vendredi 21 juin 2019

PERSPECTIVES SPIRITUELLES SUR LA LIBERTÉ ET LE DÉTERMINISME.


Libre-arbitre ou déterminisme ? 
Vraie question ou question de points de vue ? 

A un niveau, la spiritualité semble ressortir d'un choix d'un ego. A un autre, c'est une libération par reconnaissance d'une détermination. A un niveau plus profond, cela ressemble encore à une décision personnelle d'une âme, l'étincelle divine en nous, en arrière-plan de l'ego, qui a consenti à toutes les déterminations par lesquelles elle mènerait à bien son développement. Mais là encore, à un autre niveau plus profond, la décision d'une âme, à tel moment, semble s'inscrire dans une trame divine où cette décision était inscrite depuis longtemps par une conscience divine supérieure. Et qui sait s'il n'y a pas d'autres possibilités de rapport entre niveaux de déterminations et niveaux de liberté ? 


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Raccourci :

Il y a des décisions. Certaines libèrent, d'autres non. Certaines élargissent, d'autres non. Certaines font évoluer, d'autres ne font que nous faire tourner en rond sur un même plan.

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Prise de conscience libératrice du déterminisme :

J'ai choisi ceci et ceci a échoué. Qu'est-ce qui a déterminé mon échec ? Je vois mon choix d'un côté, la fidélité à un projet et la logique événementielle qui a produit l'échec. Et si je comprends que tout est dans les mains d'une unique vie, quelle sera la décision ? je peux protester contre elle et son injustice ou je peux comprendre l'opportunité de vouloir ce qu'elle veut.

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Liberté comme participation à la manifestation de la vie divine :

Il y a les petits désirs qui m'enchaînent à des jeux de forces universelles. Par exemple, les désirs sexuels sont de ceux-ci puisqu'il y a un élément impersonnel en eux. Le désir sexuel reste un désir au service de l'espèce même si je le personnalise, même s'il participe à des relations, même si je le détourne de sa fonction reproductrice. Il y a aussi des désirs mimétiques : réussir, être reconnu, réaliser mon ambition, etc. Ces petits désirs affirment que "rien ne se fait de grand sans passion" mais ce sont des forces sociales. Ils peuvent entraîner des libérations  car, parfois, ils nourrissent telles revendications légitimes, etc. Tous ces désirs forment mon ego mais ce sont des individualisations de  forces universelles ou de mèmes culturels. 
Il y a les grands désirs. Eux ils sont liberté d'une âme qui individue la vie universelle. Ils sont au service d'une divinisation de la vie humaine. Par exemple, il y a le désir du beau, le désir de la perfection, le désir du vrai, etc. Ces grands désirs ne sont jamais ressentis comme des manques car ils portent en eux la plénitude en même temps que leur besoin. Ces désirs sont patients, calmes et doux. Ils peuvent être comme le cri d'une âme face à la misère humaine, mais d'une âme qui se sait un feu divin grandissant qui appelle une énergie et une conscience au-delà du registre humain usuel.
Les petits désirs sont liés à des appétits pulsionnels et les grands désirs à une aspiration spirituelle proprement dite (EROS pour Socrate et Platon).

De quelle liberté est-il question si on ne discerne pas ces deux qualités du désir ?
Détournons légèrement Platon. La liberté créatrice n'est-elle pas de soumettre l'énergie des petits désirs à nos grands désirs ? Les  discerner libérera notre âme des déterminations des petits désirs. Quand elle-même agira consciemment par notre volonté, nos sentiments, notre énergie vitale, elle manifestera le divin.

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Liberté comme autodétermination du divin :

Un jour un mur s'est effondré : mon ego et ses vouloirs  masquait mon âme, un oui total au fond du cœur à la vie divine. Tout a toujours été voulu par mon Maître et sa Shakti. Et moi, en mon âme, j'ai toujours voulu ce qu'il veut. Dans le grand tissu du temps, il a esquissé l'aventure... Combien de vies incarnées ? peu importe, mon âme se sait, dans cet espace et ce temps, ce voyageur sans âge venu œuvrer pour son Maître et sa Shakti. Mon âme, c'est la volonté divine en moi.

Tout a toujours été voulu par le divin en son Être (le maître) et en son devenir (sa Shakti), on ne peut réaliser ceci qu'en découvrant son âme qui fait toujours joyeusement et dans l'équanimité la volonté du divin. 

En cette conscience croissante d'une trame du temps préexistante, qu'est-ce qui empêche de penser que certaines âmes, comme flamme divine individuée particulièrement développée, pourraient participer à un pouvoir divin de jouer sur la trame du temps à venir ? 




