée d'une dictature du prolétariat pour accélérer l'histoire est en soi contraire à la souveraineté d'un peuple où chaque citoyen peut s'exprimer librement.

Aujourd'hui cette connaissance mentale encyclopédique est donc non seulement devenue impossible mais en outre risque d'ignorer l'ouverture du mental à des lumières supérieures. Toute pensée intégrale ne peut donc que se déployer dans l'ouverture à son impensé et à une dimension non mentale.

Dans ce monde de fractionnement des connaissances, nous avons des experts. Ce qui n'est pas loin de croiser l'esprit d'un pouvoir accordé à ceux qui savent comme dans le cas de la dictature du prolétariat. Mais l'expertise des experts s'avère toujours limitée et ignore les objections de bon sens d'un simple citoyen ou d'un bon connaisseur de leurs connaissances limitrophes. Il faut que le non savoir mental ou les risques inhérent à une décision reposant sur un savoir parcellaire puisse être intégrés dans une sage décision politique.

Il semble donc urgent d'atteindre une intelligence collective capable de créer des interconnexions entre les savoirs mais aussi capable d'intégrer davantage le sens des objections et des propositions démocratiques. Il y a ici un enjeu évolutif de l'humanité. Cette intelligence collective irait au-delà de la simple intelligence systémique.

Des méthodes nouvelles de communication renforcent l'intelligence collective et elles impliquent une démocratisation plus forte des décisions. Cette évolution culturelle est devenue une nécessité pour éviter les désordres moraux, psychologiques, sociaux, écologiques, etc.

Toutefois cet effort vers une intelligence collective face à cette crise évolutive dont les désordres cités sont les symptômes met en jeu deux directions. 

Première direction : la justesse de l'expression qui permet l'individualisation de la créativité de chacun et la prise en compte de l'autre point de vue. Toute vision systémique doit donc rester ouverte au point de vue de l'autre et à d'autres visions systémiques alternatives. Cette première direction met en jeu une évolution des mentalités et la reconnaissance d'une spirale dynamique des mentalités intégrée consciemment au cœur de nos systèmes éducatifs et décisionnels. Reconnaître l'inégal développement mental n'implique pas de nier l'égale dignité des personnes et surtout n'implique pas de nier les objections tenues par des personnes d'apparent moindre développement mental à commencer par nos enfants.

Deuxième direction : il y a la justesse de l'ouverture intérieur où soi et l'autre sommes l'expression d'un seul et unique champ de conscience. A partir de cette réalisation, les limites de la conscience mentale même expansée dans une intelligence collective sont vues mais paradoxalement, dans cet unique champ de conscience, même si le fractionnement mental est reconnu indépassable, une communion des personnes ne paraît plus une utopie.
Toute expression mentale est plus ou moins informée, cultivée ou authentique mais cela reste ultimement une pure fiction car ce n'est pas une perception directe du réel et sa matérialisation est plus ou moins problématique. Une matérialisation d'une idée mentale comme une technologie fait appel à des médiations de plus en plus complexes à la hauteur même de ses performances.  Ainsi plus une technologie est ambitieuse plus elle fait appel à des processus qui s'occultent aux yeux de ceux qui l'utilisent et dès lors usure, panne, accident et même catastrophe ne sont plus improbables.

La fiction peut pointer une perception mais seul ce qui perçoit en dehors du mental sait dès lors proprement distinguer la fiction de la perception. L'unique champ de conscience se ressent directement dans la lumière de soi-même au cœur d'un individu où s'est dépassée la seule vie de conscience mentale.

La lumière intérieure est ici quand j'en parle une fiction, m'intéresse sa perception de plus en plus fine non pas seulement dans la précision de son expression mentale mais sa transparence à elle-même. Quand je lis certains auteurs, je me lis parfois dans l'expression de ma perception mais plus grande encore sera la joie quand cette expression permet de mieux percevoir ce qu'est la perception de la lumière intérieure elle-même.  Comme si les ténèbres lumineuses se dévoilaient à l'intérieur d'elles-mêmes dans une transparence plus grande.

