vendredi 9 août 2024

UNE SPIRITUALITE INTEGRALE DE L'ETRE ET DU DEVENIR DEVOILE LA MERE DE NOS AMES, LA CONSCIENCE FORCE CREATRICE.

Michel Larionov - Acacias au printemps -1904


Le message de Jésus semble unir l'Etre et le Devenir. 

L'amour comme agapè prolongeant la vision d'une source divine créatrice unit, me semble-t-il, l'Etre et le Devenir. 

Autour du deuxième siècle après Jésus-Christ, des débats entre chrétiens ont commencé à porter sur ces points : y a-t-il une action divine qui va perfectionner le monde terrestre ou la terre n'est-elle qu'une création démoniaque (d'un dieu du mal) ? Certes les dualistes gnostiques semblent avoir été dominés voire éliminés par le camp adverse devenu de plus en plus intolérant. Mais certaines idées dualistes fustigeant la chair nous liant aux forces obscures et hostiles ont durablement influencé la culture chrétienne y compris spirituelle. La plupart des chrétiens y compris les mystiques espèrent que Dieu les libérera des tourments de la chair dans un avenir postmortem.

Chez les philosophes de l'antiquité gréco-romaine, le débat était entre les partisans d'un univers terminant cycliquement en déflagration et les tenants d'un univers infini. 

Quelles étaient les expériences fondant leurs métaphysiques. Quelles conséquences pratiques ont ces métaphysiques ?

La question me paraît actuelle. 

En durcissant dogmatiquement leurs interprétations sur le rapport entre l'Etre et le Devenir, la plupart des courants religieux chrétiens ont malheureusement souvent étouffé et amoindri l'accès évident à l'Etre. La mystique chrétienne n'a jamais été bien accueillie par les institutions religieuses. Et celle-ci si elle a touché à l'union substantielle de l'âme et du divin dit, au final, assez peu de chose sur la divinisation du corps. L'incarnation du divin qui surmonte la mort est restée une espérance ; elle ne s'est guère traduite dans une aventure spirituelle concrète avec pour ceux qui l'entreprendrait une cartographie mentale.

Mais quoi qu'il en soit, pour moi postchrétien plutôt qu'antichrétien, la voie du cœur ne se résume pas dans des moyens de se détacher, car ce serait éventuellement se détacher des conséquences des interactions de nos actes humains. Un tel cœur serait luciférien. Il n'échapperait guère au seigneur du mensonge, ce flux de forces vitales et mentales qui nous rendent insincères et incohérents.


Et bien que les spiritualités non dualistes m'apportent beaucoup, y compris l'évidence d'une vacuité englobant le devenir, je ne m'y reconnais donc pas entièrement sur la question du cœur et du Devenir. En mettant entre parenthèses le devenir des personnes, y compris la leur, beaucoup des non dualistes me semblent décider mentalement que l'absolu est autre que l'amour. Pour moi, le danger est luciférien : le propre de Lucifer, des forces vitales et mentales lucifériennes, le porteur de lumière est effectivement la  capacité de réaliser une lumière spirituelle et de l'utiliser, malgré les apparences sans cœur, et surtout sans aucune âme pour son propre avantage. Or sans influence tangible de l'âme, l'ouverture du cœur ne va guère sans confusions. Le seigneur du mensonge, les forces de conscience qui nous individualisent dans cette confusion d'insincérité, est le champion des demi-vérités qu'il parvient à mettre en conflit évitant et retardant la venue de la Vérité et de l'action autocréatrice intelligente. La victoire contre une vision prisonnière de la dualité, contre le Séparateur, le diabolique, les forces vitales et mentales de l'isolement et de l'enfermement en soi-même est devenue plus aisée de nos jours. Mais la spiritualité mainstream ne résout guère le problème luciférien. Or comment nous sortir de ce que certains dénomment l'ère de la post-vérité ? L'autre est toujours le menteur. C'est toujours l'erreur, la mécréance de l'autre qui est fautive. Quelles que soient les demi-vérités que l'autre véhicule, elles sont rejetées en même temps que ses erreurs. Bien sûr, ce sont toujours d'autres que nous, les auteurs du chaos. La demi-vérité d'autrui est évidente comme étant son mensonge, sa mauvaise foi. Mais pourquoi manquons-nous notre propre déformation de la vérité ? Pourquoi sommes-nous sans cesse en train de jeter le bébé vérité avec l'eau sale de son bain ?


