samedi 26 novembre 2016

COMMENT COMPRENDRE LE VIRAGE NEOCONSERVATEUR DU POINT DE VUE EVOLUTIF DES MENTALITES ?





Je suis un défenseur de certaines valeurs de la modernité. Elles sont toujours à défendre plus que jamais.

L'égale dignité des personnes quelles que soient leur apparence, leur âge et leur sexe doit être défendue coûte que coûte à l'encontre de toutes les dominations injustes. La liberté de conscience doit être préservée à l'encontre de tous les fanatismes. Être à soi-même sa propre autorité par le biais de l'argumentation rationnelle et bien sûr d'une démarche expérimentale me semblent central humainement à l'encontre de tous les obscurantismes.

Je me sens donc inscrit dans une filiation humaniste moderne mais observant combien le projet moderne humaniste demeure inachevé je perçois la nécessité de son renouvellement.

Mais je ne suis pas non plus en total rejet contre la postmodernité et son questionnement de la modernité.


La modernité a opposé les science (les faits objectifs) et les valeurs universalisables (les valeurs objectives) à l'obscurantisme et à l'autoritarisme prémoderne.

Cependant la condescendance moderne pour le "primitif" ou les cultures prémodernes a elle-aussi justifié bien des crimes. L'assurance moderne pour sa science a produit les causes d'une catastrophe écologique sans précédent. La valorisation moderne de l'enrichissement et du consumérisme doit être questionnée urgemment.

Le meilleur de la postmodernité nous a appris à prendre en compte ces points. Et surtout il nous a appris ainsi à réentendre un fond spirituel prémoderne dans une langue audible pour un moderne.

Toutefois le postmoderne a aussi souvent malheureusement permis de réhabiliter socialement ce qu'il prend, lui, pour un folklore entourant ce fond précieux sans voir qu'il scie alors la branche moderne qui lui permet d'exister.

La postmodernité tout en mettant en doute l'objectivité universaliste a revendiqué un statut pour un individu s'individualisant à travers des valeurs subjectives. Ceci lui a permis des alliances de circonstance avec la modernité mais la postmodernité ne parvient plus aujourd'hui à s'allier à la modernité comme elle a pu le faire autrefois pour empêcher le retour du communautarisme prémoderne national. Elle s'est disqualifiée en permettant l'installation de communautarismes ethniques fragilisant l'unité nationale. Mais cet échec s'il est celui qui en marque l'impasse politique en masque d'autres.

En France, les formes de social libéralisme plus ou moins libertaires de centre gauche qui formaient une telle alliance n'obtiennent plus de résultats probants face à la crise évolutive en cours dans ses composantes écologique, économique, familiale, culturelle et religieuse. La reconnaissance politique d'un mariage homosexuel a cristallisé une réaction prémoderne antilibertaire nationale. Personne ne semble voir qu'est ici en jeu une lutte salutaire contre les prémodernités dans leur ensemble. Au lieu de cela politiquement on va vers un affrontement des prémodernités, chacune s'appuyant sur des alliances plus ou moins improbables avec la modernité contre les autres prémodernités
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Dans les pays occidentaux actuellement, les Trump, les nouveaux conservateurs anglais, les populistes en Hongrie, en Bulgarie et en Moldavie, tous plus ou moins amis ou admirateurs de Poutine, paraissent l'emporter. En France aussi, les nouveaux conservateurs ont le vent en poupe. Une part de la modernité participe aujourd'hui contre la postmodernité à des alliances contre-nature avec une prémodernité jouée contre les autres : il y a désormais prédominance politique d'un socialisme ethnocentrique et/ou d'un ultralibéralisme économique sociétalement conservateur voire réactionnaire sur le plan des mœurs. 


Le socialisme ethnocentrique «républicain laïque» est la seule option qui ne semble pas épuisée mais nous savons, nous qui assumons notre postmodernité libertaire politiquement que c'est un succédané des fascismes racistes et antidémocratiques, un recyclage d'une alliance catastrophique entre modernité et prémodernité.

