Chapitre XIV P.116 sq. LE PETIT LIVRE DE LA VIE ET DE LA MORT
LA SYNTHÈSE
Tant que vous ne savez pas mourir et revenir à la vie, vous n'êtes qu'un voyageur désolé sur cette sombre terre.
GOETHE
Cette longue et difficile ascension, avec toutes ses pistes et routes orientales et occidentales, est-elle périmée aujourd'hui, tout comme les longs voyages à pied ou à cheval ont été dépassés par les voitures rapides et les avions à réaction ? Toute cette dévotion, ce patient labeur spirituel, toute cette peine, toutes ces larmes, ces espoirs perdus et retrouvés, tout cela n'était-il qu'aberration et gaspillage d'énergie, un malaise dont nous sommes presque guéris ? Évidemment non. Bien au contraire ! S'il est vrai que cette technique de l'avion à décollage vertical, cette vision instantanée de ma Nature Intemporelle est aisée, il est également vrai qu'elle n'a d'effet sur ma vie que dans la mesure où je m'applique sérieusement à l'entretenir. Je dois actualiser la découverte que je suis absolument parfait tel que je suis - tel que JE SUIS - en la redécouvrant patiemment, sans cesse et inlassablement, jusqu'à ce que toute trace d'artifice et d'effort, toute sensation d'accomplissement aient disparu. Jusqu'à ce que ce soit devenu dans la vie quotidienne ce que cela a toujours été en fait : notre état naturel. Autrement dit, malgré les décollages verticaux, on est également obligé d'emprunter cette route lente, ardue et progressive. Même si en avançant le long de cette route, on en décolle à maintes et maintes reprises, on ne peut rester en l'air. On est à la fois loin là-haut, et rivé à la terre, et il n'y a pas de contradiction. Selon le maître Zen Ummon : « Pour l'homme vraiment illuminé, l'assujettissement à la loi des causes et effets et le fait qu'il en soit dégagé ne sont qu'une seule et même vérité. » Il n'y a pas de voie sans problème ni sans peine. La qualité de notre vie spirituelle dépend des efforts que nous sommes prêts à faire pour elle. Mais celui ou celle qui a vu sa Nature Intemporelle ne devrait jamais se décourager à l'idée que cela va être un "dur travail", pendant des années peut-être. La première vision de Cela (pour autant qu'on puisse parler d'une première) est déjà la vision parfaite, même si elle est brève. Elle ne devient pas plus claire avec le temps. Jamais. C'est la seule chose que je ne puisse pas faire mal ou à moitié. Toute une vie, et même des centaines de vies de pratique ne me rapprocheront pas d'un centimètre de CE QUE JE SUIS. Elles ne pourront qu'attirer de plus en plus mon attention sur CELA. Cette vie fondée sur la vision est-elle vraiment difficile ? Oui, et absolument Pas ! Selon ma longue expérience, la vie sans la vision se révèle infiniment plus difficile. Somme toute, que signifie vivre avec la vision intérieure sinon fonder ma vie sur la vérité de ma Nature ? Et que signifie le refus délibéré de voir ma Nature sinon fonder ma vie sur un mensonge ? Ce qui - si l'on parvient à le faire réellement et pas seulement en imagination - doit être sacrément inefficace ! Lorsque j'utilise un outil, j'ai intérêt à savoir si c'est un marteau ou une scie, à moins que je n'aie décidé de me blesser ou de saboter le travail. Eh bien, je suis mon propre outil pour vivre, alors je l'observe attentivement, et je prend soin de ne pas le quitter du regard. La vie est infiniment plus satisfaisante de cette Leçon, et en fin de compte infiniment moins difficile. Dans cette troisième partie de mon enquête, j'ai analysé les trois approches de la mort : la Voie Descendante, la Voie Ascendante et l'Envol Vertical. Pour en résumer les conclusions sous une forme mémorable, en voici le graphique :
Mon triple itinéraire comprend :
(1) Le déclin inévitable de ma vie : vieillesse, invalidité, mort - évolution que nous devons embrasser plutôt que de nous y soumettre.
(2) Mon évolution spirituelle "à la dure", ma conquête de la mort et mon ascension progressive vers l'Éternité en m'exerçant continuellement à mourir. Ma prise de conscience que je suis déjà libéré de la vie et de la mort, et établi dans l'Éternité - ce que je peux voir dès maintenant, quels que soient mon âge et mon niveau d'évolution.
(3) J'emprunte les trois voies à la fois : la première automatiquement, et la deuxième en pratiquant la troisième.
Dans la vie spirituelle, l’humilité est le synonyme de réceptivité.
C’est l’état dans lequel on est ouvert et prêt à recevoir et à retenir.
Quand nous ne savons rien, quand nous n’avons pas l’orgueil ou
l’arrogance de savoir alors seulement la vraie connaissance peut venir.
Orgueil, arrogance, contentement de soi, obstination, refus d’admettre
une volonté supérieure, un plus grand pouvoir, une résistance aveugle,
une confiance en soi qui nous limite sont l’opposé de l’humilité. D’un
autre coté, la simple politesse, la modestie, l’acceptation du mensonge
par peur ou afin d’éviter les difficultés, un mièvre accord sans
compréhension sont très loin de la vraie humilité.