Voici un poème de Niranjan Guha Roy évoquant le niveau d'autodétermination créatrice divine :

https://www.motherland-guharoy.net/l-artiste-divin/


L' Artiste Divin

Tous les jours 

Il travaille sur une immense toile 
accrochée au ciel.
Des ages défilent, 

chacun laisse sa trace 
dans le tableau géant.
Le Peintre reprend 

ses brosses et ses couleurs 
avec la même joie invariable.
Les ombres deviennent légères, 

le choc des couleurs moins brutal.
Les coups de pinceau 

sont moins hachés, 
on dirait qu’ils dansent.
Le décor change tout le temps 

à tel point que l’hier est 
déjà inexistant.
Toujours en avant, frénétique, 

le peintre court 
pour attraper l’avenir.
L’Univers d’hier est englouti 

dans la nuit irrécupérable.
Le demain 

avec ses surprises inattendues 
arrive tellement vite.
Pourtant à n’importe quel moment, 

c’est un tableau achevé.
Rien à désirer, 

rien n’y manque, 
toujours une prise de vue parfaite.
A tout moment 

le nouveau tableau disparaît 
dans le Néant.
Le Demain dans son cortège 

amène 
des révélations éblouissantes.
Les rires, les pleurs, les luttes 

et les victoires d’hier 
sont périmés.
On ne peut jamais faire marche arrière, 

on est loin en avant.

Le peintre ne se lasse pas de défouler 

ses rêveries sur la toile.
L’Hier, est ce que c’était seulement 

à vingt quatre heures d’ici ?
Ou à un an, cent ans, mille ans 

ou à des milliards d’années ?
Qu’importe ! Chaque instant glisse 

dans un abîme de nuit.
L’avenir n’est pas inventé hors du rien, 

il existe dans le passé.
Le présent 

n’est qu’un pont lumineux 
sur le ruban mobile du Temps.
Tous les tableaux imaginables 

sont enfermés 
dans le rêve, l’Idée Réelle,
Dans un seul point 

sans espace ni temps de l’Unique, 
du Brahman
Qui se déferle, inépuisable, 

imprévisible 
dans la manifestation éternelle.
Le Peintre dévoile son existence 

dans chaque tableau, raconte sa vie.

Mais qui a jamais saisi 

son vrai visage ? 
Son tableau n’est jamais terminé.
Pourtant Il est tellement présent… 

cette revue mystique sans fin,
Des milliards de visages et de regards… 

Ses reflets innombrables fugitifs.
Nous restons muets 

devant le Mystère d’une Beauté, 
d’une Béatitude !




jeudi 20 juin 2019

LE FEU DANS LA GROTTE DU CŒUR ET LA LUMIÈRE DU SOI DANS LA KHATA UPANISHAD



Il est toujours impressionnant de lire un compte rendu au détail près de Cela qui s'expérimente en soi. Et voici ce qui est en train de se stabiliser au cœur de mon aventure:


 Katha Upanishad   -     Extrait
Upanishad-Conte
Traduite et annotée par M. Buttex
D'après la version anglaise de Vidyavachaspati V. Panoli,
et celle de Swami Nikhilananda, dans "The Upanishads - A New Translation" 