MAIS TOUTES CES MENTALITÉS POLITIQUEMENT ET MÉDIATIQUEMENT SUR-REPRÉSENTÉES S’ÉVERTUENT A NIER DES DIMENSIONS DE CETTE CRISE. CHACUN S'ARRANGE POUR NE PAS VOIR QU'ELLE EST BIEN UNE CRISE ÉVOLUTIVE.
Ces positions mentales subiront de cuisants échecs jusqu'à ce que cette réalité soit reconnue et acceptée. Tant qu'une démarche holistique au sens intégraliste ne sera pas vraiment envisagée, nous irons d'échec en échec voire nous subirons des tragédies encore plus douloureuses que celles rencontrées récemment dans les divers domaines de la crise évolutive.

LA CRISE ÉVOLUTIVE EN COURS comprend une dimension écologique mettant en cause nos options technoscientifiques, une dimension économique où l'enrichissement global conduit à des inégalités de revenus inquiétantes qui rend non crédibles les solidarités nécessaires pour fonder une fraternité, une dimension psychologique dans la mesure où violences familiales perdurent et prennent une infinité de visages produisant des individus fragilisés et à leur tour déstructurant socialement, une dimension culturelle et religieuse où les désirs de sectarismes ou de sécurités nationales l'emportent sur les solidarités et la bienveillance universalistes, etc.

La redécouverte du fait subjectif de la conscience non égocentrique et de son authenticité ouvre de nouvelles configurations possibles d'une alliance entre modernité et postmodernité sous la houlette d'une hypermodernité s'imposant enfin comme une nouvelle composante distincte des deux autres.

Il n’y a pas d’un côté un subjectivisme des valeurs plus ou moins vivifiantes et ouvertes (la postmodernité couvrant un retour de la prémodernité) et de l’autre un objectivisme des énoncés falsifiables ou critiquables donc plus ou moins valides (la modernité). Il y a une manifestation de la vie intérieure intégrant plus ou moins de vitalité et conquérant plus ou moins son inconscience matérielle.



Le jaune systémique et l'holisme intégral turquoise forment aujourd'hui les premières mentalités du deuxième palier dans la spirale dynamique de Don Beck et Clare Graves popularisée par Ken Wilber et ses lecteurs. Naturellement ces mentalités ne s'opposent pas les unes aux autres comme dans le précédent palier : le jaune reconnaît l'interdépendance de toutes les mentalités dans un développement humain et le turquoise représente un dépassement de l'individualisme déjà relatif du stade jaune.

Je désigne comme hypermodernité l'alliance spontanée des mentalités du deuxième palier qui tirera sa force d'une capacité à réorganiser une alliance solide et définitive des mentalités modernes et postmodernes autour d'elle.


Une hypermodernité au sens le plus profond fera du mental un instrument au service d'une spiritualité intégrale. Il favorisera pour chacun un développement mental par les divers stades de la spirale dynamique mentale mais enfin débarrassé des pesanteurs et tragédies humaines prémodernes, des obsessions rationalistes aveugles modernes et des tergiversations affolantes postmodernes. 


Nous autres hypermodernes avons compris que la spiritualité doit être au centre. Nous savons que la démocratie représentative est insuffisante car un système politique qui exclut en les frustrant un nombre de plus en plus grand des citoyens de la représentation majoritaire est très fragile. Spirituellement nous voulons une démocratie qui vraiment exprime une intelligence collective et non une lutte de pouvoir policée. Seule une intelligence collective peut relever le défi écologique auquel nous faisons face : nous ne pouvons plus nous permettre une lutte d'intérêts économiques à peine masqués derrière des options politiques. Nous savons aussi que pour émerger du premier palier, il faut sortir les personnes de la nécessité de gagner leur vie en luttant, en se compromettant, etc. Si être sa propre autorité est un fondement d'une spiritualité libérée du carcan religieux prémoderne, on facilitera cette émancipation en offrant le pouvoir d'être libre matériellement de ses attaches familiales et communautaires.

Je suis proche de penseurs intégralistes comme Wilber mais plus encore de spiritualistes intégraux comme Sri Aurobindo, Mère, Satprem ou Niranjan Guha Roy. Ma réinterprétation du deuxième palier de la spirale dynamique est liée à l'idée que la crise évolutive en cours est tout la crise évolutive de la conscience humaine dont le propre est d’être mentale.