La vraie humilité est un état spirituel. Quand nous sommes totalement
convaincus de notre ignorance alors seulement la connaissance peut
venir. Quand nous sommes entièrement conscients de notre impuissance
alors seulement le pouvoir peut venir. Quand nous sommes vraiment vides
alors seulement nous pouvons être remplis.
A son plus haut l’humilité nous révèle que nous ne sommes rien, que nous
ne pouvons absolument rien faire. Quand nous sommes face à face avec
Dieu, l’Éternel, L’Un mystérieux et quand nous serons capable de dire en
toute sincérité, en toute humilité comme nous disait la Mère dans une
de ses classes du soir , « Je ne suis rien, absolument rien, je ne sais
rien, absolument rien. » Alors seulement nous réaliserons notre unité
indivisible avec le Divin. C’est pourquoi il a été dit que “ seulement
les humbles verront le visage de Dieu”. Nous nous apercevons que tous
les grands êtres sont très humbles. La Mère a mentionné que personne ne
saurait être plus humble que Sri Aurobindo. Sri Aurobindo dit dans un
poème quelque chose comme cela.” Je sais que vous êtes mon Dieu parce
que vous êtes devenu la vermine, l’insecte et le ver”
La vraie humilité prépare l’être à un état de soumission constante au
Divin. Humblement nous admettons notre ignorance dans nos pensées,
actions, émotions passées et présentes sans chercher à les justifier.
Ceci est le plus difficile, de faire face et d’admettre même à nous même
que nous avons eu tord, que nous avons tord. Mais si nous pouvons faire
cela dans un esprit de vraie humilité alors un grand poids sera enlevé
de notre conscience et nous pourrons entrer dans un état de don de soi
plus facilement. Vraiment il ne peut y avoir aucune justification pour
nos actions ignorantes tant que nous vivons dans l’ignorance. L’humilité
nous aide à émerger de l’ignorance dans la lumière
La vraie humilité élargit la conscience du chercheur, augmente sa
capacité de recevoir et rend possible à l’Infini de se déverser dans
l’être fini, dans le réceptacle vivant et ardent.
Que de haine et de stupidité les hommes ont-ils réussi
à emballer de façon décorative et à étiqueter « Religion » !
Sri Aurobindo
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La spirale dynamique nous indique une évolution des mentalités culturelles. Il apparaît que le mème bleu dont nos grandes religions civilisationnelles sont la marque n'aident pas forcément à entrer de plein pied dans les mèmes supérieurs orange et vert.
Pour ceux qui ne connaissent pas cet instrument mental de repérage dans l'évolution mentale vers une ouverture au-delà du mental lui-même, nous pouvons nous contenter de signaler que les textes sacrés religieux ne sont pas des textes argumentés s'appuyant sur des protocoles expérimentaux vérifiables. Autrement dit ces textes sacrés ne comportent aucune induction ou déduction caractéristique de la rationalité et de la scientificité.
Ces textes sont le plus souvent des écrits qui ne prétendent même pas à la vérité factuelle et littérale. La Genèse biblique contient ainsi deux récits de création juxtaposés qui ne sont pas cohérent du point de vue rationnel. Dans un premier récit l'homme et la femme sont les derniers êtres vivants créés par Dieu. Dans le second récit, l'homme est seul et Dieu lui crée des compagnons jusqu'à sortir de son propre corps une compagne, la femme. La vérité recherchée n'est donc pas rationnelle et factuelle mais symbolique. Une histoire est d'autant plus vraie qu'elle a d'impact. Qui sait si le récit de Star Wars n'aurait pas pu en des temps reculés devenir un texte sacré vu la puissance symbolique du récit... Les grecs d'Athènes n'avaient-ils pas des procédés pour choisir les mythes les plus aptes à souder leur cité ?
Paradoxalement, c'est peut-être la rationalité émergente qui a mené les diverses religions à fixer leurs textes sacrés dans une lecture dogmatique et littéraliste. Il fallait que la religion existe en regard de la raison. La raison était une source de désordre pour l'autorité dominante mais en même temps elle était un instrument de gain de puissance : la meilleure compréhension de la gravité a par exemple des conséquences militaires immédiates.
Si nous nous en tenons à l'idée qu'une histoire qui nous touche même si elle n'est pas une vérité factuelle aura à n'en pas douter une vérité symbolique alors nous en arrivons en donnant à la raison toute son autorité à la position qui suit :
Roger-Pol Droit : S’il existe des vérités révélées, le voyage du philosophe n’est-il pas
arrêté ? Avec le bouddhisme, sujet de plusieurs de mes livres, cette
difficulté n’existe pas. Mais avec l’islam, auquel tu as consacré de
nombreux travaux, on peut avoir l’impression qu’à un moment donné, la
liberté de critique se soumet à une autorité extérieure.