Ici et maintenant, pouvons-nous affirmer être un instrument docile de la Vérité ? Nous avons des éléments à notre disposition, que valent-ils ? Pouvons-nous nous appuyer sur des souvenirs, des informations ou des faits, ici et maintenant, non pas interprétés mais observés ? Ai-je des garanties sur la qualité subjective et objective de mon observation ? Nous avons bien quelques vérités parmi nos jugements et observations, mais sommes-nous intégralement en Vérité ? 


Dès que nous sommes sincères, il nous faut bien admettre notre appartenance à un monde de demi-vérités et dès lors à un monde de mensonges.


Dès lors que nous défendons notre monde de libertés contre d'autres qui au fond défendent leur monde de libertés, nous n'avons pas de certitude d'un regard intègre. Pouvons-nous prétendre défendre le monde en imposant le nôtre ? On peut prétendre défendre nos libertés contre ceux qui y attenteraient, mais de quelle liberté parlons-nous ? La liberté de suivre nos désirs, nos idées, nos mœurs est-elle une liberté créatrice de liberté ou une réclamation de poursuivre tout comme avant, notre petit esclavage y compris à des actions qui ne changent rien au fond ? Et ces changements relatifs qui refusent la transformation vers un mieux de la vie, ne sont-ils pas une hostilité à une évolution de la conscience, un refus de participer sincèrement à l'intelligence autocréatrice ?


Une foi en un Devenir évolutif où le cœur se réalisera divinisé, où une transformation même de notre matérialité sera en jeu, va de pair avec une meilleure vision de l'Etre. Nous pourrions développer une telle foi ouverte au fait de Devenir et d'Etre plus en Vérité.


Dans une telle dynamique, l'évidence du Soi, si elle est factuellement reconnue, si un espace de vacuité au-dessus des épaules se voit comme l'ouverture où tout apparait, ne changera pas : c'est une présence immuable. 



Mais sa lumière semble s'éclairer de mieux en mieux en éclairant ce qui sert le Devenir du cœur et de l'autocréation de l'univers matériel en Vérité. Notre individualité semble donc évoluer dans sa perception au sein de la présence immuable. De l'évidence du seul Soi englobant le devenir de notre individualité,  des autres et du monde, se découvre plus en plus dans une descente dans le cœur un Soi avec une âme [en cliquant ici, on trouvera une présentation approfondie de ce Soi avec une âme] .  En d'autres termes, se découvre une Vie Universelle divine, Être et Devenir, qui développe son individuation au sein de l'individualisation humaine que nous sommes.


Envisageons vraiment l'Etre et le Devenir comme une seule réalité. Ne privilégions ni le presque rien d'Etre ni le tout en Devenir. L'un et l'autre ne se recouvrent-ils pas dans des ténèbres lumineuses encore fort mystérieuse ? Les ténèbres internes du sommeil profond ne s'entrecroisent-elles pas avec les ténèbres de l'univers matériel pointant un inconscient pour nous ? Mais cet inconscient, ces ténèbres le sont-elles absolument ?


Le subconscient matériel (par exemple, les drogues agissent sur nous sans que nous en soyons pleinement conscient physiologiquement) et l'inconscient spirituel (La réalisation de la lumière spirituelle est celle de ténèbres lumineuses qui masquent des dimensions) ne disent-ils pas la limite de notre conscience humaine même spirituelle ? L'éveil d'une conscience surmentale ne laisserait-elle pas en suspens un éveil à une action consciente par-delà toute la bulle mentale y compris surmentale ?


Ceux qui pensent  exprimer une réalisation spirituelle relativisent souvent le Devenir. La présence est appelé absolu et le reste le relatif. Ils ne voient pas la dimension absolue du Devenir. A moins de gagner en sincérité, ils diront mordicus que leur réalisation n'est pas une expérience. Il est vrai que ceux qui restent identifiés au seul devenir mental et vital en demeurent à des expériences d'un agrégat psychologique. Ils entendent le mot expérience dans cette perspective d'un devenir de leur ego. 


Nier que nos réalisations spirituelles soient des expériences humaines en prétendant réaliser absolument l'absolu n'est-ce pas encore le règne de demi-vérités ? L'accès au monde des intuitions, à une connaissance par identité ne nous arrache pas encore tout à fait à la division propre à la bulle mentale. Notre intuition d'être le Soi est ainsi un éclairage surmental de l'Etre qui laisse, selon nous, inéclairé le Devenir. 


En effet, il y a des expériences spirituelles du Devenir qui ne sont pas simplement des pics de nos vies mentales et vitales. Elles indiquent que notre réalisation de l'absolu n'est pas une réalisation totale de l'absolu même si cette réalisation partielle comprend une dimension atemporelle immuable : cette réalisation quand elle s'ouvre à des expériences spirituelles du DEVENIR s'interprète avec plus de modestie.