Toutes les actions mentales technologiques, technocratiques et les systèmes de pensée politique feront faillite s'ils prétendent se penser en dehors d'une intégration décisive d'une dimension spirituelle non mentale. Nous devons développer socialement une intuition directe et non mentale du spirituel. Nous avons besoin d'intuitions surmentales non pas pour les fossiliser en nouveaux systèmes mentaux mais pour ouvrir des nouveaux chemins de conscience. Si la crise évolutive en cours est une crise de la conscience mentale humaine, cela ne saurait suffire. Favoriser socialement les intuitions surmentales comme celles caractéristiques d'une ouverture du cœur ou du génie créatif permettrait d'envisager plus sereinement le saut évolutif au-delà du mental que la crise évolutive en cours exige.

Car si l'évolution de la conscience n'est pas un mirage pourquoi ne pas croire possible (étroitesse mentale sinon) et espérer un saut supramental dans nos corps même...

La visiothérapie spirituelle qui est évidente pour moi aujourd'hui est aussi une aventure qui met en jeu un bouleversement physique. J'en suis personnellement à l'aube et je ne sais si je vais être capable de passer certains caps forcément délicats mais j'ai déjà croisé en personne des êtres qui eux témoignent d'une telle expérience de manière convaincante.



POUR UN NOUVEL HUMANISME SPIRITUALISTE.




A l'heure de tous les délires identitaires prémodernes (communautarismes dogmatiques et fermés), modernes (économismes et scientismes ininterrogés) et postmodernes (narcissicismes divers), servir la lumière spirituelle implique de constituer un nouvel universel commun dont la France autrefois fût déjà une pourvoyeuse pour l'humanité.
Notre diversité loin de sombrer dans les communautarismes a besoin d'une fraternité refondée sur ce nouvel universel. 
Dans Dieu par la face Nord, Hervé Clerc apporte une contribution de premier plan à ce projet. Il écrit[1] :


« Les humanistes d’autrefois travaillaient dans l’ombre de la croix, doublement. D’abord parce qu’il existait autour d’eux une chrétienté, et secondement parce qu’ils devaient  étendre leur bras, démesurément et en sens opposé, pour concilier deux cultures de sensibilité contraire : la culture judéo-chrétienne et la culture gréco-romaine, Jérusalem et Athènes. Le choc de ces deux plaques tectoniques a produit le feu follet nommé « Europe ». Les humanistes se tenaient sur la ligne de fracture, inclassables, toujours en travail, avec en ligne de mire l’universel, lequel n’est jamais atteint.

Aujourd’hui, ce travail est devenu plus compliqué que par le passé. Car ce ne sont plus deux pelotes que l’humaniste doit  dénouer pour parvenir à une vision ouverte du monde mais trois : les monothéismes en incluant l’islam ; le pôle grec, porteur de l’indispensable pensée critique ; les pôles indiens et chinois.

La conciliation se révèle vite impossible si l’on reste à la périphérie. L’humaniste de la Renaissance allait chercher l’unité où elle se trouve : au centre. Et de l’intuition, ou mieux de l’expérience qu’il avait du centre, il repartait en tâtonnant vers la périphérie. En chemin, il s’efforçait de relier, conjoindre, articuler, comme dit Roger-Pol Droit. Jamais il ne se résignait au cloisonnement. Ce faisant, l’humaniste, homme du large, entrait inévitablement en conflit avec les esprits étroits, littéralistes, intégristes, spécialistes, à la pensée fixe, provinciale, enclavée, dont l’activité favorite, hier comme aujourd’hui, est la morne sodomie des mouches.

On l’accusait, on l’accuse encore de syncrétisme, panthéisme, concordisme, salade niçoise. Mais lui sait ce que ses adversaires ignorent : que la vérité étouffe dans leur carcan ou plutôt qu’elle s’en est échappée depuis longtemps, à tire d’aile, car la vérité ne vit pas ni ne respire dans des carcans, et qu’il convient à présent, dans ce présent que nous nommons la « modernité », de faire comme elle. »


[1]. Hervé Clerc, Dieu par la face Nord, Albin Michel, 2016, p.87-88.