Si Cela est ce qu'il y a, tout ce que je peux dire s'éloigne du vécu perceptif de l'Il y a.
Quand Parménide dit en grec translittéré :
To gar auto noein estin te kai einai
Les traductions de Parménide associe l'Être et la pensée :
Être et penser ne sont qu'une même chose.
Mais le terme "pensée" n'est peut-être pas à comprendre comme représentation, pensée analytique. Alina Reyes le précise dans sa tentative de traduction du Poème de Parménide :
"Noein signifie penser, mais plus précisément se mettre dans l’esprit, percevoir (avec une continuité sémantique temporelle : percevoir, comprendre, projeter, faisant signe d’un processus – Parménide n’est pas le penseur de la fixité que l’on dit, même s’il voulait l’être la langue grecque le lui éviterait)"
Dès lors on pourrait traduire :
L'il y a et le processus perceptif
ne sont qu'une même chose.
Platon construit une ascension vers la source de ce qui est au-delà des idées et du sensible. Si on prend au sérieux que l'absolu est le réel, tout ce qu'il y a ici et maintenant l'est. Il y a un débat possible entre une spiritualité platonicienne où l'absolu se perd dans le relatif et une spiritualité parménidienne où il n'y a que Cela.
Dans les spiritualités platoniciennes l'absolu se perd. En un sens, on est proche de l'advaita qui affirme l'illusion des apparences pour seulement s'absorber dans la lumière du Soi en deçà des apparences qui se manifestent.
On peut dire de ces spiritualités qu'elles sont non dualistes, puisque tout ce qui est est, selon elles, une émanation de l'absolu. Mais dans l'émanation, il y a une perte de vue de l'absolu, une auto-illusion qui s'immisce. Dans ces spiritualités, l'absolu se perd. Il y a un moindre être. La lumière de l'être s'évanouit dans une obscurité. Il y a un moindre être que certains à partir de Plotin vont associer à une absence d'être, un néant. On affirmera que le divin crée ex nihilo. Toute créature est néant devant l'Être divin, diront les monothéistes qui prolongent ces spiritualités où quelque part l'absolu se perd...
Dans les spiritualités à résonance platonicienne, nous mortels, nous nous tournons vers ce qui se perd dans l'émanation. Nous sommes doublement matérialistes : matérialiste au sens où nous nous focalisons sur ce qui apparaît à nos sens au dépend des réalités de l'esprit et aussi matérialistes au sens où nous voulons accumuler de l'avoir. Dans ces spiritualités, il y a une conversion pour nous tourner vers le spirituel et nous détourner de la seule attention à l’émanation relative matérielle.
Ce que nous inspire Parménide ici, c'est que tout est Cela, au même titre. Tout ce qui apparaît est manifestation de l'Il y a ; non pas même manifestation, mais surgissement de l'Il y a. La matière est Cela comme l'est l'esprit et, d'ailleurs, ce sont des variations du même Être. Dans cette relecture parménidienne de la spiritualité, nous devons autant être attentif à la dimension matérielle de Cela qu'à sa dimension immatérielle.
Dans une optique parménidienne, l'erreur n'est pas de se perdre dans le matérialisme, de vivre dans les seuls aléas du relatif tournant le dos à la lumière de l'absolu. L'erreur est une illusion narrative, culturelle. C'est un dire qui se prend au sérieux illusoirement : il fait de lui un sujet et fait de ce qu'il désigne un objet. La perte de vue de Cela est due au monde des opinions, des représentations partielles d'un ensemble de phénomènes. Le dire, les mots sont mis avant la conscience de Cela qui est pourtant première. C'est notre conscience mentale qui découpe Cela en plus ou moins. Et toutes les spiritualités qui affirment échapper au mental ne peuvent s'empêcher de perpétuer un subtil découpage : on découpe, selon un plus et un moins, liberté et déterminisme, personnel et impersonnel, esprit et matière, individuel et universel, immanent et transcendant, etc.
Vivre la conscience de Cela serait simplement avoir conscience de notre réalité. Où est le problème alors ?