Souleymane Bachir Diagne : D’abord, un mot sur ce que tu viens de
dire, sur le sens des mots « dialogue » et « traduction » qui me semble
très important. Tu te souviens d’Umberto Eco disant : « La langue de
l’Europe, c’est la traduction.» J’aurais envie d’élargir son propos et
de dire que la langue de l’humanité, c’est la traduction. D’ailleurs,
c’est par des traductions qu’a commencé la philosophie dans les sociétés
islamiques, traductions des œuvres grecques, à partir du syriaque qui a
été l’intermédiaire entre le grec et l’arabe, puis des traductions
directes. Y a-t-il conflit avec la Révélation? Cela peut arriver, car
l’exigence critique de la philosophie doit être la même partout et son
acte premier est de tenir à distance l’objet qu’elle examine. Or, la
religion semble s’interdire cette prise de distance qui lui apparaît
hostile ou hérétique, en tout cas condamnable. Averroès répond à cela :
si la vérité que je découvre par la raison semble contredire la
Révélation, ce qui est dit par la Révélation doit être interprété de
manière à s’accorder avec ce que dit la raison. Les implications de ce
principe peuvent être immenses. C’est cet esprit que nous devons
retrouver aujourd’hui.
Ceci dit la modernité religieuse visée ici est-elle satisfaisante ? Nos mondes symboliques ne sont-ils pas en hiatus ? Même si nos interprétations religieuses des textes sacrés n'entrent plus directement en opposition à la raison, vivre dans un monde symbolique commun sacré pose les bases d'un communautarisme. Et même un communautarisme à visée universel demeure un communautarisme comme nous le révèle les affrontements entre religions "universalistes". Si la paix est un critère de progrès spirituel nous devons admettre que la tentation de vivre dans un monde symbolique commun sera toujours un échec même si cette vie symbolique est soumise aux limites qui lui impose la raison. Une voie du dialogue interreligieux est possible : elle consiste à pointer un domaine commun des communautés de vie symbolique religieuses à savoir la spiritualité. Mais si on mène un tant soit peu cet effort à quoi bon encore s'enfermer dans une seule tradition religieuse, ne faut-il pas dès lors tout centrer sur la vie spirituelle en faisant des mémoires religieuses juste un vivier où puiser des chemins d'expériences spirituelles ?
Enfin, du point de vue spirituel lui-même au-delà des traditions religieuses, reconnaissons que ni la vie symbolique religieuse, ni la pratique de la raison n'assurent un solide progrès spirituel de la masse.
Dans Le Cycle Humain, Buchet-Chastel, au chapitre "Psychologie du Développement social", Sri Aurobindo écrit pour ramener la raison à ses limites et nous redit la portée suprarationnelle du meilleure de l'expérience religieuse :
Le cœur profond, l'essence
intime de la religion, indépendamment de la machinerie extérieure des
credo, des cultes, des cérémonies et des symboles, est la quête et la
découverte de Dieu. Son aspiration est découvrir l'Infini, l'Absolu,
l'Un, le Divin qui est toutes ces choses, et n'est cependant pas une
abstraction mais un être. Sa tâche est de vivre sincèrement et
totalement les relations vraies et intimes de l'homme avec Dieu :
relation d'unité, relation de différence, relation de connaissance
illuminée, d'amour et de félicité extatique, de soumission et de
services absolu- d'arracher à leur état ordinaire toutes les parties de
notre existence et de faire jaillir l'homme jusqu'au Divin et descendre
le Divin dans l'homme. Tout cela n'a rien à voir avec le domaine de la
raison ni avec ses activités normales, le but de la religion, sa sphère
et ses processus sont suprarationnels. La connaissance de Dieu ne
s'obtient pas en pesant les faibles arguments de la raison pour ou
contre l'existence de Dieu; elle tient seulement de soi et la
consécration absolue, par l'aspiration et l'expérience. Et cette
expérience ne procède aucunement comme le fait l'expérimentation
scientifique rationnelle, la pensée philosophique rationnelle. Même les
parties de la discipline religieuse qui semblent le plus ressembler à
l'expérimentation scientifique, font appel à des méthodes de
vérification qui dépassent la raison et ses timides limites. Même les
parties de la connaissance religieuse qui semblent le plus ressembler
aux opérations intellectuelles, font appel à des facultés illuminatrices
qui ne sont pas l'imagination ni la logique ni le jugement rationnel,
mais des révélations, des inspirations, des intuitions, des
discernements intuitifs qui jaillissent d'un plan de lumière
suprarationnel. L'amour de Dieu est un sentiment infini et absolu qui
n'admet aucune limitation rationnelle et n’emploie pas le langage d'un
culte rationnel ni d'une adoration rationnelle; la félicité en Dieu est
une paix et une béatitude qui dépassent toute compréhension.
La soumission à Dieu est une soumission de l'être tout entier à une
lumière, une volonté, un pouvoir et un amour supra-rationnels, et le
service de Dieu ne tient aucun compte des compromis avec la vie qui font
l'essence de la méthode de la raison pratique de l'homme dans la
conduite ordinaire de son existence mondaine. Certes, il existe toute
une catégorie de pratiques religieuses qui sont hésitantes, imparfaites,
à moitié sincères et pas très sûres d'elles-mêmes, et où la raison peut
avoir son mot à dire ; mais partout où la religion s'est vraiment
trouvée, partout où elle s'ouvre à son propre esprit, sa voie est
absolue et ses fruits sont ineffables.
La raison peut nous aider à débarrasser le religieux de ses oripeaux cultuels, superstitieux, dogmatiques, etc. Elle peut nous aider ainsi à pointer une entrée dans l'expérience spirituelle mais une fois introduit dans l'expérience spirituelle elle-même, le vécu suressentiel lui échappe.
