lundi 26 août 2024

Nos défis d'amour à relever.

Tableau de Gustave Caillebote


Il y a des défis d'amour à relever. 

Parfois, être en paix et laisser de côté les faux semblants, c'est encore servir un désir et ne pas aller jusqu'au bout de l'amour. Chercher à goûter la paix en modifiant les circonstances, cela reste un désir de paix et non l'établissement dans la paix intérieure sous la forme d'une équanimité intérieure absolument indépendante des circonstances.

L'amour vrai croît dans la paix intérieure : sans mélange, il n'attendra plus rien en retour. 

La paix en vérité, c'est l'équanimité intérieure incarnée dans tous les aspects de notre individualité. Alors que des défaites intimes, des coups reçus, des attaques ciblées parviennent bien à faire tomber la demeure édifiée de mon empreinte personnelle, l'équanimité demeure. Et sur ces ruines, au milieu d'éboulements continus, dans la fumée des gravats, la foi tranquille en l'action divine demeure étonnament toujours là. 

L'équanimité ancrée dans une foi sans attente personnelle, une confiance sans assurance garantie, est une disponibilité radicale à une transformation en l'amour vrai. L'amour humain a des attentes ; sans aucun retour, il s'épuise, il perd facilement confiance. Ces faiblesses de l'amour humain peuvent commencer à être purifiées lorsque l'équanimité, la foi et la confiance en l'action divine croissent en nous.

Il est parfois utile d'admettre que notre cœur est encore trop petit pour telle situation, plutôt que d'édifier ou nourrir un ego spirituel sans aucune réelle ressource. Ce défaut de ressource en amour vrai prédispose à des montées d'impulsions dépressives. Quand,  peu à peu, nous pouvons apprendre à trouver une aide intérieure et à la recevoir, nous n'avons plus à fuir automatiquement ce qui dépasse les forces vitales de notre ego. Notre rapport aux circonstances et à notre situation change, nous devenons réceptif à la grâce intérieure, nous pouvons coopérer plus aisément à son œuvre. Et ce rapport sera encore davantage apaisé et conscient quand  la transformation du cœur impliquera de plus en plus de nos subpersonnalités et, au-delà, lorsque la soumission à la divinisation de notre individualité s'amplifiera. Les circonstances extérieures qui provoquent l'effondrement  de l'ego au niveau de ses traits de caractère ancrés dans le subconscient deviennent alors une accélération de notre individuation divine, c'est-à-dire de la croissance psychique de notre âme vraie.

L'âme vraie, c'est le fond du cœur et ça ne peut que servir ce fond du cœur de l'autre. Tel est, par essence, l'amour divin de l'âme. L'amour humain ne peut se purifier que par l'influence croissante de l'amour vrai inhérent à notre âme. 

Par essence aussi, l'âme se sait et se sent hors d'atteinte de tout inconfort et de tout danger. L'équanimité est un pouvoir de l'âme, une par nature avec la paix intérieure immuable. 

En l'essence de l'âme, amour Divin, foi et équanimité sont indiscernables. Le noyau d'être de l'âme est une goutte de vie divine. Celui en qui l'influence et la présence de l'âme émerge s'éveillera à une conscience directe de sa nature divine. Il se vivra enfant du Divin.

L'équanimité profonde de l'âme se vit donc comme le fait d'être l'enfant protégé du Divin. Un enfant du Divin n'aspire qu'à l'amour du Divin. Le reste, c'est de l'ego et des désirs. Certes, il faut bien s'occuper pendant longtemps de nos désirs comme un parent de ceux de ses enfants, tant qu'ils n'ont pas été soumis à une maturation humaine suffisante, et plus radicalement, à la transformation divine. 

Pour la grande majorité des gens, les désirs et les élans du cœur ne se distinguent pas bien. Pour certains, être libre du désir amène l'émergence de cette distinction : certaines aspirations du cœur et de l'âme vraie seront suivies, rendant certains objets de désirs beaucoup moins attrayants. Cette prédominance de l'influence de l'âme à travers le cœur sur certains plans personnels n'empêche pas d'autres dimensions personnelles d'être encore sous la prédominance du désir. Ces discontinuités d'intégration autour de l'ouverture du cœur et de l'être psychique de l'âme dessine une aventure spirituelle.

S'il y a maturation et transformation, arrive un temps où l'appel du cœur et de l'âme peuvent prévaloir de plus en plus continûment. Et il y faut notre obéissance à la commande. Les désirs de paix et de tranquillité de notre ego spirituel sont souvent en porte-à-faux avec la commande divine. Celle-ci, suivie quoi qu'il en coûte à notre ego, produira une émergence psychique du pouvoir réel d'équanimité intrinsèque au Divin. Si peu à peu l'amour du divin nous a suffisamment rendu réceptif à son appel au bien, au beau et au vrai, il nous appartient d'y répondre ou non. Si nous avons cette sincérité, à ce moment-là, disparaît de plus en plus toute forme d'écart intérieur ou de distance entre le fond authentique de notre individualité et la vision en première personne (vision partagée par Douglas Harding). 

L'âme, c'est ce point où une véritable individuation en parfaite harmonie avec le Devenir Divin est une évidence indubitable. L'échelle alors n'est plus celle d'une courte vie humaine. Notre âme de nature divine partage l'éternité atemporelle de l'Être Divin et la sempiternité du Devenir Divin. Si ceci relève encore de la croyance ou de la spéculation, notre âme vraie d'essence divine nous est encore inconnue.

L'âme pressent que tout est Un et elle grandit dans l'intelligence du Devenir. Avant d'incarner cette intelligence au-delà de l'intelligence mentale, elle la vit comme présence et action de la Mère divine. 

Quand la voix du Divin s'entendra à travers notre âme, il serait dommage que notre ego, qui demeure encore en surface de nous-même n'obéisse pas à la commande divine. L'ego, même spirituel, même imbibé d'un mental spiritualisé peut ne pas être un bon serviteur de l'amour du Divin. Il peut vouloir continuer à améliorer la façon de vivre sa situation et ses relations alors que le progrès de l'âme exige une aventure périlleuse pour l'ego voire une rupture avec ce qui nous disperse de notre profondeur. 

En intégrant tout ce que nous sommes autour du centre véritable de nous-mêmes qu'est notre âme, la division entre l'impersonnel et le personnel, l'individuel et l'universel n'a plus de sens... 