Dans certains yogas, la Kundalini est à la base une expérience et un Devenir qui au sommet du crâne nous ramène et nous bascule en l'Etre.


Dans les voies dévotionnelles, la grâce est une expérience de Devenir qui peut aboutir à une union où notre personne et le Divin ont une même essence, un seul Être infini.


Sur la voie du yoga intégral de Sri Aurobindo et Mère, quand la force de Mère descend et travaille en nous, il y a bien une expérience d'un Devenir qui n'est pas celle d'un ego. Cette action n'est pas qu'une action éclairée partiellement par le mental et dynamisée obscurément par notre vitalité. 


On voit bien que cette force de Mère unit l'Etre et le Devenir, travaillant plus sur un aspect ou l'autre. Elle peut faire descendre ou déplacer du Silence et de la paix, il y a alors un Devenir approfondissant l'Etre, une expérience renouvelée de l'Etre. Cette force de Mère peut rester davantage du côté du Devenir en réharmonisant nos énergies vitales, en intervenant dans le fonctionnement du corps, etc. 


Cette expérience d'une grâce, d'une force divine montante ou descendante peut aider à réaliser le Soi de l'advaita vedanta. Elle peut nous mettre sur la voie en disposant des indices. La Kundalini, par exemple, pointe l'espace vide du Soi qui englobe et réabsorbe cette débauche énergétique menaçante pour un ego.


La force devient clairement la force et l'expérience d'une dimension maternelle du Divin quand elle nous révèle l'enfant Divin que nous sommes. Pour moi, l'expérience de la Mère, de la Mahashakti est celle qui a en même temps produit la désobstruction du cœur. Ouvrir un passage à l'influence du principe d'individuation Divin ne peut pas se produire sans l'expérience de Mère, le Devenir, le souffle et la force divine, le Saint-Esprit. Cette individuation en est une flamme, un feu en croissance. Elle est aussi l'intuition d'un Être suprême, notre Père, car il y a en elle une goutte de cet Océan d'Etre au-delà de tout être. Mère est le Devenir de cet Être Suprême et nous nous réalisons alors leur enfant divin en croissance. 


Ce n'est plus alors une croyance ou un espoir que le royaume des cieux sur terre, le règne de l'amour. Réalisant dans l'ouverture du cœur notre âme divine, la terre et l'univers apparaissent le lieu de notre évolution et de la possible émergence d'un royaume de Dieu, pour chacun d'entre nous, ses enfants divins.


Dans cette vision renouvelée de la spiritualité, il n'y a pas de victoires c'est-à-dire de réalisations sans expériences multiples sur divers plans. La réalisation de la lumière spirituelle du Soi est vue forcément comme la reconnaissance de ténèbres lumineuses qui voilent d'autres plans et profondeurs de cette lumière. 


L'inconscient spirituel et le subconscient matériel ne sont plus supposés tels par essence. Ce sont plutôt les traductions des limites de notre conscience humaine mentale et vitale, des limites de la bulle mentale même en ses stratosphères intuitives surmentales. Mère a une action surgissant de ce qui nous semblait un inconscient spirituel. D'ailleurs, l'influence de notre âme divine et notre Soi ne l'étaient-ils pas quand nous étions identifié à un ego ? Et par ailleurs, l'action de Mère s'enfonce dans ce que nous estimions un inconscient matériel en deçà de tout subconscient psychologique. Là encore, n'étions-nous pas victimes de demi-vérités en ignorant cette action seule réellement transformatrice et créatrice ?


L'ouverture du cœur jusqu'à la réalisation de l'âme, l'individuation du Divin que nous sommes, est l'aboutissement d'une suite d'expériences qui est le commencement d'un autre type d'expériences allant avec une nouvelle compréhension voire une nouvelle conscience du Devenir et de l'Etre. Cette nouvelle conscience est reconnue comme l'oeuvre de la Mère divine, une intelligence supramentale de la force de coscience autocréatrice de notre univers. C'est le seul chemin pour mettre fin à cette ère de post-vérité où la crise évolutive en cours s'amplifie à grande allure. C'est le seul chemin pour ne plus la prolonger inconsciemment en la dénonçant. Car en se positionnant comme une de ses victimes impuissantes, on reste ignorant du fait qu'on en est aussi l'auteur.


Natalia Gontcharova (Tula, 1881 - Paris, 1962) - Forêt verte et jaune


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