vendredi 1 janvier 2010

SEULE LA JOIE LIBERE DE L'HORREUR.


Etre chrétien, c'est quoi ?
Il faudrait souffrir cette vie de mort, avoir foi au Dieu crucifié et ressuscité et attendre qu'il me relève des morts quand le temps de ce monde sera à son terme. Il faudrait que ressuscité, il me purge du mal dans la souffrance réparatrice. Et le tour serait joué. La victoire contre la mort consommée, tout serait bonheur et parfait, amour s'aimant en tous...
Alors en attendant, je ferai quelques efforts pour aimer le prochain, je lui céderai ma place confortable dans le train ou le bus. Ravaler de temps en temps mon amour propre de travers...

Et puis surtout quand la vie me frappera de la catastrophe, de la maladie, de l'injustice alors broyé de douleur je saurais plus qu'un autre mon salut.

Religion misérable, religion de la douleur et de la misère...


Plus le monde va sans dessus dessous, plus le douloureux se réjouit : Dieu se rapproche...

Même chez les athées ou les areligieux occidentaux, il reste quelque chose de cette fascination pour l'horreur, il y a une complicité intérieure avec cette horreur auréolée de douleur et de tristesse. On invoquera la nécessité de s'indigner, une "sainte colère" athée en quelque sorte. Mais cette indignation, cette "sainte colère" reste un déplacement de la tristesse et de la douleur qui prépare le surgissement d'un autre complice de l'horreur : la violence destructrice qu'elle soit révolutionnaire, terroriste, religieuse, etc.

Seule la joie ne peut pas être complice de l'horreur.

Sans la pure joie d'être, le diagnostique sur l'horreur sera faussé. On établira des responsabilités individuelles et on ne verra pas que toute l'horreur se nourrit d'une infirmité de joie d'être.

Cette joie d'être peut être aperçue si on sait voir la vacuité de conscience qui pénètre toute chose, tout phénomène y compris ceux qui expriment l'horreur. Mais si on se tourne vers cette vacuité exclusivement la joie d'être se portera juste sur l'image de la joie d'être que nous sommes. Certes on pensera à la partager mais au fond on aura la pensée que ce monde court à sa perte.

Il y a une autre qualité de joie d'être qui elle se tourne vers l'horreur du monde. Rien n'est contre la joie d'être alors. L'obstacle est alors notre incapacité à faire un pont de la joie d'être vers la chair du monde.

Approchons cette joie avec Sri Aurobindo (cité ici aussi par Mudita) :

Je suis devenu un océan blanc-d’écume de béatitude,
Je suis une vague onduleuse du délice de Dieu,
Un flux sans forme de lumière heureuse et passionnée,
Un tourbillon dans les rivières du Paradis.

Je suis une coupe pour Ses félicités,
Le coup de foudre de la puissance de son extase en or,
Un feu de joie au sommet de la création,
Je suis l’abîme merveilleux de son ivresse.

Je suis ivre de la gloire du Seigneur,
Je suis vaincu par la beauté du Non-né ;
J’ai regardé, vivant, la face de l’Eternel.
Mon mental fut pourfendu par Son épée irradiante,
Mon cœur déchiré par Son toucher de béatitude.

Ma vie est une poussière de météore de sa Grâce enflammée.

29 Septembre 1939 / 21 Octobre 1939

Et dans Le labeur d'un Dieu, il décrit comment cette joie surmontera toute l'horreur. Nous citons quelques extraits prélevés ça et là :

Une voix a crié : "Va où nul n'est allé !
Creuse plus profond et encore plus profond
Jusqu'à ce que tu arrives à l'inexorable pierre de fond
Et frappe à la porte sans clef."

[...]

J'ai creusé à travers le terrible coeur muet de la Terre
Et entendu le bourdon de sa messe noire.
J'ai vu la source d'où partent ses agonies
Et la raison intérieure de l'enfer.

[...]

Sur une dernière marche désespérée mes pieds se sont posés
Armés d'une paix sans borne
Pour apporter les feux de la splendeur de Dieu
Dans l'abîme humain.

[...]