La vacuité universelle et impersonnelle découvre désormais une dimension divine personnelle et individuelle qui en est inséparable. La seule présence de la vacuité est désormais ressentie incomplète quand la présence divine de l'âme se retire, à cause de notre insubordination au Divin. Réciproquement, il ne peut y avoir la présence de l'âme sans être consciemment vacuité, paix intérieure. L'ego qui a suivi une impulsion qui étouffe et ferme à la présence de l'âme ne manque pas ensuite d'être sollicité par des impulsions qui cherchent à lui faire perdre de vue la présence pacifiante de la vacuité.

Le Devenir est une joie en mouvement dont l'âme est une onde. Le désir, le plaisir, la peine, la douleur demeurent peut-être encore, mais ils sont bien vus comme un restant de l'ego séparateur. Ils sont le symptôme de l'inachèvement de notre transformation divine.

La vision en première personne arrache la tête de l'ego, son égocentrisme, mais pas ses racines que sont le désir, la recherche du plaisir et leur revers qu'est la souffrance. La vision en première personne fait de nous des personnes libres de leurs désirs, mais pas des êtres libérés du désir.

Pour cela, il faut trouver son cœur et, dans son cœur, il faut trouver son âme et la conscience vraie du Devenir, la Mère divine, dont la substance est aussi celle de notre âme.

 L'horizon d'être un pur instrument entre les mains du Divin peut alors commencer à se concrétiser. Ce n'est plus ce qu'on aime, ceux qu'on aime, dans un endroit qu'on aime. Ce que nous sommes vraiment, c'est le Divin et son Devenir. Et pour Être et Devenir ce que nous sommes vraiment, pour que la filiation divine de notre âme l'emporte sur notre subconscient animal, notre ego doit être transformé à l'image d'un soldat qui s'exécute sans délai et sans ménagement pour sa petite personne. Un bon soldat n'est-il pas prêt à donner sa vie, juste le temps du salut militaire marquant déférence et obéissance à son supérieur venant de lui ordonner une mission périlleuse ?


Tableau de Gustave Caillebote 


samedi 24 août 2024

La Présence Divine dans l'obscurité épaisse du vide selon Niranjan Guha Roy.


Illustration de Niranjan Guha Roy


 La Présence Divine


Qui ne Te discerne pas, ne sent pas Ta présence compacte

Dans l’obscurité épaisse du Vide, dans le Néant, dans le Zéro est encore aveugle,

Cherche l’eau au milieu de l’océan.


Quel jeu merveilleux ! Le pot cherche le secret du Potier !

Un petit jouet mécanique tente de saisir l’essence sublime de la musique !

Pourtant le petit jouet n’est pas impertinent,

Ton omnipuissance, en cachette, soutient son élan admirable.

Un jour l’écran épais entre la création et le Créateur disparaîtra

Dans l’union passionnante du Chanteur avec sa voix.


Quand tout devient ardent, brillant, multicolore et chaud,

Alors tout est une conflagration sans borne en dehors de toute contestation :

Une seule vibration : le Divin

Alors toutes les divisions artificielles douloureuses sont brûlées,

Notre conscience myope et arrogante, trop sure d’elle même est guérie.

Alors la Présence Divine indivisible se manifeste en millions de foyers.


Quand elle grandit dans l’âme, il n’y a plus d’ombre, nulle part de ténèbres,

Tout est clair dans un éblouissement. On la voit partout.

On reconnaît en tous ce “Quelque chose” qui ne peut se définir

Mais qui remplit les yeux de larmes,

Qui serre la gorge, qui crée une émeute dans le cœur.


Ainsi le monde retrouve sa félicité sereine, sans mélange.



Niranjan Guha Roy



Migration - Tableau de Niranjan Guha Roy 


vendredi 9 août 2024

UNE SPIRITUALITE INTEGRALE DE L'ETRE ET DU DEVENIR DEVOILE LA MERE DE NOS AMES, LA CONSCIENCE FORCE CREATRICE.

Michel Larionov - Acacias au printemps -1904


Le message de Jésus semble unir l'Etre et le Devenir. 

L'amour comme agapè prolongeant la vision d'une source divine créatrice unit, me semble-t-il, l'Etre et le Devenir. 

Autour du deuxième siècle après Jésus-Christ, des débats entre chrétiens ont commencé à porter sur ces points : y a-t-il une action divine qui va perfectionner le monde terrestre ou la terre n'est-elle qu'une création démoniaque (d'un dieu du mal) ? Certes les dualistes gnostiques semblent avoir été dominés voire éliminés par le camp adverse devenu de plus en plus intolérant. Mais certaines idées dualistes fustigeant la chair nous liant aux forces obscures et hostiles ont durablement influencé la culture chrétienne y compris spirituelle. La plupart des chrétiens y compris les mystiques espèrent que Dieu les libérera des tourments de la chair dans un avenir postmortem.

Chez les philosophes de l'antiquité gréco-romaine, le débat était entre les partisans d'un univers terminant cycliquement en déflagration et les tenants d'un univers infini. 

Quelles étaient les expériences fondant leurs métaphysiques. Quelles conséquences pratiques ont ces métaphysiques ?

La question me paraît actuelle. 

En durcissant dogmatiquement leurs interprétations sur le rapport entre l'Etre et le Devenir, la plupart des courants religieux chrétiens ont malheureusement souvent étouffé et amoindri l'accès évident à l'Etre. La mystique chrétienne n'a jamais été bien accueillie par les institutions religieuses. Et celle-ci si elle a touché à l'union substantielle de l'âme et du divin dit, au final, assez peu de chose sur la divinisation du corps. L'incarnation du divin qui surmonte la mort est restée une espérance ; elle ne s'est guère traduite dans une aventure spirituelle concrète avec pour ceux qui l'entreprendrait une cartographie mentale.

Mais quoi qu'il en soit, pour moi postchrétien plutôt qu'antichrétien, la voie du cœur ne se résume pas dans des moyens de se détacher, car ce serait éventuellement se détacher des conséquences des interactions de nos actes humains. Un tel cœur serait luciférien. Il n'échapperait guère au seigneur du mensonge, ce flux de forces vitales et mentales qui nous rendent insincères et incohérents.


