jeudi 29 février 2024

En vue de ne pas confondre l'Eveil du Soi et un accomplissement définitif - Épisode 2/4 - Les dimensions inconscientes et les illusions de la conscience éveillée.


Haruyo Morita née en 1945 à Saitama, Japon


Ce qu'autrui reconnaît comme ma personne est à la lumière du Soi, une manifestation instantanée dans ce qui est vécu ici comme une Présence consciente atemporelle et impersonnelle embrassant tout ce qui apparait. 


Ceci constaté tout est-il réglé ?


Un certain néo-advaita affirme que la présence consciente du Soi étant réalisé, tout est parfait, il n'y a rien à faire. 

Eveil du Soi et réalisation de Soi sont confondus par ce néo-advaita.

Premièrement, pour certains, il y a va-et-vient entre une conscience du Soi et une conscience égocentrique où la présence du Soi est éclipsée. Pour de telles personnes, le constat précédent que ma personne est une manifestation du Soi peut être fait, mais il est évident que quelque chose manque de clarté pour que soudain l'ego séparé seul subsiste éclipsant le Soi. De telles expériences invitent à modérer l'identification de l'éveil du Soi et de sa réalisation.

Ce type de néo-advaita soulignera que cet ego éclipse le Soi tant qu'il prolonge l'identification à un chercheur. C'est l'effort spirituel qui provoquerait ce va-et-vient.

Ce néo-advaita va dès lors dénoncer toute approche spirituelle qui consiste à dire que l'Eveil du Soi ne signifie nullement l'abolition de l'ego à sa périphérie et qu'un effort reste requis tant qu'il y a ego en périphérie du Soi. 

Ce néo-advaita va proclamer que si la conscience de notre vraie nature est réalisée dans son impersonnalité alors il n'y a plus d'ego. Soit il y a le Soi, soit il y a l'ego. 

Comment oser dire, comme Douglas Harding, qu'il y a le Grand au centre (le Soi) et le petit (notre ego) à la périphérie prêt à reprendre sa place au centre ? 

Comment oser distinguer comme Yvan Amar, à la suite de son maître Chandra Swami, l'éveil du Soi et sa réalisation voire divers niveaux de réalisations

J'aimerais ici insister sur des indices qui montrent que l'éveil du Soi n'est pas la fin de l'ego : troubles émotionnels, désirs et pulsions relatives à une personne demeurent. Tant qu'il y a du désir et des pulsions, il y a de l'ego au moins périphérique, il y a un vécu séparé où il y a sujet et objet. Il reste une dualité relative au sein d'un vécu non duel du Soi.

Là-dessus, le néo-advaita n'est pas clair. Il affirme qu'il n'y a plus d'ego quand il laisse libre le cours des désirs et des pulsions.

L'éveil au Soi, même momentané car aussitôt de nouveau éclipsé, montre l'usurpation de l'ego qui s'illusionne centre de la conscience. Si en l'ego, il y a une collaboration qui se développe, un disciple se forme, la lumière du Soi œuvrera en complicité avec ce disciple du Soi. Un processus amènera l'individu à faire face à tous ses autres aspects qui refusent la lumière où ils finiront dissouts, refondus, à ses aspects qui la craignent pour de mauvaises raisons, etc.

Bien entendu, quand la lumière spirituelle du Soi brille consciemment, la personne n'occupe plus illusoirement le centre de la conscience. L'essence de la présence consciente, notre vraie nature est cette lumière spirituelle que nous sommes. Et quand celle-ci brille intensément, notre vraie nature imprégnant tout à l'évidence, comment distinguer de notre Soi une quelconque trace d'ego encore séparé ? comment distinguer notre personne de l'impersonnalité du Soi ?

Mais une proclamation d'une réalisation du Soi à partir d'une expérience et non d'un état n'est pas sincère et dit bien un manque de soumission d'un restant d'ego au Soi. Le disciple du Soi en la personne est irrémédiablement devenu un ego spirituel discret mais luciférien, son accès à la lumière du Soi est indéniable mais sa capacité à agir dans l'ombre de cette lumière l'est aussi !

L'éveil du Soi est un pas, mais plus de cœur et d'intelligence pour le monde et son Devenir est entrer davantage dans la lumière. 