Une certaine philosophie religieuse ou poésie spirituelle semble alors mieux capable d'exprimer le devenir de la prise de conscience de la conscience suressentielle en nous.
Ainsi il nous faut envisager une troisième voie ni religieuse ni rationnelle mais ni anti-religieuse et irrationnelle : la vie spirituelle comme développement d'une conscience suprarationnelle.
Seul un éveil spirituel général pourra apporter l’unité de la
race humaine. La religion n’est pas la même chose que la pratique du
yoga. Le yoga est une discipline spirituelle difficile, un long effort
soutenu pour découvrir la Réalité éternelle, la Source, l’Origine.
Toutes les religions sont fondées sur quelques aspects de cette Réalité
secrète et ont aidé beaucoup d’âmes à se libérer de ce matérialisme
d’airain, ont soutenu des êtres partout pour faire face à la tragédie de
la vie. Mais les religions n’ont pas réussi à apporter la fraternité
parmi les nations, sont sans pouvoir pour transformer la nature de
l'animal congénital de l’homme et n’ont pas pu amener l’homme jusqu’à
la Terre Promise.
Le yoga est la Lumière suprême éternelle. C’est l’aspiration sublime de
l’âme humaine à s’unir à l’Origine, la Réalité suprême, l’Absolu, l’Un
dans tous les êtres et les choses. Tandis que les politiciens et les
chefs religieux luttent pour posséder la terre et imposer leur volonté
sur la pauvre humanité, le Pouvoir Suprême qui forme la destinée de la
terre dans les plus infimes détails est en train de créer une nouvelle
race divine à partir de ce matériel encore rustre. La Nature est
toujours en mouvement et ne peut plus se satisfaire de ce produit
imparfait. Elle brille déjà de l’anticipation de cette Nouvelle
Création.
Est-ce notre nature profonde de servir la pulsion de mort ou est-ce seulement une des apparences qu'il nous faut dépasser en dépassant la conscience ordinaire que nous avons de nous-mêmes ?
Ce couplet vient facilement à la bouche quand on voit ces terroristes musulmans qui tuent à l'encontre de tout bon sens parce que c'est ce qui leur semblent le mieux à faire. Et en face il y a ces occidentaux d'extrême droite tout aussi prêts à s'adonner au meurtre dès que la légitimité sera de leur côté.
Et il y a ces gangsters qui abattent froidement une personne pour emmener la caisse, il y a ces psychopathes qui régulièrement tuent une vingtaine de personnes avant de se suicider , etc.
Et puis sur la route il y a ceux qui passeront au rouge pour arriver à l'heure, qui pour le fun vous doubleront sur la droite au moment où vous commencerez à vous rabattre, etc.
A vrai dire celui qui affirme la bonté de la nature humaine passe souvent pour un gentil illuminé dont la naïveté fait un peu sourire...
Les questions de Hobbes sur ce sujet sont bien vivantes. En effet, qui ne ferme pas sa porte à clé quand il part en voyage ? Qui ne prend pas un peu de précaution quand il fait un achat ou signe un contrat ? Cependant avec Rousseau entre autres, on doit concéder au naïf que l'empathie existe en l'homme quand il a une psychologie normale. N'importe qui peut être pris de compassion et de pitié pour un autre. [On trouvera ici les pièces de ce débat entre Hobbes et Rousseau que Kant essaie de solutionner en déplaçant]
Toutefois considérons lucidement les conséquences de cette affirmation selon laquelle "l'homme est un loup pour l'homme" :
1 - Sommes-nous capables de voir ce mal essentiel en nous ou nous exemptons-nous de cette généralité ?
Lorsque nous affirmons cela nous pensons rarement à regarder de notre côté. Nous ne sommes ni un psychopathe, ni un fanatique... Mais pourquoi eux et pas nous ? Notre société mondialisée produit dans ses marges tant de fous dangereux, saurons-nous nous interroger vraiment sur les causes éventuelles pour y remédier ? Il y a une banalité du mal dont nous nous déresponsabilisons bien vite et auquel pourtant nous participons incidemment en favorisant sa perpétuation. Et nous-mêmes regardons nous d'un peu plus près. Si nous n'avons jamais violenté et tué gratuitement même sous couvert d'idéologie, n'avons-nous jamais volé, trompé, trahi, accusé injustement ? Ceci dit battre notre coulpe apportera-t-il une solution ? Haïr le moi n'est pas le libérer de son mal. La solution religieuse qui consiste à avoir foi dans la grâce d'un sauveur paraît fragile. Notre soif du bien ne saurait être comblée par un acte de foi.
2 - Est-ce que cette affirmation nous sert d'excuse pour laisser courir ce qui court à la catastrophe en regardant ailleurs ?
La solution qui consiste à dire que, puisque tout le monde est pourri, nous pouvons prendre nos aises ressemble plutôt à une amplification du problème.
3 - Cette généralité nous amène-t-elle à des solutions ou à faire partie du problème ?
Celui qui voit la lumière intérieure sait que la conscience ordinaire est une conscience égocentrique illusoire.
Si on regarde comme indiqué ci-dessus on voit nettement que l'ego est périphérique et non au centre, seule la lumière intérieure est simultanément au centre de nous-mêmes, transcendant tout et partout englobant tout.