Et bien que les spiritualités non dualistes m'apportent beaucoup, y compris l'évidence d'une vacuité englobant le devenir, je ne m'y reconnais donc pas entièrement sur la question du cœur et du Devenir. En mettant entre parenthèses le devenir des personnes, y compris la leur, beaucoup des non dualistes me semblent décider mentalement que l'absolu est autre que l'amour. Pour moi, le danger est luciférien : le propre de Lucifer, des forces vitales et mentales lucifériennes, le porteur de lumière est effectivement la  capacité de réaliser une lumière spirituelle et de l'utiliser, malgré les apparences sans cœur, et surtout sans aucune âme pour son propre avantage. Or sans influence tangible de l'âme, l'ouverture du cœur ne va guère sans confusions. Le seigneur du mensonge, les forces de conscience qui nous individualisent dans cette confusion d'insincérité, est le champion des demi-vérités qu'il parvient à mettre en conflit évitant et retardant la venue de la Vérité et de l'action autocréatrice intelligente. La victoire contre une vision prisonnière de la dualité, contre le Séparateur, le diabolique, les forces vitales et mentales de l'isolement et de l'enfermement en soi-même est devenue plus aisée de nos jours. Mais la spiritualité mainstream ne résout guère le problème luciférien. Or comment nous sortir de ce que certains dénomment l'ère de la post-vérité ? L'autre est toujours le menteur. C'est toujours l'erreur, la mécréance de l'autre qui est fautive. Quelles que soient les demi-vérités que l'autre véhicule, elles sont rejetées en même temps que ses erreurs. Bien sûr, ce sont toujours d'autres que nous, les auteurs du chaos. La demi-vérité d'autrui est évidente comme étant son mensonge, sa mauvaise foi. Mais pourquoi manquons-nous notre propre déformation de la vérité ? Pourquoi sommes-nous sans cesse en train de jeter le bébé vérité avec l'eau sale de son bain ?


Ici et maintenant, pouvons-nous affirmer être un instrument docile de la Vérité ? Nous avons des éléments à notre disposition, que valent-ils ? Pouvons-nous nous appuyer sur des souvenirs, des informations ou des faits, ici et maintenant, non pas interprétés mais observés ? Ai-je des garanties sur la qualité subjective et objective de mon observation ? Nous avons bien quelques vérités parmi nos jugements et observations, mais sommes-nous intégralement en Vérité ? 


Dès que nous sommes sincères, il nous faut bien admettre notre appartenance à un monde de demi-vérités et dès lors à un monde de mensonges.


Dès lors que nous défendons notre monde de libertés contre d'autres qui au fond défendent leur monde de libertés, nous n'avons pas de certitude d'un regard intègre. Pouvons-nous prétendre défendre le monde en imposant le nôtre ? On peut prétendre défendre nos libertés contre ceux qui y attenteraient, mais de quelle liberté parlons-nous ? La liberté de suivre nos désirs, nos idées, nos mœurs est-elle une liberté créatrice de liberté ou une réclamation de poursuivre tout comme avant, notre petit esclavage y compris à des actions qui ne changent rien au fond ? Et ces changements relatifs qui refusent la transformation vers un mieux de la vie, ne sont-ils pas une hostilité à une évolution de la conscience, un refus de participer sincèrement à l'intelligence autocréatrice ?


Une foi en un Devenir évolutif où le cœur se réalisera divinisé, où une transformation même de notre matérialité sera en jeu, va de pair avec une meilleure vision de l'Etre. Nous pourrions développer une telle foi ouverte au fait de Devenir et d'Etre plus en Vérité.


Dans une telle dynamique, l'évidence du Soi, si elle est factuellement reconnue, si un espace de vacuité au-dessus des épaules se voit comme l'ouverture où tout apparait, ne changera pas : c'est une présence immuable. 



Mais sa lumière semble s'éclairer de mieux en mieux en éclairant ce qui sert le Devenir du cœur et de l'autocréation de l'univers matériel en Vérité. Notre individualité semble donc évoluer dans sa perception au sein de la présence immuable. De l'évidence du seul Soi englobant le devenir de notre individualité,  des autres et du monde, se découvre plus en plus dans une descente dans le cœur un Soi avec une âme [en cliquant ici, on trouvera une présentation approfondie de ce Soi avec une âme] .  En d'autres termes, se découvre une Vie Universelle divine, Être et Devenir, qui développe son individuation au sein de l'individualisation humaine que nous sommes.


Envisageons vraiment l'Etre et le Devenir comme une seule réalité. Ne privilégions ni le presque rien d'Etre ni le tout en Devenir. L'un et l'autre ne se recouvrent-ils pas dans des ténèbres lumineuses encore fort mystérieuse ? Les ténèbres internes du sommeil profond ne s'entrecroisent-elles pas avec les ténèbres de l'univers matériel pointant un inconscient pour nous ? Mais cet inconscient, ces ténèbres le sont-elles absolument ?


Le subconscient matériel (par exemple, les drogues agissent sur nous sans que nous en soyons pleinement conscient physiologiquement) et l'inconscient spirituel (La réalisation de la lumière spirituelle est celle de ténèbres lumineuses qui masquent des dimensions) ne disent-ils pas la limite de notre conscience humaine même spirituelle ? L'éveil d'une conscience surmentale ne laisserait-elle pas en suspens un éveil à une action consciente par-delà toute la bulle mentale y compris surmentale ?


Ceux qui pensent  exprimer une réalisation spirituelle relativisent souvent le Devenir. La présence est appelé absolu et le reste le relatif. Ils ne voient pas la dimension absolue du Devenir. A moins de gagner en sincérité, ils diront mordicus que leur réalisation n'est pas une expérience. Il est vrai que ceux qui restent identifiés au seul devenir mental et vital en demeurent à des expériences d'un agrégat psychologique. Ils entendent le mot expérience dans cette perspective d'un devenir de leur ego. 


Nier que nos réalisations spirituelles soient des expériences humaines en prétendant réaliser absolument l'absolu n'est-ce pas encore le règne de demi-vérités ? L'accès au monde des intuitions, à une connaissance par identité ne nous arrache pas encore tout à fait à la division propre à la bulle mentale. Notre intuition d'être le Soi est ainsi un éclairage surmental de l'Etre qui laisse, selon nous, inéclairé le Devenir. 


En effet, il y a des expériences spirituelles du Devenir qui ne sont pas simplement des pics de nos vies mentales et vitales. Elles indiquent que notre réalisation de l'absolu n'est pas une réalisation totale de l'absolu même si cette réalisation partielle comprend une dimension atemporelle immuable : cette réalisation quand elle s'ouvre à des expériences spirituelles du DEVENIR s'interprète avec plus de modestie.