J'en viens donc à une expérience spirituelle intégrale en ce qu'elle vise à affiner cette lumière intérieure à partir d'elle-même. Autrement dit, tout ce qui est spirituellement expérimentable m'intéresse et me semble susceptible de s'intégrer dans une évolution intérieure. Ceci dit plus l'évolution intérieure a lieu, plus cela s'impose providentiellement. Cette densité du providentiel ne fait que croître si l'on se consacre à cette aventure... Ce n'est plus seulement l'aventure d'un individu dans la lumière intérieure mais c'est aussi et d'abord l'aventure de cette lumière s'individualisant dans sa manifestation évolutive de l'univers et du vivant.

mercredi 6 janvier 2016

LUMIERE INTERIEURE CHEZ PLOTIN ET PLATON SELON PIERRE HADOT.

 

Pierre Hadot effectue le rapprochement entre Plotin et Platon sur ce thème du regard intérieur et extérieur dans son livre Plotin ou la simplicité du regard. Il écrit p.104-106 :


Pour Plotin, comme pour Platon, la vision consiste dans un contact de la lumière intérieure de l’œil avec la lumière extérieure. Mais Plotin en conclut que lorsque la vision devient spirituelle, il n’y a plus de distinction entre la lumière intérieure et la lumière extérieure. La vision est lumière et la lumière est vision. Il y a une sorte d’autovision de la lumière : la lumière est comme transparente à elle-même.
Ici-bas, certains phénomènes visuels nous permettent d’imaginer cette unité de la vision et de la lumière :


Ce n’est pas toujours la lumière extérieure et étrangère que l’œil voit, mais, en de courts instants, il voit, avant la lumière extérieure, une lumière qui lui est propre et qui est plus lumineuse. Ou bien elle émane de lui la nuit dans l’obscurité, ou bien, s’il abaisse les paupières, quand il ne désire rien voir dès autres choses, il projette pourtant une lumière, ou bien lorsque le possesseur de l’œil le presse, il voit la lumière qui est en lui. Alors il voit sans voir et c’est alors surtout qu’il voit, car il voit la lumière. Les autres choses n’étaient que lumineuses, elles n’étaient pas la lumière. ([Plotin, Ennéades,]V 5, 7, 23.)

Dans l’expérience mystique, l’œil intérieur de l’âme ne voit que lumière :


Emporté, en quelque sorte, par la vague de l’Esprit lui-même, soulevé par ce flot qui, en quelque sorte, se gonflait, le voyant a vu soudainement, sans voir comment il a vu, mais la vision, remplissant les yeux de lumière, ne faisait pas voir quelque chose d’autre par cette lumière, mais la lumière elle-même était l’objet de la vision. Car, dans cet objet de vision, il n’y avait pas d’un côté ce que l’on voit, de l’autre côté sa lumière, il n’y avait pas un pensant et un pensé, mais seulement une clarté resplendissante qui a engendré ces choses dans un moment ultérieur... Ainsi le Bien est purement lumière... ([Plotin, Ennéades,]VI 7, 36, 17.)
C’est avec cette clarté originelle que le regard l’âme vient se confondre. C’est comme si me voyait la lumière qui est à l’intérieur même de son propre regard :

On est bien obligé d’admettre que l’âme Le voit, lorsqu’elle est soudainement remplie de lumière. Car cette lumière vient de Lui et est Lui même. Et alors on est bien obligé de croire qu’Il est présent, lorsque, comme un autre dieu que l’on appelle dans sa maison, Il vient et nous illumine. S’Il n’était venu, Il ne nous aurait pas illuminés. Si elle n’est pas illuminée par lui, l’âme est privée de Dieu. Mais, si elle est illuminée, elle possède ce qu'elle cherchait. Et ceci est la vraie fin pour l'âme : toucher cette lumière, voir cette lumière par cette lumière, non par la lumière d'un autre, mais par la lumière grâce à laquelle précisément elle voit. Ce que l’âme doit voir, c'est la lumière par laquelle elle est illuminée. ([Plotin, Ennéades,]V 3, 17, 28.)