L'amour pur et vrai ne comporte et ne s'accompagne d'aucune forme de désir centré sur nos intérêts personnels. La dévotion ou Bhakti en sanscrit est rendue possible par la coexistence du Soi éveillé avec un ego bhakta qui demeure en sa périphérie, mais cherche à s'y fondre par amour et désir mêlés. Le paradoxe est que l'accomplissement de son désir personnel d'amour le mènera vers la réalisation d'un amour pur et vrai, une saturation de Joie dans le cœur qu'il n'est pas possible de confondre avec des désirs appétits et des pulsions. L'accomplissement de la dévotion est précisément une purification de l'amour dévotionnel de tout désir appétit ou pulsion. Ici si l'union d'amour est réalisée, il n'y a plus d'ego spirituel possible sur cet aspect de notre personne où s'est réalisé cette union. Il y a réalisation que l'amour pur et vrai est une unité de substance entre individu et Divin au sein du Soi. L'amour pur et vrai ainsi réalisé au sein d'une relation d'un aspect de ce petit avec le Grand abolit par son vécu toute idée de différenciation de valeur entre individu et Soi, toute idée de différenciation de valeur entre personnalité et impersonnalité.

La dévotion même réalisée n'empêche pas que des désirs et pulsions d'agrégats d'ego demeurent non encore transmutés dans l'amour vrai et pur présent dans le centre du cœur. Si cette irruption de l'Amour divin dans la lumière du Soi se poursuit dans son activité transformatrice alors même les petits désirs que sont les pulsions peuvent commencer à se soumettre à la lumière du Soi. Il y a à côté d'un Soi vécu comme indifférence au devenir du monde, un chemin d'incarnation de la lumière du Soi comme lumière de l'Amour divin.

Le chemin de la prise de conscience du Soi surmontant l'illusion égocentrique est assez balisé et simple. Il est nécessaire. Mais l'aventure en aval de l'éveil du Soi ne semble pas avoir de fin car l'ego périphérique et l'inconscient de l'individu où il demeure est le terrain où se joue le Devenir du Soi.


Il y a là plusieurs chemins, les aventures sont singulières, les chemins ne sont même pas établis, plusieurs vocabulaires sont possibles. Ces cartes qui dessinent un territoire encore inexploré s'avèrent forcément subtiles et délicates pour quelqu'un qui n'a que quelques pressentiments de ce dont il pourrait s'agir. Toutefois si l'heure est venue, l'éveil du Soi servira en cet individu l'aspiration de l'amour pour qu'émerge l'individuation du Divin. Alors, face à ces cartes offertes par des pionniers de cette aventure spirituelle, il saura surmonter le défi de leurs subtilités, de la délicatesse d'interprétation due aux zones imprécisément cartographiées et elles commenceront à lui être utiles.

Par exemple, la Katha Upanishad donne un enseignement à Nachiketas qui selon Yama, la mort, manifeste consciemment le Soi (Katha 1.II.9) et aspire à la vérité aux mépris de tous les désirs mondains (Katha 1.II. 12-13). Le lecteur pressé citera les passages qui le confirment dans son néo-advaita. Mais devant l'idée qu'au fond de la grotte du cœur soit présent un feu sans fumée, un purusha individuel, pouvant grandir par la présence de la Mère Divine, etc. il passera son chemin. Les notions d'Isvahra au-delà de l'atman et de purusha qui comportent l'idée d'un absolu individuel et personnel seront même traduites à contresens.

Qui aujourd'hui parmi nos éveillés néo-advaïtas ouvre un passage dans ces subtilités du Soi en prenant vraiment au sérieux une telle carte laissée par les rishis des Upanishads ?

Et évidemment d'autres aventuriers qui partent de là et vont encore plus loin seront ainsi aussi banalisés ou méprisés par ces tenants du néo-advaita qui ont pu les rencontrer. Bien sûr, leur vécu du Soi leur inspire l'idée qu'ils sont ouverts et tolérants puisque tout est accueilli sans jugement ici et maintenant. Par ailleurs, eux, ont le sentiment de l'humilité de leur non-savoir et sont, il est vrai, reliés à des traditions multiséculaires éprouvées, contrairement à ces aventuriers parlant d'une nouvelle conscience et prétendant redessiner les cartes du territoire spirituel.






Ce n'est pas un problème : comprenne qui pourra. Seuls ceux qui y sont destinés, parce que c'est leur heure de Dieu, prendrons le chemin de l'aventure qui commence dans les territoires inconnus qui s'ouvrent à un individu où brille l'éveil du Soi.


Pour repérer ces territoires inconnus, revenons à notre observation initiale :

Ce qu'autrui reconnaît comme ma personne est à la lumière du Soi, une manifestation instantanée dans ce qui est vécu ici comme une Présence consciente atemporelle et impersonnelle embrassant tout ce qui apparait. 

Essayons d'observer, avec la qualité de lumière du Soi qui brille en nous, cet acte de Conscience à l'instant qui produit notre forme individuelle et ses désirs relatifs. 