Dans certains yogas, la Kundalini est à la base une expérience et un Devenir qui au sommet du crâne nous ramène et nous bascule en l'Etre.


Dans les voies dévotionnelles, la grâce est une expérience de Devenir qui peut aboutir à une union où notre personne et le Divin ont une même essence, un seul Être infini.


Sur la voie du yoga intégral de Sri Aurobindo et Mère, quand la force de Mère descend et travaille en nous, il y a bien une expérience d'un Devenir qui n'est pas celle d'un ego. Cette action n'est pas qu'une action éclairée partiellement par le mental et dynamisée obscurément par notre vitalité. 


On voit bien que cette force de Mère unit l'Etre et le Devenir, travaillant plus sur un aspect ou l'autre. Elle peut faire descendre ou déplacer du Silence et de la paix, il y a alors un Devenir approfondissant l'Etre, une expérience renouvelée de l'Etre. Cette force de Mère peut rester davantage du côté du Devenir en réharmonisant nos énergies vitales, en intervenant dans le fonctionnement du corps, etc. 


Cette expérience d'une grâce, d'une force divine montante ou descendante peut aider à réaliser le Soi de l'advaita vedanta. Elle peut nous mettre sur la voie en disposant des indices. La Kundalini, par exemple, pointe l'espace vide du Soi qui englobe et réabsorbe cette débauche énergétique menaçante pour un ego.


La force devient clairement la force et l'expérience d'une dimension maternelle du Divin quand elle nous révèle l'enfant Divin que nous sommes. Pour moi, l'expérience de la Mère, de la Mahashakti est celle qui a en même temps produit la désobstruction du cœur. Ouvrir un passage à l'influence du principe d'individuation Divin ne peut pas se produire sans l'expérience de Mère, le Devenir, le souffle et la force divine, le Saint-Esprit. Cette individuation en est une flamme, un feu en croissance. Elle est aussi l'intuition d'un Être suprême, notre Père, car il y a en elle une goutte de cet Océan d'Etre au-delà de tout être. Mère est le Devenir de cet Être Suprême et nous nous réalisons alors leur enfant divin en croissance. 


Ce n'est plus alors une croyance ou un espoir que le royaume des cieux sur terre, le règne de l'amour. Réalisant dans l'ouverture du cœur notre âme divine, la terre et l'univers apparaissent le lieu de notre évolution et de la possible émergence d'un royaume de Dieu, pour chacun d'entre nous, ses enfants divins.


Dans cette vision renouvelée de la spiritualité, il n'y a pas de victoires c'est-à-dire de réalisations sans expériences multiples sur divers plans. La réalisation de la lumière spirituelle du Soi est vue forcément comme la reconnaissance de ténèbres lumineuses qui voilent d'autres plans et profondeurs de cette lumière. 


L'inconscient spirituel et le subconscient matériel ne sont plus supposés tels par essence. Ce sont plutôt les traductions des limites de notre conscience humaine mentale et vitale, des limites de la bulle mentale même en ses stratosphères intuitives surmentales. Mère a une action surgissant de ce qui nous semblait un inconscient spirituel. D'ailleurs, l'influence de notre âme divine et notre Soi ne l'étaient-ils pas quand nous étions identifié à un ego ? Et par ailleurs, l'action de Mère s'enfonce dans ce que nous estimions un inconscient matériel en deçà de tout subconscient psychologique. Là encore, n'étions-nous pas victimes de demi-vérités en ignorant cette action seule réellement transformatrice et créatrice ?


L'ouverture du cœur jusqu'à la réalisation de l'âme, l'individuation du Divin que nous sommes, est l'aboutissement d'une suite d'expériences qui est le commencement d'un autre type d'expériences allant avec une nouvelle compréhension voire une nouvelle conscience du Devenir et de l'Etre. Cette nouvelle conscience est reconnue comme l'oeuvre de la Mère divine, une intelligence supramentale de la force de coscience autocréatrice de notre univers. C'est le seul chemin pour mettre fin à cette ère de post-vérité où la crise évolutive en cours s'amplifie à grande allure. C'est le seul chemin pour ne plus la prolonger inconsciemment en la dénonçant. Car en se positionnant comme une de ses victimes impuissantes, on reste ignorant du fait qu'on en est aussi l'auteur.


Natalia Gontcharova (Tula, 1881 - Paris, 1962) - Forêt verte et jaune


lundi 5 août 2024

NOTRE ARROGANCE MENTALE OBSTACLE A LA TRANSFORMATION DE LA CONNAISSANCE PAR IDENTITE DE CONSCIENCE

Le Divin se manifeste - Tableau de Niranjan Guha Roy



Le mental peut exprimer, mais il ne peut pas réellement connaître l'Être et maîtriser le Devenir. 


Déjà laisser se réaliser le Soi ou la vacuité, sur le plan de l'Être, n'est pas une simple connaissance sur le plan mental, il faut une connaissance par identité dont aucun raisonnement mental analytique n'est capable. 

En ces domaines, au mieux, un concept pointe, il n'embrasse pas. Et encore faut-il le regard pour voir ce qu'il pointe. Car comme les concepts bougent en bande, on peut jouer mentalement avec la bande en question sans rien voir de ce qu'elle est sensée désignée ou si peu, ce qui serait déjà un début ! Par expérience, j'ai pu jouer philosophiquement avec les concepts de Platon sans les comprendre. Au mieux un concept conçoit, il ne comprend pas ! Un concept utile sert un regard, lui indique une direction. La carte n'est pas le territoire. Le panneau indicateur du village n'est pas le village. La carte a son utilité mais elle est complètement fictive, si nous sommes pas en vécu direct d'un quelconque point du territoire. La difficulté est d'avoir un vécu du territoire et de distinguer ce qui ressort encore d'une absence de vécu de la carte où l'on commence à se repérer. En spiritualité, un concept, un verbe, dans l'idéal, veut exprimer comme un miroir indicateur ce qui est déjà là et demande à grandir. Découvrir ces miroirs est déjà un vécu, mais le miroir n'éclaire qu'un angle, qu'un aspect. La connaissance de la carte est un vécu et la reconnaissance de certains aspects du territoire est un vécu déjà plus profond, mais ce n'est pas encore une connaissance intégrale du territoire. Cela donne des mots à des dimensions du lecteur qu'avant de les lire, celui-ci ignorait de son intériorité, mais ces dimensions sont en lui à vivre sans miroir, seule la lumière de la source de l'autocréation et les rayons qui la composent importent  au final.

