Sri Aurobindo et Mère nous disent bien que ce dont ils parlent commence au-delà de ce que Ramana Maharishi a réalisé. Mais encore faut-il bien s'y éveiller et s'y réaliser !
Ramana Maharshi précise ce qu'il a réalisé : "L'écran d'un cinéma ne ressent rien, et a donc besoin d'un spectateur qui prenne conscience du spectacle. Mais l'écran du Soi est différent; il comprend le spectateur et le spectacle, ou plus exactement il est en soi plein de lumière. Sur l'écran, les images ne peuvent être perçues que si la salle est plongée dans l'obscurité. Ainsi le mental ne peut-il projeter ses idées et ses images que dans l'obscurité de son ignorance fondamentale (avidya). Le Soi est pure connaissance, pure lumière, dépourvue de toute dualité. La dualité implique l'ignorance. La connaissance véritable du Soi se tient au-delà de la connaissance-ignorance. De même, la lumière du Soi est au-delà de la lumière ordinaire et de l'ombre. Car le Soi est tout seul."
Ceci nous approche de ce que nous invite à constater Douglas Edison Harding :
En effet le monde tel que je le perçois et non tel que je le pense apparaît comme sur un écran au-dessus des épaules d'un corps manifestement sans tête. Cet écran comprend simultanément le spectateur et le spectacle. Le spectateur n'est pas localisé dans une tête ou où que ce soit puisqu'il s'étend partout bien loin du corps qu'il surplombe. Si perçois la conscience où tout apparaît, alors mon individualité devient juste une apparence mentale. Je ne peux plus m'identifier à cette apparence mentale en la dotant d'une tête, je ne peux plus la loger dans un corps à partir duquel je pourrais la différencier des autres apparences. Je suis l'écran où paraissent les apparences, je suis les apparences sans aucune hiérarchie possible ou valorisation d'un ensemble d'apparence par rapport à d'autres. Je suis la lumière transparente où surgissent les apparences colorées mais aussi qui les fait surgir. De même je suis le silence où surgissent les sons et qui les fait être. De même je suis l'absence de sensation où surgissent des sensations et qui les fait être. Etc. Je suis au-delà du mental d'où surgit les processus mentaux. Je ne suis plus ce processus mental qui me faisait penser être un individu séparé du monde et des autres.
Proche de Douglas Harding, il dit : " L' aspect des choses varie selon le point de vue de la personne. La vue émane de l'oeil. Et l'oeil doit se situer quelque part. Si vous voyez avec les yeux de la matière, le monde aura la même nature. Si vous regardez avec les yeux subtils (ceux de l'esprit), le monde apparaîtra subtil. Et si votre oeil devient le Soi, le Soi étant infini, l'oeil sera infini."
Cessant d'être identifié à un processus mental me donnant l'illusion de n'être qu'un individu, au lieu de désirer n'être que tel individu désirant tel et tel objet, je deviens avant tout le désir de ce que je suis vraiment qui se désire en tout ce qui apparaît : les désirs jusque là seulement individuels s'intègrent en l'unique désir d'être vraiment qui je suis au-delà du processus mental. Qui Je suis vraiment dès lors qu'il s'aperçoit lui-même est libre des désirs individuels même si ces désirs individuels (en tant que préférences individuelles) demeurent encore non parfaitement intégrés au désir de qui je suis vraiment. Ceci permet alors de comprendre cette affirmation de Ramana Maharshi : " Le cœur est l 'unique vérité. L'esprit n'est qu'une étape... " Dans le contexte de l'approche de Douglas Harding, voir l'absence de tête est l'étape de l'esprit, il faut que qui je suis vraiment désire se reconnaître en l'esprit pour que germe le coeur et l'amour qui en jaillit. Prendre au sérieux l'absence de tête comme étant l'esprit suppose alors cette réintégration des désirs individuels au désir sans objet de qui je suis vraiment.
Ce symbole de Jacob Boehme me parle bien de cette transformation subtile. L'esprit ici symbolisé par l'oeil libère le feu du coeur qui s'ancre dans le divin au-delà du connu et des voiles d'inconnaissance dont il s'entoure mais aussi qui lui permet de s'enraciner et donc de s'incarner plus intégralement.
Pour Sri Aurobindo et Mère, le quelqu'un qui réalise cela n'est pas personne, c'est l'âme, non pas la "petite personnalité frontale"avec qui on la confond souvent, mais l'être psychique authentique, "le fils du ciel par le corps de la terre" (Rig-Véda III.25.1)
Dans le langage chrétien de la tradition issue de Maître Eckhart, on parlerait de l'étincelle de l'âme qui est Dieu en nous, individualisation divine veillant à notre individualisation personnelle. Par elle, nous sommes unis à l'individualisation divine (Le Fils) autant qu'à sa transcendance (Le Père) et qu'à son immanence (Le saint Esprit). Ainsi là où l'individu égocentrique demeure séparé de la réalité divine, nous intégrons l'individualité comme l'oeuvre de l'évolution divine et non plus seulement d'une évolution de la nature.
Nous commençons dès lors à entrevoir que l'évolution divine et l'évolution de la nature sont liées l'une à l'autre et que la lumière des étincelles de nos âmes qui y communient occupent surement une position privilégiée dans ce processus de divinisation.
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