Tableau de Niranjan Guha Roy sur l'âme |
Être n'est pas du domaine de l'effort mais si le Devenir n'est pas illusoire, l'effort non plus.
La lutte et l'effort sont possibles dans le plus parfait détachement...
"Mais qui lutte et qui fait des efforts ?", me demandera-t-on voulant m'aider à réaliser Cela... Je ne dirais pas qu'il n'y a personne ici. Comme il n'y a plus d'ici et de là-bas, il y a fort souvent bien des personnes... et pour chacune il y a une attention et différents types d'amour. Alors y a-t-il quelqu'un encore ? N'est-ce pas d'abord et fondamentalement impersonnel ?
Ce qu'on nomme connaissance de l'Être ou reconnaissance de Soi exige l'effort du non effort mais la bhakti, l'amour du Soi passe par un effort jusqu'à l'exténuation. Concentrer son amour pour le divin dans les profondeurs du centre spirituel du cœur au centre du torse consiste à mener mon ego par impuissance à totalement s'abandonner à l'union sans séparation... La relation de dévotion laisse maintenant régulièrement place à une concentration sans effort qui voit se dissoudre toute once de séparation du bhakta et du Dieu aimé. Ce chemin de la dévotion n'est qu'un chemin parmi d'autres. Il a ses impasses bien sûr.
Ramakrishna revendiquait lui aussi de ne pas fondre en Dieu totalement pour maintenir une relation d'amour. L'amour est une attention constante de l'amant pour l'aimé mais sans dualité, sans séparation... Mais la distinction qui demeure sans différence et donc sans trace aucune de séparation, qu'est-ce ? Plus rien de l'ego, dirais-je, mais pas non plus personne. Cette extase continue tranquille et douce est une individuation de Cela, qui n'abolit pas la vision sans personne de Cela. Mon âme véritable avec au centre cette étincelle divine qui est son noyau ? La description par des mots est toujours sujette à défaut quand l'autre ne voit pas ce dont on parle.
Si, avec l'amour, on parle d'une relation désirante de l'ego, même au niveau de la dévotion ou de l'action sacrificielle pour le service du divin, il y a certainement encore de l'illusion. Effectivement, beaucoup d'aventuriers spirituels, même inscrits dans des traditions accordant du crédit à la dévotion, disent que cette catégorie de dévotion s'avère faire partie du vieil homme. Parfois, il faut, en effet, se vider du vieil homme pour faire place à ce qui ne manque pas de venir se manifester à sa place. Tout ce que l'ego a mis en place n'a plus aucun sens alors. Ses amours y compris ses élans pour telle figure divine n'étaient encore que la poursuite de son égocentrisme sous une forme plus raffinée.
L'aventure spirituelle ne cesse pas lorsque le chercheur disparaît avec son égo-centrisme caractéristique. Elle ne cesse pas non plus si se réalise en lui qu'il est une âme au sens où je l'ai exposé précédemment. Il y a bien une dimension personnelle de Cela qui ne contredit nullement son impersonnalité. Ce n'est jamais le cas de l'ego même quand il se sait un phénomène impermanent de Cela. Car tant qu'il demeure, il forme une ombre dans la lumière de Cela. A cause d'elle, la présence consciente de la dimension personnelle de Cela qu'est l'âme reste exceptionnelle ou ignorée.
Un danger est toujours de vouloir faire d'un aspect une totalité en niant et en refusant ce qui ne s'y conforme pas. La vérité est multiple et variée, il serait dommage qu'un aspect de sa vérité incontestable barre le chemin à la réalisation d'un autre. J'ai eu plusieurs fois affaire à cette limite de ma propre aventure. La présence de la lumière de Cela a toujours été là et je l'ignorais, je la niais. Quand elle s'apercevait puis disparaissait, je ne savais aucun geste intérieur pour la retrouver jusqu'à ce que Douglas Harding et ses amis me les montrent.
Il y a une voie dans les profondeurs du cœur au centre de notre poitrine. Dans cette voie, selon mon expérience, nous sommes une individuation de Cela en devenir, en relation d'union à d'autres individuations de Cela : il y a là un écho avec l'amour personnel, et l'amour personnel, bien qu'il en soit encore une caricature, encore une déformation, n'en reste pas moins souvent ce qui en véhicule un pressentiment. Participer spirituellement à l'individuation de Cela en ses enfants est une expérience magnifique : c'est entrer dans le secret de la patience créatrice et évolutive de la Mère divine, la Shakti.
Dans mon expérience, l'amour universel n'empêche pas l'amour personnel. Mais l'amour personnel en question n'est plus un désir de l'ego, il y a un amour d'âme à âme, dont le noyau est une relation d'étincelle divine en soi à l'étincelle divine en l'autre. Pour moi, ce fond se laisse encore obscurcir et il n'est pas présent en continu. Autrement dit la vision de Cela est loin d'être consciente dans sa plénitude même si elle n'est plus ignorée : s'il y avait plus de sincérité à ce sujet chez ceux qui promeuvent la spiritualité, ce serait un progrès. La vision de Cela est une ténèbre lumineuse. Quand nous nous apercevons être une individuation de Cela en devenir nous commençons à pouvoir vraiment la scrutrer.
Amour de Soi, amour de soi, amour de l'autre, rien n'empêche : je suis un dévot du Soi dans son Être et son Devenir... Une étincelle individuelle du Soi universel brille au tréfonds de notre cœur. La différence personnel/impersonnel n'a plus de sens.
L'amour comme désir, comme pulsion perd de plus en plus tout sens, un peu comme une réalité de surface qui devra être conquise par l'amour de Cela en "personne"... Le désir et la pulsion, mêmes satisfaits, sont loin de la joie de l'union sans aucune trace de séparation, ils sont loin de l'amour de la Mère matrice et processus de toutes les manifestations infinies de Cela.
S'apercevoir en Cela une individuation de Cela c'est voir aussi cette présence d'une intelligence cosmique à l'œuvre.
Les stoïciens les plus anciens parlaient déjà d'un principe directeur, d'un hegemonikon, comme une pieuvre qui serait en nous l'intelligence individuée de l'univers. Ses tentacules psychiques agissent en nous. Elles peuvent inspirer des pensées, sublimer un désir, stopper une pulsion, etc. L'action du principe directeur est toujours en harmonie avec la nature. Cette description n'a de sens que si l'expérience de l'âme domine notre psychisme au lieu d'être calfeutrée au fond du cœur tentant d'influencer de loin notre individualité.
L'amour de l'intelligence cosmique me montre que mon corps et mon esprit sont bien loin encore de pouvoir incarner le divin à la mesure de ce qu'ils pourraient permettre. Il n'y a là rien d'humiliant pour l'âme. C'est en elle comme une fine pointe de plénitude qui aime ce qui embellit, rend plus juste et parfait. Elle est une dynamique du Devenir évolutif à la fois universel, individuel et "créateur".
Face à la crise évolutive en cours l'ego panique et pratique la dénègation. L'ego n'a jamais pleinement confiance en la vie. Seule l'âme peut voir dans la crise évolutive actuelle une opportunité et y apercevoir des possibilités évolutives inédites. L'ego ou ce qu'il en reste quand on commence à être spirituel ne pressent que sa mort. Seule l'âme peut évoluer consciemment avec patience et sans crainte. Guidée par l'intelligence cosmique, elle est le conducteur immortel de l'évolution des vivants qu'elle a en charge...
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