Les concepts mis en œuvre pour produire une technologie laissent le réel matériel largement non maîtrisé, d'où les usures, les pannes, les effets secondaires imprévus, les accidents et les catastrophes technologiques et écologiques. Notre civilisation thermo-industrielle ne pourra pas disposer des ressources énergétiques dont elle a disposé jusqu'ici : la panne sèche de pétrole, les quantités limitées de gaz renouvelables, la fragilité des redistributions énergétiques, la finitude des matières premières (uranium, lithium, terres rares), etc. nous préparent une panne du système thermo-industriel ou du moins son ralentissement très net. Nos concepts scientifiques et techniques donnent l'impression d'être le secret de la maîtrise de la matière et de son cours : la fragilité de notre système civilisationnel devrait nous révéler le caractère illusoire de cette prétention.

Au plan spirituel, le mental permet d'exprimer une connaissance par identité de la Vie Universelle au-delà du mental analytique. Mais c'est bien de cette connaissance au-delà du mental analytique ou par idées de représentation, de ce non savoir pour le mental analytique et notre pouvoir de représentation, dont nous manquons.

Le développement de la Buddhi, qui lie discours mental et perception par identité est tout d'abord une nécessité au plan spirituel. Mais c'est un palier. 

De quoi suis-je sûr ici et maintenant immédiatement sans aucune médiation mentale ? voilà une pratique simple pour faire le point et cesser de fantasmer une réalisation spirituelle.

Tout ce qui apparaît ici n'est qu'apparences. D'un côté, le mental peut donc corriger des perceptions ou en tirer des conjectures efficaces (mon grand-père était un sourcier qu'on venait consulter). Mais ce ne sont que des conjectures, il ne donne pas accès à l'essence, c'est ce qu'une pratique spirituelle mentale du scepticisme issu de l'antiquité pointe. Le A et le non A pour presque tout énoncé A sont facilement opposables, comme notre discussion le montre. Le mental reste à mi-chemin entre fiction et réel. Avec le seul mental, il n'y a que des interprétations. Les cartographies nous font entendre que le territoire que nous connaissons recèle encore bien de l'inconnu pour nous. Le mental peut permettre d'interroger la perception, il est un soutien pour une avoir une direction où la concentrer pour l'élargir. Mais restant dans la bulle mentale, il peut parfaitement n'y avoir que pure illusion, sa propre réalité fictionnelle caractéristique partout. C'est là l'atout de la cartographie des sagesses sceptiques.

Les réalisations technoscientifiques peuvent-elle ébranler ce regard sceptique déréalisant nos sensations ? Ce regard sceptique est inévitable quand le mental spiritualisé révèle un englobant de notre subjectivité et de ce qui lui semblait jusque-là externe. En cet englobant surmental sans forme, tout ce qui apparaît pourrait être aussi bien une apparence illusoire, un pur mirage de notre esprit qu'un reflet sur le mental d'une réalité proprement extérieure à notre bulle mentale. Le regard sceptique est l'acceptation de la suspension de toute conclusion à ce propos. Cependant le regard mental technoscientifique et ses succès avivent l'hypothèse d'une réalité matérielle subconsciente, y compris pour notre mental éveillé spirituellement. Ses réalisations ébranlent le regard sceptique du mental spiritualisé. Cet accès technoscientifique au subconscient est aussi un regard avec ses limites : toute technologie subit les lois de l'impermanence et aucun artefact technique n'est sempiternel. Si un scientifique authentique a un pressentiment que ce qui est inconnu est bien plus vaste que ce qu'on croit connaître, l'arrogance technicienne est sans doute symptomatique de l'arrogance inhérente à un mental. Cette arrogance n'envisage pas une conscience nouvelle autre que lui-même qui pourrait se substituer à son règne. Elle tend aussi à ne pas prendre de précautions en tenant compte des dimensions matérielles qui ne peuvent pas par définition être maîtrisées par le process technique. 


D'un côté, le regard sceptique stipule que rien ne pourrait être connu en dehors de la bulle de conscience mentale sinon notre inconnaissance, les apparences en tant qu'apparences de l'esprit interdiraient d'affirmer une autre réalité que celle des limites de nos représentations mentales. D'un autre côté, le regard technoscientifique stipule un subconscient matériel dont la connaissance par des médiations matérielles permet de manipuler les apparences à un degré tel que certains envisagent un dépassement de la nature humaine. Ce sont deux formes de  pratiques mentales qui pourraient se neutraliser pour envisager une supraconscience possible. Mais elles se renforcent culturellement le plus souvent par un jeu de basculement de l'une à l'autre et nourrissent discrètement une même arrogance, un même enfermement dans la bulle mentale. Le regard spirituel sceptique, le regard méditatif qui le soutient, affirme un non mental, mais il demeure un vécu à partir d'un mental, même si son air y est extrêmement raréfié.  Le regard technoscientique affirme une réalité matérielle non mentale, mais ses limites dans son efficacité et sa pérennité, si elles confirment son présupposé de la matière, sont aussi typiques des limites du mental lui-même.

La conscience mentale est incapable d'un regard innombrable : tout artefact et toute action soumise à sa seule lumière, ou tamisée et filtrée par sa lumière devrait s'accompagner d'une conscience humble de ses limites. L'instrument matériel forgé par le mental n'échappe pas dès lors à des forces subconscientes qui en perturberont l'usage. Le mental spiritualisé fixe l'intuition de la connaissance par identité dans ses filtres. La lumière divine s'enténèbre dans les stratosphères mentales même si sa splendeur s'y perçoit. Dans les couches surmentales de la bulle mentale, la lumière divine une et innombrable y est divisée inéluctablement, ce qui rattache tel aspect de son unité à tel autre est rendu imperceptible. Une nouvelle conscience capable, elle, d'un regard innombrable et s'incarnant pourrait possiblement surmonter ces handicaps intrinsèques au mental. Le supraconscient serait alors de moins en moins inconscient ainsi que le subconscient. S'il n'y pas d'inconscience absolue de l'autocréation divine alors notre participation croissante à sa supraconscience de l'univers étendrait significativement notre conscience à ce qui lui était jusque-là subconscient. 