L'autocréation de notre forme individuelle humaine n'est certes pas un hasard, elle n'est pas réductible à un pur produit d'indéterminations matérielles ! Mais soyons sincère, la présence consciente de la Conscience infinie dont il y a ici vécu semble être aussi en partie bien inconsciente ! L'autocréation est pressentie, mais elle est à l'œuvre dans les ténèbres lumineuses du Soi. Au niveau de notre subconscient humain physique, vital et mental, peut-on nier l'évidence de l'inéclairé. Si par le fait du Soi, ce que nous sommes est imbriqué et interdépendant avec le tout de l'univers, à l'évidence, il y a de l'inconscient concernant ces imbrications et interdépendances pourtant partiellement aperçues. 

A côté de notre subconscient et de notre inconscient cosmique, y a-t-il de l'Inconscient au sein de la Conscience infinie ? La présence consciente malgré son infinité serait-elle intrinsèquement liée à une base d'Êtreté inconsciente ? Ou, là encore, manque-t-il la prise de conscience au-delà du Soi et de ses ténèbres d'une supraconscience, l'Ishvara, le Suprême ? Peut-il se dévoiler en nous tant que la révélation du Soi au lieu de se clarifier les ténèbres et l'inconscient du Soi, un Non Soi sont absolutisés mentalement ? 

Face à la conscience infinie qui forme pourtant notre vraie nature, ne serions-nous pas comme quelqu'un quittant une pièce très sombre dans une journée d'été, qui voit certes l'évidence ensoleillée, mais n'en reste pas moins aveuglé et enténébré parce qu'il n'est pas coutumier de cet excès de lumière ?

Alors cet inconscient de la Conscience infinie est-il ténèbres intrinsèques à celle-ci ou est-il le fruit de notre enténèbrement individuel et cosmique ? 

Cette question qui semble résulter d'un jeu intellectuel, qui semble oiseuse, superflue, met en jeu une carte lié à un territoire : elle pointe l'espace immense d'une aventure, d'un jeu de cache cache du Divin avec lui-même.


Quant à ce qui se passe ici, entourant l'individu que je suis, je dirais que la Conscience source est pressentie à la racine de cette individuation de manière bien plus claire que ne l'est le Devenir des autres et de ce monde. Cette inconscience affecte le mental, le vital et le physique de cette individualisation et limite le chemin d'individuation qui s'y produit. Certes il y a éveil du Soi avec une âme. Mais une parfaite soumission et consécration du mental, du vital et du physique au Divin n'étant pas réalisée, l'autocréation Divine de tout ce qui est, reste, dès lors, pour la plus grande part inconsciente.

Ainsi quant à ce qui passe ici, le pressentiment d'être l'autocréation de la Conscience est intrinsèque à la présence de l'âme. Mais ce pressentiment d'un Suprême créateur conscient est loin d'en être la réalisation. Ici la Conscience d'être l'Un innombrable en Devenir n'est pas réalisé. 


L'auto-expérience de la Conscience au-delà de l'illusion d'une conscience égocentrique peut certainement s'approfondir dans une transformation de ses véhicules individuels car cette auto-expérience quand elle celle d'un Soi avec une âme est tempiternelle autant qu'atemporelle. 


"Petit doute, petit éveil ; grand doute, grand éveil. Pas de doute, pas d'éveil", sentence du bouddhisme T'chan. 


Haruyo Morita


mercredi 28 février 2024

En vue de ne pas confondre l'Eveil du Soi et un accomplissement définitif - Textes de Yvan Amar - Épisode 1/4

Yvan et Nadège Amar avec leur maître spirituel Chandra Swami

 ''Je m’apercevais que depuis des années je visais quelque chose qui se situait hors du monde, qui était transcendant du monde : ce qu’on appelle l’être ou le Soi, la réalité, quelque chose d’immuable que la peur ne peut atteindre. Je commençais à pressentir qu’en réalité je cherchais une « planque » ultime, et que tous les enseignements que j’avais reçus ne l’avaient été que dans la mesure où ils cautionnaient la peur que j’avais du monde et justifiaient cet élan vers une réalisation, une expérience ultime. Je cherchais constamment " au-delà " : au-delà du corps, au-delà des émotions, au-delà de la pensée, au-delà du changement, au-delà de la dualité. De fait, cet au-delà était toujours une façon de ne pas m’engager dans ce qui était la.