En fait, nos représentations, nos techniques, nos opinions nous ont habitué à vivre dans des sélections de phénomènes. Certains phénomènes sont imperceptibles alors qu'ils sont bien là. Ils peuvent avoir été vus, perçus et ils ne le sont plus la plupart du temps. Certains aspects des phénomènes sont négligés, alors qu'ils forment la substance de leur émergence.
A la différence de Parménide, je dirai qu'il y a de l'inconscient même si nous percevons Cela. La perception claire de Cela est trop peu distincte. Toutefois découvrant un inconscient, il y a de nouveau le risque de remettre de la dualité en Cela. Platon découvre une surconscience de Cela, mais il induit que la matière est un évanouissement de conscience de Cela. Nous contestons cette réinstallation de la dualité en Cela au nom d'un néant ou d'un autre que l'être. Pour nous, avec ces ré-instaurations, il n'y a pas la conscience (perceptive) pleine et entière de Cela.
La vie pleinement vécue inclut tout le réel, tandis que nos représentations, nos opinions, nos croyances nous amputent du réel. Là où ces mouvements cessent, ce sont les ténèbres lumineuses de Cela et non un autre que l'être, un néant.
Quand nous avons une nostalgie spirituelle, elle nous amène souvent à des représentations proches de celles des platoniciens. Il y a de l'absolu et du relatif ; du divin immuable et du relatif impermanent, etc. Le devenir est jugé inférieur à l'Etre.
Dans des spiritualités prenant au sérieux l'inflexion parménidienne, Cela est Etre et Devenir, indissociablement.
Les phénomènes ont tous leur racine dans un acte pur, un mouvement d'émergence dont la présence ne prend pas de temps. Tout mouvement qui prend du temps prend sa source dans le mouvement sans temps. Chaque moment du temps est en suspension comme la flèche de Zénon dans l'Etre immuable.
Et ces moments en suspension s'interpénètrent dans une durée unique. En la percevant, il y a la perception d'un mouvement parfaitement inscrit dans la perception de l'immuabilité de l'Être.
Lavelle et, peut-être à un moindre degré, Bergson sont des héritiers de Parménide. Bergson estime que le néant n'a pas de sens. Lui comme Lavelle ne cessent de pointer l'unité de l'Être et du Devenir... Lavelle, en plus, affirme l'unité en nous de la temporalisation de l'éternité et de notre essence éternelle.
Il n'y a pas des phénomènes "objet" et des phénomènes "sujet" hormis en s'illusionnant, en faisant des fictions des certitudes qui nous détournent de l'Il y a. Tous les phénomènes ont la même dignité d'être.
La liberté et le déterminisme ne font qu'un quand l'il y a d'une autodétermination éternelle et sa temporalisation sont vus comme un. Le transcendant et l'immanent ne font qu'un quand le multiple et l'un coïncident. Ceci n'est pas qu'une pensée si, en nous, la vie se découvre de plus en plus comme l'un innombrable. Le personnel et l'impersonnel sont le visage et la vibration d'un même acte. Là encore, ce n'est pas une simple métaphysique si nous sommes une individuation de la vie et que celle-ci grandit à travers une âme cachée en nous. L'individuel et l'universel sont peut-être réciproquement un microcosme et un macrocosme d'une même sphère harmonieuse si vraiment nous pouvons devenir conscient du processus évolutif de la vie.
Le phénoménisme dans son sens fort n'est ni un matérialisme ni l'affirmation d'un immatérialisme d'un esprit dans lequel les phénomènes apparaissent et dont ils seraient la manifestation. L'absolu est l'apparition du tissu phénoménale sans hiérarchisation aucune.
Voici une vision en première personne :
n'est-ce pas la sphère parménidienne de l'être qui se révèle ici ?
AVEC CETTE VISION SANS TÈTE
PROPOSÉE PAR DOUGLAS HARDING
VOICI CELA IMMÉDIATEMENT
SANS DISCONTINUITÉ
UNIQUE PRÉSENCE
IL N'Y A PAS
UN OBSERVATEUR DE CELA
IL N'Y A QUE CELA
CELA SE TIENT AU DESSUS DE CES ÉPAULES
Regardez attentivement ici, il y a tout ce qui est, mais il est difficile de ne pas succomber à l'opinion qui "dit" qu'il y a du là-bas.