2-I-1. Yama poursuivit son enseignement : « Le Seigneur suprême, qui est Son propre support d'existence, a condamné les organes des sens à se tourner vers le monde extérieur. Aussi l'humain perçoit-il uniquement les objets qui lui sont extérieurs, mais non son Soi intérieur (qui lui reste invisible, imperceptible, voire insoupçonné - NdT). Seul le sage, dont le regard s'est détourné du monde extérieur, et qui est en quête d'immortalité, contemple le Soi intérieur.
2-I-2. Les ignorants poursuivent les plaisirs éparpillés dans le monde extérieur; ils tombent dans les mailles de la mort qui tend ses filets grand ouverts (1). Mais les sages, ayant un avant-goût de l'inébranlable constance de l'Immortalité, ne peuvent plus convoiter ici-bas quoi que ce soit d'inconstant.
1 Autant que de la mort finale qui achève l'existence, il semble s'agir aussi de ces morts multiples et incessantes qui sont la fin désenchantée, parfois amère, de l'enchantement du plaisir ou de l'illusion; tel est le lot du chercheur de plaisirs externes et matériels.
2-I-3. En vérité, c'est par l'Atman que nous connaissons les formes, les saveurs, les odeurs, les contacts, les plaisirs sexuels. Reste-t-il, ici-bas, quelque chose qui soit inconnaissable pour le Soi ? C'est en vérité Cela (Tat) (1), que tu cherches.
1 Tat : « Cela » -: L’Absolu dont on ne peut rien dire, sinon que Lui seul est, en vérité.
     2-I-4. C'est par l'Atman que nous percevons tous les objets, que ce soit dans le sommeil ou dans l'état de veille. Ayant réalisé l'Atman, vaste et tout-pénétrant, l'âme paisible du sage ne connaît plus le chagrin.
2-I-5. Quiconque connaît intimement le Soi, qui Se nourrit du miel (de la Félicité - NdT), qui est le support des souffles vitaux (pranas) et le Seigneur du passé et du futur, ne cherchera désormais aucune autre protection. C'est en vérité Cela (Tat) que tu cherches.
2-I-6. Il connaît en vérité Brahman celui qui connaît le Premier-né, enfanté par l'ascèse (Tapas) avant même les eaux du cosmos, et résidant, en compagnie des éléments, dans la grotte du cœur (cf. 1-II-20). C'est en vérité Cela (Tat) que tu cherches.
2-I-7. Il connaît en vérité Brahman celui qui connaît Aditi (1), l'âme de toutes les divinités, qui naquit sous la forme du souffle vital (prana), qui fut manifesté en même temps que les éléments, et qui, pénétrant dans la grotte du cœur, y trône assis. C'est en vérité Cela (Tat) que tu cherches.
1 Aditi : « l'Étendue primordiale », l'espace infini et sans rivage sous lequel apparaît la Déesse-Mère, en tant que Shakti de Brahma, douée d'une énergie prodigieuse. Elle est la Mère des Dieux (Deva Matri), mais aussi de la Terre, et des planètes du cosmos. Elle fut extrêmement prolifique, les plus célèbres de ses fils étant le Soleil et les Adityas« Aditi est le ciel, Aditi est la sphère de l'espace, Aditi est la mère, le père, le fils. Aditi est tous les dieux, les cinq sortes d'hommes, tout ce qui est né et naîtra... », dit le Rig Véda, I-89-10.
2-I-8. Agni, le Feu sacrificiel, est logé dans les deux aranis (1), bien en sûreté, tout comme le fœtus que porte avec précaution la future mère dans sa matrice; un culte quotidien lui est rendu par les hommes qui sont éveillés et par ceux qui offrent les oblations dans les sacrifices. C'est en vérité Cela (Tat) que tu cherches.
Aranis : « Matrices » du feu sacrificiel: les morceaux de bois dont le frottement fait jaillir l'étincelle.
2-I-9. De Cela, le Soleil se lève; en Cela, il se couche; en Cela, toutes les divinités sont contenues, en Cela nul ne peut pénétrer à sa guise. C'est en vérité Cela (Tat) que tu cherches.
2-I-10. Ce qu'on trouve ici-bas, on le trouve au-delà; ce qu'on trouve au-delà, se trouve déjà ici-bas. Pour quiconque voit l'ici-bas comme fondamentalement différent de l'au-delà, vivre n'est que le passage d'une mort à la prochaine mort.
2-I-11. Seule la conscience peut atteindre à Cela; il n'y a ici aucune différence quelle qu'elle soit. Quiconque voit ici une différence, passe d'une mort à une mort.
2-I-12. Le Purusha (cf.1-III-11), de la taille d'un pouce, réside à l'intérieur du corps. Le réalisant comme Seigneur du passé et du futur, on ne cherche plus dès lors à se protéger. C'est en vérité Cela (Tat) que tu cherches.
2-I-13. Le Purusha, haut d'un pouce, est semblable à une flamme sans fumée, et Il est le Seigneur du passé et du futur. Tel qu'Il existe en cet instant, tel Il existera demain. C'est en vérité Cela (Tat) que tu cherches.
2-I-14. La pluie qui tombe sur un pic montagneux, ruisselle le long des rochers dans toutes les directions; de même, celui qui voit les attributs comme différents (et donc séparés) de Brahman, se met en fait à courir après eux dans toutes les directions.
2-I-15. L'eau pure qui coule dans l'eau pure, se fond en elle et en devient indiscernable; ainsi le Soi du sage qui sait se fond, ô Gautama (1), dans le Soi suprême.
1 Gautama : cf. 1-I-10. Nachiketas, comme son père Vajasravasa, appartiennent au clan des Gautama, et l'on peut considérer Gautama comme leur patronyme. Jusqu'à la fin, Yama ne s'adressera plus à Nachiketas qu'en tant que Gautama, montrant par là moins de familiarité, plus de respect face à ce mortel remarquable entre tous !