Une conscience mentale spiritualisée par sa dimension Purusha, pur témoin détaché des apparences, sans forme non absorbé en aucune forme peut abolir un mouvement mental de sa Prakriti, le jeu de forces de la nature ici mentale. Une conscience vitale des émotions dans sa dimension Purusha peut rester détacher d'un mouvement émotionnel dans sa dimension Prakriti. 
Sri Aurobindo et d'autres, pour parler de ce regard un innombrable étranger au regard mental voire surmental, parlent d'une lumière supramentale. Cette forme de conscience est restée jusque-là étrangère aux organismes terrestres. S'il s'incarnait, cet unique regard innombrable supramental, il participerait intégralement à l'élan créateur Divin,  bien au-delà de ce qu'une action mentale spiritualisée rend possible. Par exemple, cette lumière supramentale,  seule, pourrait modifier consciemment les automatismes subconscients pour notre mental humain. Une aide psychothérapeutique permet parfois d'éclairer certains pans de notre subconscient personnel. Avec la lumière supramentale, seraient éclairées des déterminations subconscientes pour notre conscience (sur)mentale qui font de nous humain, un humain en le perpétuant. Autrement dit, avec cette nouvelle conscience, serait actif en nous un Purusha pouvant réformer les habitudes de la Prakriti organique et matérielle.

Thalès qui a poussé le mental dans ses possibilités les plus nobles est tombé dans un puits en regardant les étoiles. "Une servante de Thrace, fine et spirituelle, le railla, dit-on, en disant qu'il s'évertuait à savoir ce qui se passait dans le ciel, et qu'il ne prenait pas garde à ce qui était devant lui et à ses pieds". Voulant mettre un terme aux moqueries, sa connaissance des astres lui a permis de prédire une récolte d'olives abondante. Il a loué tous les pressoirs pour faire de l'huile. Il a ainsi créé un monopole économique pour la première fois dans l'histoire. On l'a supplié de retourner à ses savoirs mentaux contemplatifs. Il y avait là un sommet des possibilités mentales mais aussi sa limite intrinsèque.
La venue d'une intuition créatrice ou une découverte sur le plan mental, n'est qu'un rayon détaché du mouvement global du Devenir. Comme auto-création divine, par essence, le Devenir se déploierait comme harmonie de son unité et de sa multiplicité. Sur notre plan terrestre et mental, cette harmonie reste imperceptible. A vrai dire, une nouvelle idée sur le plan mental engendre bien souvent des conséquences imprévues, ce qui ressemblait à un progrès apporte avec lui très souvent des effets perturbateurs qui ont tôt fait d'effacer l'impression première de progrès de la connaissance. Cette imbécilité de l'action mentale la plus créative explique que l'Harmonie intrinsèque au Devenir autocréateur multiple de l'Un relève pour nous humain de la foi et de l'espérance.

Aujourd'hui, ce n'est plus l'heure des sommets mentaux comme celui incarné par Thalès, Il y a une nouvelle conscience, dont des aventuriers de la conscience essaient de témoigner. J'observe que mon mental développé par des études scientifiques, en particulier de mathématiques, par des études de philosophie et par la maîtrise interne de dimensions subtiles a souvent cru que des solutions sur son propre plan suffiraient. J'étais totalement prisonnier de la bulle mentale.

Niranjan Guha Roy, un des aventuriers sur la voie ouverte par Sri Aurobindo et Mère au-delà de la conscience mentale, m'a permis de mettre le doigt sur mon arrogance mentale et l'obstacle qu'elle forme contre la nouvelle conscience supramentale [cliquez ici pour lire Niranjan Guha Roy à ce propos]

Et je tiens à dire, que s'il n'y a, pour moi, que des aperçus discontinus de cette nouvelle conscience, c'est bien parce que cette arrogance mentale occultant ce besoin d'autre chose subsiste encore en moi. Je pourrais me contenter de vivre ce dont j'ai vérifié la cartographie personnellement, je pourrais me contenter de ce petit territoire intérieur que j'ai découvert et regarder ces cartes qui me parlent encore d'autres territoires spirituels comme inutiles voire comme un danger de me perdre loin de cet essentiel qui s'est révélé. Le scepticisme mental, s'il reste bien utile pour une pratique méditative mettant à distance le cours ordinaire de nos pensées, peut nous enclore inconsciemment dans la bulle mentale. Se contenter de cette seule libération spirituelle s'avère malheureusement une forme de processus d'enfermement de la lumière venant d'au-delà du mental dans un édifice mental subtil. La réalisation d'un surmental, d'un mental radicalement spiritualisé, peut risquer de devenir une dernière forme subtil d'arrogance mentale. L'éveil de la lumière intérieure spirituelle différenciée de la lumière intellectuelle ne signifie pas qu'on a quitté la bulle mentale. Le filtre surmental de la bulle, si subtil et qui laisse passer la lumière divine, peut nous le faire croire. Mais ce filtre ôte à la lumière divine sa propriété supramentale de regard Un innombrable, il y substitue ses ténèbres lumineuses. L'individu confond son inconscience du supraconscient avec un inconscient absolu. Il attribue son non savoir intrinsèque à la bulle mentale à l'absolu lui-même alors que c'est la sphère surmentale qui déforme et obscurcit la lumière supraconsciente de l'absolu.





Commencé en février 2024

Le but à atteindre - Tableau de Niranjan Guha Roy




jeudi 1 août 2024

LES ONZE PORTES PAR DOUGLAS HARDING

Tableau de Magritte


 Les onze portes par Douglas Harding

Quelles que soient nos origines, la société nous a tous tronqués, émoussés, rétrécis, en petites choses limitées et mortelles appelées êtres humains, séparées, solitaires, pleines de toutes sortes de peurs, enfermées dans la prison de nos conditionnements.

Nous imaginons maintes façons de nous échapper : acharnement au travail, télévision, shopping, sexe, drogues, spiritualité. Nous croyons que notre prison n’a pas de porte, mais en fait il n’y en a pas moins de onze, grandes ouvertes vers la liberté. Comme nous allons le voir.


J’AI BESOIN D’ETRE LIBERE DE LA CULPABILITE ET DE TOUTES SORTES D’EGOISMES ET AUTRES DEFAUTS.

Le but essentiel, la passion dominante de ma vie d’adulte a été l’union avec sa Source. Cependant j’ai l’impression d’empirer au lieu de m’améliorer ! (En fait, c’est que sans doute je suis de plus en plus conscient des tours que joue l’ego secrètement pour survivre et s’épanouir.) De toute façon, je suis de plus en plus consterné par la vilénie de Harding. Son salut ne sera pas facile ! Il lui faudra plus qu’un sauvetage ordinaire.