La conscience ordinaire semble toute entière se structurer autour d'un ego avec ses peurs et ses désirs d'abord au service de sa propre survie au centre. Axée autour de peurs et de désirs égocentriques, une conscience adhère toujours inconsciemment au fait que l'homme est un loup pour l'homme. L'empathie qu'elle peut ressentir parfois risque toujours être contrebalancée par ses intérêts et la peur de cette dimension égocentrique en l'autre qui peut aussi se rendre insensible à toute empathie...
Seul celui qui voit la seule et unique lumière intérieure en soi et en tout autre sait qu'elle est la source ultime de ce qui l'a individualisé jusque là et qui désormais pourrait l'amener à une individualisation en harmonie avec l'évolution cosmique, autrement dit il voit la source intérieure le singulariser comme un rayonnement d'elle-même en demeurant accueil inconditionnel de l'individualisation de tout autre voire en y contribuant.
Seul celui qui voit la seule et unique lumière intérieure de tout être sait que notre nature profonde n'est pas liée à la pulsion de mort. Il commence à entrevoir un acte pur et infini, partout et nulle part, autrement dit une vie sans mort qui peut se manifester dans la communion et l'amour.
Il sait que ce dépassement de l'égocentrisme de la conscience ordinaire n'est pas gagné en constatant que seule la lumière intérieure est au centre de la conscience. Mais en se laissant de plus en plus saisir et guidé par cette lumière son cœur s'ouvre. Le lieu intime où la lumière divine l'engendre et le fait grandir dans son cœur se découvre de plus en plus à lui comme ce qui mettra un terme à la bestialité encore persistante de l'humanité.
La sécurité civile est nécessaire pour limiter la pulsion de mort inhérente à l'ego. Au lieu de consacrer autant d'énergie à la seule sécurité civile au mépris parfois des intimités et donc des libertés publiques nous devrions développer une éducation visant à amener les personnes au dépassement de la conscience égocentrique. Nous savons aujourd'hui que le système éducatif est en échec quand quelqu'un en sort sans formation ou plus ou moins illettré. Un jour, nous reconnaîtrons l'échec de notre éducation quand l'individualisation d'un individu n'aura pas dépassé la conscience ordinaire égocentrique. Un jour le système éducatif mettra au centre l'émergence de l'âme.
Parfois, on peut regarder le soleil en face parce qu'il apparaît dans un voile de brumes.
Tel qui voit la lumière divine croit en être totalement illuminé puisqu'il semble qu'il la regarde en face et voit tout ce qu'il voit à partir d'elle. Mais qui lui assure qu'il n'y a pas un voile de brumes qui recouvre cette lumière intérieure ? On ne peut certes pas dire qu'il n'est pas illuminé puisqu'il voit tout à partir de cette lumière mais il n'en reste pas moins le plus souvent in-éclairé.
Des obscurités le traversent du cœur au corps ignorant encore tout des grandes vagues cosmiques où tout se trouve balloté et façonné.
L'homme illuminé n'est que fort rarement l'homme transfiguré dont l'illumination a fait de son cœur un brasier d'amour désintéressé. Rare l'illuminé qui ne craint pas d'être foudroyé de silence dans la seule lumière nue. Rare celui qui renonce à s'agiter, à se gargariser de ses belles pensées spirituelles et qui laisse toutes ses pensées s'évaporer dans le rayonnement purificateur de l'astre premier. Rare celui qui se laisse dorer et rôtir tout entier dans ce feu de vérité.
Tu auras beau réalisé être tissé de l'unique lumière suressentielle, tu resteras encore cet être à la vue embrumée tant que tu n'aimeras pas chacun et chacune comme le temple des rayons individualisés de l'unique soleil immuable.
Ainsi sincère tu sais que voir en la lumière spirituelle n'est qu'être libéré mais non transformé, qu'être illuminé est bien loin d'être transfiguré. Mais même si tu sais humblement ta misère tu peux avancer paisiblement dans la lumière. Sans effort tu te tiens dans la lumière, mais ton désir commence à peine à entièrement s'y redessiner. Si ta vraie nature est entièrement tissée de la lumière divine, ta personne y demeure capable de s'y relier plus ou moins. Ton aspiration à la perfection de l'amour suprême commence à peine à creuser dans ton cœur son temple tout entièrement consacré.
Et pour aller plus loin dans cette aspiration à une transformation par-delà la simple illumination :
La paix est une base nécessaire, mais elle ne suffit pas.
La paix, si elle est
forte et permanente, peut libérer l'être intérieur
qui devient alors le témoin calme et impassible des mouvements extérieurs.
C'est la libération du sannyâsî. Dans certains
cas elle peut libérer aussi l'être extérieur puisque l'ancienne nature se trouve rejetée au-dehors, dans
la conscience environnante. Mais là
encore il s'agit d'une libération, non d'une transformation.
Notre aspiration pour le Divin au début et encore pour longtemps est
recouverte avec des éléments inférieurs. Avoir une aspiration pure et
simple pour le Divin, Le connaître être possédé par Lui, n’appartenir à
rien d‘autre est un phénomène spirituel extrêmement rare. Notre sadhana
est de purifier notre aspiration. La plupart des difficultés sont
produites par des désirs impurs aussi sublimes et grands puissent-ils
paraître du point de vue humain. Nous devons naître à une aspiration
exclusive pour la Vérité divine. Pour donner une image nous sommes comme
des poissons qui aspirent à marcher sur la terre. Si nous restons
attachés à notre race nous demeurerons dans les mêmes eaux polluées et
le nouveau monde sera une chimère.
