Etre chrétien, c'est quoi ?
Il faudrait souffrir cette vie de mort, avoir foi au Dieu crucifié et ressuscité et attendre qu'il me relève des morts quand le temps de ce monde sera à son terme. Il faudrait que ressuscité, il me purge du mal dans la souffrance réparatrice. Et le tour serait joué. La victoire contre la mort consommée, tout serait bonheur et parfait, amour s'aimant en tous...
Alors en attendant, je ferai quelques efforts pour aimer le prochain, je lui céderai ma place confortable dans le train ou le bus. Ravaler de temps en temps mon amour propre de travers...
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Et puis surtout quand la vie me frappera de la catastrophe, de la maladie, de l'injustice alors broyé de douleur je saurais plus qu'un autre mon salut.
Religion misérable, religion de la douleur et de la misère...
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Plus le monde va sans dessus dessous, plus le douloureux se réjouit : Dieu se rapproche...
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Même chez les athées ou les areligieux occidentaux, il reste quelque chose de cette fascination pour l'horreur, il y a une complicité intérieure avec cette horreur auréolée de douleur et de tristesse. On invoquera la nécessité de s'indigner, une "sainte colère" athée en quelque sorte. Mais cette indignation, cette "sainte colère" reste un déplacement de la tristesse et de la douleur qui prépare le surgissement d'un autre complice de l'horreur : la violence destructrice qu'elle soit révolutionnaire, terroriste, religieuse, etc.
Seule la joie ne peut pas être complice de l'horreur.
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Sans la pure joie d'être, le diagnostique sur l'horreur sera faussé. On établira des responsabilités individuelles et on ne verra pas que toute l'horreur se nourrit d'une infirmité de joie d'être.
Cette joie d'être peut être aperçue si on sait voir la vacuité de conscience qui pénètre toute chose, tout phénomène y compris ceux qui expriment l'horreur. Mais si on se tourne vers cette vacuité exclusivement la joie d'être se portera juste sur l'image de la joie d'être que nous sommes. Certes on pensera à la partager mais au fond on aura la pensée que ce monde court à sa perte.
Il y a une autre qualité de joie d'être qui elle se tourne vers l'horreur du monde. Rien n'est contre la joie d'être alors. L'obstacle est alors notre incapacité à faire un pont de la joie d'être vers la chair du monde.
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Approchons cette joie avec Sri Aurobindo (
cité ici aussi par Mudita) :
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Je suis devenu un océan blanc-d’écume de béatitude,
Je suis une vague onduleuse du délice de Dieu,
Un flux sans forme de lumière heureuse et passionnée,
Un tourbillon dans les rivières du Paradis.
Je suis une coupe pour Ses félicités,
Le coup de foudre de la puissance de son extase en or,
Un feu de joie au sommet de la création,
Je suis l’abîme merveilleux de son ivresse.
Je suis ivre de la gloire du Seigneur,
Je suis vaincu par la beauté du Non-né ;
J’ai regardé, vivant, la face de l’Eternel.
Mon mental fut pourfendu par Son épée irradiante,
Mon cœur déchiré par Son toucher de béatitude.
Ma vie est une poussière de météore de sa Grâce enflammée.
29 Septembre 1939 / 21 Octobre 1939
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Et dans
Le labeur d'un Dieu, il décrit comment cette joie surmontera toute l'horreur. Nous citons quelques extraits prélevés ça et là :
Une voix a crié : "Va où nul n'est allé !
Creuse plus profond et encore plus profond
Jusqu'à ce que tu arrives à l'inexorable pierre de fond
Et frappe à la porte sans clef."
[...]
J'ai creusé à travers le terrible coeur muet de la Terre
Et entendu le bourdon de sa messe noire.
J'ai vu la source d'où partent ses agonies
Et la raison intérieure de l'enfer.
[...]
Sur une dernière marche désespérée mes pieds se sont posés
Armés d'une paix sans borne
Pour apporter les feux de la splendeur de Dieu
Dans l'abîme humain.
[...]
Le gouffre entre les profondeurs et les hauteurs est comblé
Et les eaux d'or se déversent
Au fond de la montagne de saphir silloné d'arc-en-ciel
Et miroitent de côte en côte
Le feu du ciel est allumé dans la poitrine de la terre
Et les soleils immortels brûlent ici