IL M’EST DONNE ONZE CORDES DE SECURITE, ONZE VOIES DE LIBERATION DISTINCTES, QUI CHACUNE SUFFIRAIT A ME CONDUIRE EN LIEU SÛR.

Car tels sont la bonté, la générosité débordante, le sens de l’humour, la sollicitude, l’expertise parfaite de ma Source au Centre. Il est impossible d’exagérer la force combinée des Onze. Je découvre, à ma grande stupéfaction, que déjà –


(1) JE SUIS INFINI

Quand je désigne du doigt ce à partir de quoi je regarde, je vois que cela s’étend à l’infini, dans toutes les directions – vers le haut et vers le bas, à gauche et à droite, en avant et en arrière – et toujours aussi vivant.

Quelle stupéfaction également de réaliser que je suis si grand, si ‘explosé’, sans jamais le remarquer, encore moins comprendre le sens et la valeur de cette infinitude.

Regardez maintenant ce que votre index désigne REELLEMENT lorsqu’il désigne ce qui est au-dessus de vos épaules, et vous verrez exactement ce que je veux dire.

Etre l’Explosion superbienveillante et subnucléaire continuelle aurait déjà été une libération largement suffisante. Mais pour faire bonne mesure, il y a au moins dix autres portes attendant chacune avec impatience son tour de s’ouvrir !


(2) JE SUIS PUR

« Si vos péchés sont comme l’écarlate, ils deviendront blancs comme la neige. S’ils sont rouges comme le vermillon, ils deviendront comme la laine. » Ainsi chante le prophète Esaïe dans l’Ancien Testament.

Le pardon des péchés est, bien sûr, l’un des thèmes essentiels du Nouveau Testament. Son sujet principal, en fait.

Dans son livre, Conscience Intuitive, Ajahn Sumedo, qui est à la tête du Bouddhisme Théravada au Royaume Uni, écrit : 

« La Conscience est déjà pure. Vous n’avez pas besoin de la purifier. Vous n’avez pas besoin de faire quoi que ce soit… Notre véritable nature est pure. Quand nous commençons à réaliser cela, à l’apprécier et à faire preuve de confiance, nous voyons que c’est vrai. Ce n’est pas théorique, ce n’est pas abstrait, ce n’est pas une idée – c’est la réalité… Vous avez toujours été pur. »

Personnellement, il me suffit de faire pivoter mon attention de 180°, et de regarder Ce Qui regarde, pour voir que c’est absolument non-contaminé et non-contaminable.


(3) JE SUIS LIBRE

Spontané, imprévisible, en liberté. Je ne sais pas – personne ne sait – ce que je vais faire dans l’instant qui suit. De plus, il y a des signes évidents que des créatures de toutes sortes sont aussi libres que moi, qu’elles le réalisent ou non.

Par exemple, j’observe le vol zigzaguant du papillon qui va de fleur en fleur, les aller-retour fantasques de la mouche, en piqué, sur la vitre de la fenêtre ou sur la table, les gestes inopinés de cette main qui vous fait signe de bienvenue ou d’adieu. Dieu sait quelle bonne idée ou quelle stupidité va sortir du stylo que je tiens. Je corrige : Il ne sait pas ! S’Il le savait, Il m’aurait lié pieds et poings. Il aurait transformé l’esprit libre que je suis en un robot, un automate cybernétique très inférieur à une mouche.

« Vous saurez la vérité et la vérité vous libérera », dit Jésus de Nazareth. Et le Tao te king – ce classique chinois – attribue au sage éveillé la spontanéité d’un nouveau-né.

Mais à part quelques appels à la liberté de ce genre, toutes les grandes religions, chacune à sa façon, enseignent que la véritable piété est la soumission à la volonté toute puissante de Dieu. Si les esclaves et leurs maîtres ont une religion, c’est celle-là, c’est bien celle-là ! Pas étonnant que nos églises soient vides !

Pour parler crûment, Dieu a changé d’avis. Et au lieu de s’entourer de serviteurs, Il recherche des amis – des amis sincères qui ont choisi librement cette superbe relation.


(4) JE SUIS

Je suis certain de cela. Qui plus est, c’est la seule chose dont je sois absolument certain. C’est la Réalité Eveillée. Tout le reste est peut-être un rêve.

Je n’ai pas seulement le droit inaliénable de dire JE SUIS, mais je suis obligé de l’affirmer sans cesse. Je suis fait ainsi. Quand la Réalité m’est servie, c’est le Menu.

Dix,vingt, cent fois par jour je m’entends dire JE SUIS. JE SUIS seul, JE SUIS triste, JE SUIS très bien aujourd’hui, merci beaucoup, JE SUIS inquiet, JE SUIS très occupé en ce moment. Et ainsi de suite, continuellement. JE SUIS né ainsi.

C’est une nouvelle merveilleuse. C’est ma guérison et ma plénitude, ma déification en dépit de ma « Hardinginitude ».

Ou bien SUIS-JE en train de barboter la tête en bas dans ma petite mare aux canards d’ETRE privée ?

NON ! La vérité évidente et stupéfiante c’est que je ne puis être sans être l’ETRE MEME.


(5) JE SUIS ICI

Quand je dis que quelque chose est situé ici, que cela signifie-t-il ? Est-ce près, est-ce accessible, est-ce intime ? Quand je décris quelque chose comme ce quelque chose, quelles sont ses limites ? Où cette chose commence-t-elle, où finit-elle ?

Cela dépend. Dans la même seconde je peux parler de ce poumon, ce pays, ce groupe de galaxies. En fait mon ceci et mon ici sont sans limites dans leur immensité et leur petitesse. Je suis infiniment élastique.

Et je prends ce fait au sérieux. Je me pose la question à moi-même : QUI est Celui Qui peut à volonté se dilater et se contracter aussi facilement et naturellement ? quelle est la véritable identité de ce faiseur-de-miracle ?

Je réalise que seul l’UN qui est ma Source et mon Centre correspond à cette définition. Et ce n’est pas une idée à méditer de temps en temps : c’est une expérience à vivre tout au long de mon existence.


(6) JE SUIS MAINTENANT

De même, lorsque je dis qu’un évènement se produit maintenant, que cela signifie-t-il ? Combien de temps dure le moment présent, si l’on peut parler de durée ?