La présence d’aspiration est le signe qu’une nouvelle conscience est en
train d’émerger même si sa vision et ses capacités sont encore faibles.
C’est un mouvement évolutif vers une nouvelle race. Il n’est pas
question ici d’égoïsme. Car c’est l’Appel irrésistible de l’inconnu qui
peu à peu nous éloigne de la vie humaine vers une terre lumineuse et
pleine d’espoir, de joie et de délivrance. Notre aspiration est souvent
trop faible, brouillée et intermittente mais graduellement elle devient
plus ferme, puissante et efficace. Un temps vient quand nous ne sommes
plus effrayés par notre aspiration, et avons confiance dans le but
ultime de notre être le plus profond. Nous apprenons à avoir plus de foi
dans l’oracle qui commence à agir dans notre vie. Nous pouvons mesurer
notre foi par la qualité de notre volonté à suivre l’Appel divin. Quand
nous sommes prêts à tout faire pour le Divin, quand nous pouvons
accepter les conditions qui nous sont données par Lui, quand nous
sentons que c’est Lui qui en tant que personne, maître, ami, guide fait
pour nous tout ce qui est le mieux pour notre progrès et pour son
travail alors le vrai voyage commence.
Pourquoi les fessées, les gifles et même des coups apparemment anodins
comme les tapes sur les mains d’un bébé sont-elles dangereuses ?
Elles lui enseignent la violence, par l’exemple qu’elles en donnent.
Elles détruisent la certitude sans faille d’être aimé dont le bébé a besoin.
Elles créent une angoisse : celle de l´attente de la prochaine rupture.
Elles sont porteuses d’un mensonge : elles prétendent être éducatives alors qu’en réalité elles servent aux parents à se débarrasser de leur colère et que, s’ils frappent, c’est parce qu’ils ont été frappés enfants.
Elles incitent à la colère et à un désir de vengeance qui restent refoulés et qui s’exprimeront plus tard.
Elles programment l’enfant à accepter des arguments illogiques (je te fais mal pour ton bien) et les impriment dans son corps.
Elles détruisent la sensibilité et la compassion envers les autres et envers soi-même, et limitent ainsi les capacités de connaissance.
Quelles leçons le bébé retient-il des fessées et autres coups ?
Que l’enfant ne mérite pas le respect.
Que l’on peut apprendre le bien au moyen d’une punition (ce qui est faux, en réalité, les punitions n’apprennent à l’enfant qu’à vouloir lui-même punir).
Qu’il ne faut pas sentir la souffrance, qu’il faut l’ignorer, ce qui est dangereux pour le système immunitaire.
Que la violence fait partie de l’amour (leçon qui incite à la perversion).
Que la négation des émotions est salutaire (mais c’est le corps qui paie le prix pour cette erreur, souvent beaucoup plus tard).
Qu’il ne faut pas se défendre avant l’âge adulte.
C’est le corps qui garde en mémoire toutes les traces nocives des supposées «bonnes fessées».
Comment se libère-t-on de la colère refoulée ?
Dans l’enfance et l´adolescence :
On se moque des plus faibles.
On frappe ses copains et copines.
On humilie les filles.
On agresse les enseignants.
On vit les émotions interdites devant la télé ou les jeux vidéo en s’identifiant aux héros violents. (Les enfants jamais battus s’intéressent moins aux films cruels et ne produiront pas de films atroces, une fois devenus adultes).
A l’âge adulte :
On perpétue soi-même la fessée, apparemment comme un moyen éducatif efficace, sans se rendre compte qu’en vérité on se venge de sa propre souffrance sur la prochaine génération.
On refuse (ou on n’est pas capable) de comprendre les relations entre la violence subie jadis et celle répétée activement aujourd’hui. On entretient ainsi l’ignorance de la société.
On s’engage dans les activités qui exigent de la violence.
On se laisse influencer facilement par les discours des politiciens qui désignent des boucs émissaires à la violence qu’on a emmagasinée et dont on peut se débarrasser enfin sans être puni : races « impures », ethnies à « nettoyer », minorités sociales méprisées.
Parce qu’on a obéi à la violence enfant, on est prêt à obéir à n’importe quelle autorité qui rappelle l’autorité des parents, comme les Allemands ont obéi à Hitler, les Russes à Staline, les Serbes à Milosevic.
Inversement, on peut prendre conscience du refoulement, essayer de comprendre comment la violence se transmet de parents à l’enfant et cesser de frapper les enfants quel que soit leur âge. On peut le faire (beaucoup y ont réussi) aussitôt qu’on a compris que les seules vraies raisons de donner des coups «éducatifs» se cachent dans l’histoire refoulée des parents.
Alice Miller
(Chacun est libre de diffuser ce texte, sous condition de ne rien y changer.)
Si le raisonnement d'Alice Miller est juste, tout embrigadement idéologique est en fait basé sur la violence physique et/ou psychologique. Non seulement une idéologie intolérante qu'elle soit politique ou religieuse trouve grâce à une telle éducation des personnes obéissantes déconnectées très fortement de leur âme mais aussi elle pourra facilement intégrer la légitimité de la violence physique et/ou psychologique contre ceux qui s'y opposent.