Le gouffre entre les profondeurs et les hauteurs est comblé
Et les eaux d'or se déversent
Au fond de la montagne de saphir silloné d'arc-en-ciel
Et miroitent de côte en côte

Le feu du ciel est allumé dans la poitrine de la terre
Et les soleils immortels brûlent ici

NB : ce jugement sévère sur le dolorisme occidental qui s'enracinerait dans l'idée du Dieu crucifié serait à nuancer par cet article qui étudie ce que nous permet d'explorer la prière du coeur chrétienne. Certains théologiens ouverts au dialogue entre chrétiens estiment d'ailleurs que l'essentiel de la spiritualité et de la théologie orthodoxe est plus axé sur la victoire contre la mort.

2 commentaires:

a dit…

Vous me faites sourire, on dirait les propos d'un adolescent révolté.

Vous savez, on peut tout aussi induire que ce jugement sévère est une manifestation d'incompréhension qui véhiculent parfois des clichés que l'on s'évertue à perpétuer.

Il y a beaucoup à dire, c'est un long héritage que celui du christianisme, et qui s'est mêlé à la grande Histoire, évacuez-le par du simplisme et vous jetterez le bébé avec l'eau du bain.
Autant dire l'Occident tout entier..


Bonne continuation.

Serge Durand a dit…

"Vous me faites sourire" : vous moquez-vous du propos ? Si je vous semble un adolescent révolté alors je ne crois pas que cela prête à sourire. Kierkegaard avait des mots semblables contres les chrétiens de son temps qu'il jugeait comme lui-même indigne se s'appelait chrétien. On manque tellement d'adolescents révoltés devant la montée de l'horreur et la complicité des cyniques de tout poil. Mais une révolte de gens qui sont frustrés ou tristes n'a aucun intérêt et là je vous suis. Une révolte joyeuse qui submergerait tout sous un flot d'amour authentique, voilà qui serait noble.

Maurice Bellet, un chrétien digne de ce nom, dans son travail sur le Dieu pervers ne sourit guère face à la déformation doloriste de la Bonne Nouvelle que j'évoque. René Girard, un autre chrétien qui me semble charitable verrait aussi dans ce post la dénonciation d'un christianisme sacrificiel (au mauvais sens du terme) qui a quelque peu entâché la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ. Et pour avoir parcouru internet : j'ai trouver d'innombrables expressions chrétiennes pervertissant la joie radicale de la Bonne Nouvelle. J'ai aussi de nombreux ami(e)s qui ont reçu une éducation chrétienne en ce sens, etc. Culpabilité, sacrifice, etc. au service d'une vie étroite et attentiste.

J'avoue que j'ai eu dans mon éducation chrétienne et mon cheminement religieux chrétien beaucoup de chance de ne pas avoir affaire à des gens qui faisaient fi des questions honnêtes en les évacuant par une pirouette dogmatique. J'ai eu sur mon chemin de nombreux chrétiens habités par le désir d'une Bonne Nouvelle qui se partage dans le dialogue interreligieux, dans le questionnement philosophique et aussi dans la recherche d'une transformation spirituelle ouverte au feu de l'Esprit qui souffle où il veut.

Je reviens au centre de ce message qui je l'espère peut être entendu et repris par un authentique disciple de Jésus-Christ : "seule la joie libère de l'horreur". Il est étonnant qu'on entende plus le sens des mots quand le vocabulaire et les références ne sont plus celles auxquels nous sommes attachés. Est-ce là l'aveuglement religieux ? Non, plus largement c'est là l'oeuvre de la forteresse mentale que nous dressons contre l'Esprit. Jésus lui dans l'Esprit Saint reconnaissait la sagesse du centurion qui pourtant était païen. Il distinguait le blasphème contre lui du blasphème contre l'Esprit.

Les Pères de l'Eglise se sont nourris de la philosophie greco-romaine qui était païenne. Sri Aurobindo auquel je me réfère ne demandait pas de renoncer au christianisme... Noutte Genton-Sunier une de ses disciples a une relecture remarquable du christianisme bien sûr débarrassé de dogmatisme intolérant et d'ethnocentrisme. Entendre l'Esprit qui souffle où il veut n'est pas chose facile sans sa grâce...

Votre sens de la lecture aura donc surement été quelque peu superficiel. La preuve la plus flagrante en est que vous oubliez de lire le Nota Bene en bas de ce message. J'y indique que ma recherche spirituelle a su se nourrir d'un certain christianisme. En visitant le lien internet que je place en bas de cet article, vous auriez pu vous faire une idée plus précise de mon rapport à la foi chrétienne.