A nouveau, cela dépend. Je m’entends parler si allègrement de cet éclair, cette semaine, cette décennie, ce millénaire. La vérité est que je contiens autant de temps qu’il m’est nécessaire de temps en temps. Et le paradoxe, c’est qu’en contenant le temps je le maîtrise, et je peux reprendre à mon compte avec enthousiasme les paroles de Ludwig Wittgenstein : « La mort n’est pas un évènement dans la vie ; nous ne vivons pas pour faire l’expérience de la mort… Notre vie n’a pas de fin tout comme notre champ visuel n’a pas de limites ».

En résumé : je suis la conscience qui observe qu’elle n’a pas de commencement, ni d’interruption, ni de fin, et je ne mourrai jamais.

       



(7) JE SUIS AUTO-CREE

Voici la grande porte, la porte-clef, la plus importante des Onze. Toutes les autres sont secondaires, nécessaires, certes, mais en aval de la Source.

Voici le résumé de l’histoire terrestre de l’UN qui accomplit « l’impossible », c’est-à-dire que, sans aucune aide ni aucune raison, Il se crée Lui-même avant d’être, avant même que Rien ne soit.

(a) En décembre 1945, un pot de terre contenant 13 livres gnostiques reliés en cuir fut découvert accidentellement en Haute Egypte. Ces livres contenaient 52 textes « secrets » écrit en Copte. Sans doute avaient-ils été enterrés il y a quelques quinze siècles par les moines d’un monastère voisin de peur que l’Eglise Catholique ne les découvre.

Parmi ces textes « hérétiques » s’en trouvait un attribué aux Gnostiques Barbelo. Honneur et louanges à leur maître anonyme qui, quelques décennies seulement après la crucifixion de Jésus, fut le premier à parler de Celui qui s’auto-génère.

Bon nombre de textes gnostiques ultérieurs (un Gnostique est littéralement celui qui sait) tiennent le même langage. Par exemple : L’Evangile des Egyptiens : « Ton grand nom est sur moi, O Toi l’Auto-Créé qui n’est pas en-dehors de moi ». Bien que chrétiens pour la plupart, ils furent pratiquement exterminés par les catholiques bien avant l’an 500 ap J.-C..

(b) Environ 800 ans ap J.-C., à la cour de l’empereur Charlemagne, le philosophe irlandais John Scotus Erigena (Jean Scot Erigène) enseignait que ce n’est pas CE QUE Dieu est qui est capital, mais QU’IL SOIT.

(c) Le célèbre philosophe allemand, Leibniz (1646-1716), avec sa doctrine des Monades, était du même avis.

(d) En 1935 un autre philosophe allemand, Martin Heidegger, écrivait : « Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? De toute évidence, c’est la première de toutes les questions… Chacun de nous est effleuré au moins une fois, peut-être plus qu’une fois, par la puissance cachée de cette question, même s’il n’est pas conscient de ce qui se passe. » Et il parle ensuite du Fondement de l’Etre qui suscite cette question essentielle. (Introduction à la Métaphysique)

(e) Au même moment à peu près, Ludwig Wittgenstein, le philosophe autrichien que j’ai déjà cité, écrivait que ce n’est pas CE QU’est l’univers qui est mystique, mais LE FAIT QU’il existe.

(f) Au cours du dernier demi-siècle, j’ai partagé avec un grand nombre de gens l’émerveillement de l’autocréation de l’Etre. Ils sont au moins quelques centaines. Rien d’étonnant à cela ! Cela fait partie de la réalisation essentielle qui se produit aujourd’hui aux endroits les plus invraisemblables. Et c’est une cause de joie immense dans un monde qui manque terriblement de joie. C’est aussi ma fin – c’est à dire mon but et ma cessation, ma disparition délibérée en votre faveur.


(8) JE SUIS INCONNAISSABLE

Lequel est digne d’adoration, le Dieu Roc-solide qui doit forcément être, ou le Dieu Océanique auto-créé qui n’est pas obligé d’être ?

Loin de L’inquiéter, le fait qu’Il ignore totalement comment Il se produit Lui-même est une bénédiction céleste à partager avec ses amis. Révéler le secret de l’Auto-Création serait la dépouiller de toute sa fascination, de tout son charme, de toute sa puissance. Cela nous plongerait la tête la première dans un enfer d’ennui éternel.


(9) JE SUIS TOUS CEUX QUI VOIENT

A partir de quoi le scorpion, l’octopus (pieuvre), le chimpanzé, le jeune enfant regarde-t-il, selon son expérience personnelle ?

Certainement pas à partir d’un visage de scorpion, ou d’un visage d’octopus (s’il en a un), ou d’un visage de chimpanzé, ou de mon propre visage d’enfant ou d’adulte. Toutes les créatures qui voient regardent à partir du Seul et Même Espace Vide. Non pas espace vide-pour-le-vide, mais espace-vide-pour-se-remplir, espace d’accueil pour les autres visages. Cette Capacité primordiale – abnégation totale – est le brillant et charmant Visage Originel dont parle le Bouddhisme Zen.


(10) JE SUIS TOUS LES ETRES SENSIBLES

Ne puis-je alors être un avec le sourd, l’aveugle, toutes créatures souffrant d’un handicap ? Bien sûr que si. Aucun être sensible ne peut être sans être moi, sans être L’ETRE MEME. En fait, il est impossible de surestimer la puissance cumulative de ce système d’évasion universel à onze portes ?

Considérez l’immense pouvoir caché de la question : « Comment se font la structure ordonnée et la bonne marche de l’univers ? »

Exactement, quel est le plus souhaitable des pouvoirs, celui qui a la portée la plus considérable, et qui pourtant nous est donné ?

C’est tout simplement le pouvoir de prendre, d’absorber et d’enlever la souffrance de tous les êtres sensibles.


(11) JE SUIS VOUS

CE QUE je regarde est mon problème, et CE A PARTIR DE QUOI je regarde est sa solution. Et – paradoxe des paradoxes ! – la véritable solution, c’est que vous, ainsi que tous les autres, et certainement pas moi-même, êtes ma Guérison, l’Antidote contre mon ego-centrisme invétéré. Ici au Centre, Je suis Vous !


Au commencement, je vous ai promis onze portes grandes ouvertes pour sortir de la prison de notre conditionnement, et j’ai tenu ma promesse.


Alors, prenons le large !


Douglas Harding


Tableau de Magritte