LUTTER CONTRE LES IDÉOLOGIES PERVERSES ET INTOLÉRANTES PASSE DONC PAR UNE LUTTE CONTRE LES VIOLENCES ÉDUCATIVES.
Dans l'approche mémétique que propose la théorie de la spirale dynamique, tous les systèmes de représentations culturelles peuvent se ramener à une question d'équilibre entre le point de vue du développement de la conscience individuelle relativement à celui du développement de la conscience collective.
Cliquez sur l'image pour la voir en détail.
La violence éducative tant physique que psychologique met donc en jeu nos représentations culturelles.
On pourrait donc faire des hypothèses quant aux liens entre schémas culturels, éducation et usage de la violence éducative.
La violence éducative sans pondération est caractéristique du Mème rouge égocentrique ou du Mème beige de survie. Dans le Mème beige de la survie, l'enfant est constamment menacé d'abandon ou pire menacé au niveau de sa vie même d'être utilisé en vue de survivre. A ce stade les enfants sont encore mis bas comme les animaux et non élevés. A ce stade l'humanité est en péril.
Le Mème violet clanique mettra en valeur l'apprentissage par mimétisme. La violence sera expulsée en dehors du clan et celui qui se risque à la violence devra regagner la confiance du clan. La violence éducative du Mème violet clanique est plus psychologique que physique puisqu'elle menace d'exclusion un être qui se sait incapable de survivre en dehors du clan. L'enfant qui se sent abandonné ou se fait abandonner lui-même alors qu'il passe lui-même par ce stade clanique violet peut se laisser mourir... Mais du point de vue éducatif, l'éducateur émerge au stade violet : il élève l'enfant qui assure la continuité de la structure sociale qu'il a en vue.
Le Mème rouge qui valorise la force individuelle le plus souvent égocentrique soumettra l'enfant à l'ego de l'adulte par une violence qui signifiera à l'enfant sa faiblesse vitale au point que sa non soumission entraînerait la mise en cause de son intégrité physique. La famille clanique qui subsiste doit préparer l'enfant à grandir dans un monde violent. Quant la violence éducative devient une violence QUI MARQUE LE CORPS ET
TERRORISE L'ESPRIT, et qu'elle n'est pas proportionnée à la faute on se
situe donc surement dans la Spirale des valeurs entre le niveau Rouge et
Bleu.
La violence éducative pondérée mais récurrente (le coup légitimé par la faute) est intrinsèquement liée au traditionalisme, des formes de communautarismes fascisants ou fondamentalistes.Parfois ces systèmes de représentation réserve la violence physique pour les fautes graves mais elles disposent de tout un lot de contraintes et de menaces psychologiques pour justifier l'amour de l'autorité et de la tradition. Les techniques éducatives du niveau bleu visent alors essentiellement à l'obéissance à l'ordre. Il faut se sacrifier à l'ordre OU SACRIFIER A L'ORDRE. Les expériences de Milgram ont montré le poids de ce Mème dans les années qui précèdent la seconde moitié du XXème siècle.
Le Mème orange s'impose au Mème bleu par son efficacité qui fait autorité. Ainsi une population majoritairement bleue peut se faire se faire diriger par une minorité orange. L'éducation orange tant qu'elle vise l'efficacité convient très bien aux éduqués ayant le Mème bleu.
L'éducation moderne a promue la discipline et le travail pour éduquer. La sanction consistera souvent dans la disparition de la récompense prévue en cas d'exemplarité voire dans une dégradation du confort en terme de nourriture, de communication. L'approche moderne recourra à une violence psychologique plus qu'à une violence psychologique pour que l'individu ne suive pas ses impulsions ou ses habitudes mais agisse en suivant un raisonnement qui intègre ses intérêts aux intérêts sociaux.
Dans nos sociétés hypermodernes, Le Mème orange est dominant socio-politiquement mais il est sans cesse mis en cause par des Mèmes inférieurs (bleu, rouge, violet voire beige) car ses concessions politiques aux exigences du Mème vert pluraliste fragilise son efficacité et son autorité. D'où une crise certaine des modèles éducatifs.
Le terrorisme politique et religieux mais aussi le totalitarisme politique sont alors parfois des tentations. Souvent ces violences sont des réactions pour éviter que les agressions subies ne finissent par se retourner contre soi sous la forme d'états dépressifs, schizo-affectifs, borderline, etc. typiques de celui qui vit avec des troubles post-traumatiques.
Au-delà du modernisme, l'humanisme postmoderne (vert) met en cause la violence car il devient de plus en plus évident qu'il faut se défaire de la concurrence, de la compétition, etc. en faveur de la coopération ou de l'émulation. Le stade vert postmoderne met le dialogue et la non violence au centre de ses valeurs éducatives. La difficulté est d'alors d'affronter le stade rouge par lequel les enfants passent (connus comme étant le stade de l'opposition). Pour faire à ce stade sans retomber dans la violence éducative tant physique que psychologique il faut développer une solide maîtrise de nos émotions de colère, d’irritabilité ou d'agressivité. Pour faire face au stade rouge il faut de la compassion pour la personne qui en est là et est donc incapable de faire attention au point de vue de l'autre. La punition sera plutôt vue comme un système coercitif en vue d'une réhabilitation de l'ego au point de vue de l'autre. On aura dépassé l'angélisme éducatif du stade vert qui souvent ramène à la bestialité pour le Mème jaune qui commence à percevoir une éducation pour une mentalité en évolution à travers divers stades.
Ici l'éducateur aura tendance à aller au-delà d'une psychologie des représentations mentales et de l'intelligence émotionnelle pour envisager d'être au plus intime de soi au service de la seule et unique conscience pure où s'enracinent toutes les formes de lucidité. Car cette seule et unique conscience se déploie et cherche à se manifester de plus en plus consciemment en l'autre et à travers l'autre. Ce sera le stade turquoise où l'éducation est au service d'une attention élargie.
De là on en vient si on se libère de toutes nos forteresses mentales à servir le principe d'individualisation de la conscience transcendante et universelle à l’œuvre en l'autre. On serait alors une âme en évolution à la fois dans sa singularité et dans sa participation à celle de l'univers. L'éducation corail consisterait à se mettre au service d'une autre âme elle-même en évolution.
Voici donc pour finir une réécriture de la spirale dynamique du point de vue de l'éducation et de la violence telle qu'elle se la représente.
Louis Lavelle dans Le mal et la souffrance, deuxième essai, décrit la communion proprement spirituelle et je montre entre crochet comment une spiritualité authentique implique dès lors le dépassement de la relation d'enseignant spirituel (maître) à enseigné (disciple) :
Cette troisième espèce d’influence
qui ne va point de l’individu à l’individu, soit dans le même sens[première forme d'influence], soit dans un sens réciproque, [deuxième forme d'influence]mais qui découvre aux individus une source universelle dans laquelle chacun d’eux puise à la fois la lumière qui l’éclaire et la promesse d’un infini développement, cette influence dont l’individu est l’instrument
et non pas l’agent peut
être nommée elle‑même trans‑individuelle.
Elle réalise d’une certaine
manière la synthèse des deux précédentes et donne à chacune d’elles sa valeur et sa signification. Car le prestige d’un individu[première forme d'influence]asservit toujours celui qui le subit, au lieu
que l’ascendant d’un idéal dont l’individu est l’interprète
libère celui qui le contemple par son moyen, et qui s’oblige à le faire vivre en lui, d’une vie qui est aussi la sienne. Et l’influence mutuelle des individus n’enrichit et ne dilate chacun d’eux, au lieu de les resserrer plus étroitement dans leurs
propres frontières[effet souvent du deuxième type d'influence], que si elle emprunte les ressources dont elle dispose à un
principe dont ils dépendent l’un et l’autre et auquel ils doivent s’unir d’abord pour
devenir capables de s’unir entre
eux.
En disant que les biens spirituels ne peuvent pas être
dissociés de la personne même qui les possède et les met en œuvre, nous
voulions dire qu’on ne peut
jamais les considérer comme des choses toutes faites qui pourraient nous être
données et que nous n’aurions qu’à recevoir :
il faut sans cesse les acquérir. Celui dont nous pensons qu’il est capable de nous les communiquer s’est fait lui-même en les faisant siens ; il nous invite à nous faire nous-même en les partageant[Ceci peut concerner une relation maître-disciple].
Dès lors, nulle influence n’est bonne
que si elle permet à la personne de se constituer, au lieu de l’obliger à s’effacer et à abdiquer [Le maître authentique ne confond pas l'humiliation de l'ego avec un dépassement de l'ego qui permet davantage à l'individu de s'individualiser en harmonie avec l'évolution de l'univers.]. Affirmer la valeur d’un autre être, ce n’est pas reconnaître en lui une individualité que la nature a comblée de ses
dons : c’est admirer l’usage qu’il en fait et qui nous invite à faire de ceux que nous
avons reçus un usage aussi beau. La valeur n’est pas enfermée dans les limites de l’individualité : elle réside
dans son emploi, qui la surpasse toujours, et qui crée l’originalité même de la vie spirituelle. Il n’y a personne qui soit né ce qu’il doit être, et il n’y a personne non plus qui le soit jamais devenu, c’est‑à‑dire qui soit arrivé [contre l'idée d'un maître parfait qui ne serait plus lui-même sur le chemin]. Mais personne ne progresse
autrement qu’en sortant
de soi, c’est‑à‑dire
en triomphant de cet attachement à lui-même qui le sépare des autres êtres. Et
tous, en s’évadant d’eux‑mêmes, brisent également les murs de leur prison ; ils retrouvent alors l’immensité du ciel libre sous lequel ils communient[Dans la tradition spirituelle chrétienne, Jésus insiste sur le fait que devenus conscient de cette communion, il convient de parler d'une relation d'amitié : "Je
ne vous appelle plus esclaves, car l'esclave ne sait pas ce que son
maître fait ; mais je vous ai appelés amis, parce que je vous ai fait
connaître tout ce que j'ai ouï de mon Père.", Jn 15,15. Toute relation maître-disciple qui confine à l'adoration relève du deuxième type d'influence. La relation maître-disciple, enseignant-enseigné accomplie doit être dépassée aussitôt que possible par celle de communion].