Ainsi, a un moment donné, j’ai vu le mensonge, et j’ai vu que, viscéralement, cela ne me correspondait pas, que je ne pouvais pas continuer à vivre dans une telle histoire. J’avais en outre l’intuition, et ce depuis des années, qu’il existait pour chacun une façon d’agir dans le monde qui lui correspondait en propre ; si je cherchais à savoir ce que j’avais à faire et si je faisais ce qui m’était juste, je devais logiquement me trouver dans l’axe de l’être, tout simplement. C’est alors que j’ai réalisé qu’il pouvait y avoir deux voies, que la réalisation, l’éveil, l’illumination n’étaient pas seulement de l’ordre de la transcendance, hors du monde.
J’avais vécu sous l’emprise d’un malentendu, ce qu’on pourrait appeler " le privilège exclusif de la transcendance". Comme si la transcendance avait le privilège exclusif du réel et qu’en fait, au sein du monde, il n’y avait d’autre possibilité que de vivre d’abord le réel transcendant, pour revenir ensuite dans le monde. Au fond de moi, j’avais le sentiment qu‘il devait exister une voie au sein du monde : une voie de l’immanence où il était possible de vivre le réel. A cet instant, j’ai senti que je prenais un risque : le risque de quitter le chemin de la transcendance.(...)
Et j’ai pris le risque de la vie, le risque de ne plus chercher au-delà. Cela c’est passé en trois jours...j’ai senti la vie. Je suis allé vers ce qui était là et j’ai senti la vie qui entrait en moi. J’ai senti que cette vie m’aimait, comme j’étais, tel que j’étais. C’était comme si elle m’attendait. J’ai alors compris pourquoi les grands mystiques parlent de la Mère Divine: parce que ce sentiment d’amour de la vie envers nous, on l’éprouve dans l’amour absolu d’une mère ; on est dans les bras de la Mère Divine. Aucune vision, aucune hallucination, c’était quelque chose de très simple, de concret et d’immédiat, qui me prenait à l’intérieur et que je reconnaissais.
Je sentais que cette vie m’aimait. Au fur et à mesure que c’était ressenti, éprouvé, montait en moi une confiance impérieuse. Autant je me sentais auparavant en conflit, séparé, avec une peur constante, autant j‘éprouvais alors une confiance absolue dans ce qui était, dans la vie. Ce qui est apparu immédiatement, c’est que cette confiance était ma nature : à la fois cette confiance et son objet. Cela n’a fait que grandir pendant ces trois jours, jusqu’au moment où s’imposa une confiance absolue dans tout ce qui était sans que ce soit un objet. Alors tout disparut : La Mère Divine, Yvan Amar... Il n’y avait que Cela : une réalité absolue où n’existaient plus ni division ni conflits, où seule existait l’évidence l‘être. Tout ce dont j’avais entendu parler, c’était l’évidence, c’était ce que j‘étais.
Indubitablement, ce dont avait parlé Ramakrishna, mon maitre, les grands textes que j’avais lus, c’était cela. J’avais toujours été Cela et tout était Cela. « Tout en vérité est Brahman. « « Tout en vérité est le Réel. « C’était l’évidence, chaque être était Cela. Dire « je suis Cela « ou « tu es Cela » ne faisait aucune différence.
La grande surprise de cet éveil, c’est que Cela était précisément ce que j’avais essayé de dépasser pour le réaliser ailleurs, dans l‘immuable, dans le transcendant. J‘avais soudain la révélation que cette vie qui s’écoulait d’instant en instant, ce changement permanent, ce grand processus, c’était cela le Réel, et que la peur que j’en avais m’avait fait rechercher une réalité immuable au-delà du changement. Ce changement était la réalité, et être la réalité c’était être ce changement, sans décalage. C’était être un avec le mouvement de la vie. Pendant des années, j’avais cherché une connaissance immuable qui abolirait toute ignorance, sans pour autant entrer dans aucune connaissance.
La mouvance est par nature mystère et être la mouvance de vie, c’était être le mystère. La question n’était donc pas d’être le mystère où d’un seul coup quelque chose était connu, mais de connaitre le mystère parce qu’on est le mystère. Quand on m’a demandé, à l’époque, si je pouvais dire à quoi correspondait cet éveil, cette illumination, j’ai dit : " C’est tout simple, je suis passé d’une incompréhension triste à une incompréhension joyeuse" . De fait s’était complètement effacé de moi l’idée d’une connaissance acquise, et cette ignorance, cette incompréhension joyeuse, apparaissait bien plus intelligente que tous les savoirs que j’avais pu accumuler.''
YVAN AMAR

Yvan Amar




"On ne reproduit jamais un éveil ; on ne fait que collaborer étroitement au processus éveillant qui s’est mis en route. Dans la mesure où l’on y collabore de façon profonde, sincère, intelligente, on devient de plus en plus conducteur de ce processus, et on l’incarne de plus en plus. (...)
Il faut reconnaitre que la lumière, l’intelligence de l’éveil n’éclairent en fait que les lieux dont on a ouvert les portes en nous. Ensuite tout le travail consiste à coopérer avec cette dynamique de l’éveil, à ouvrir une à une les portes de toutes les zones obscures pour y faire s’engouffrer la lumière de l’éveil, la lumière de cette intelligence que l’on conserve en soi. Elle est vivante en moi. Au cœur de mon être, je me sais éveillé, je me sais libre, indéniablement. Pourtant, je sais que ce n’est pas suffisant, que je ne suis pas ce qu’en Inde on appelle un « réalisé », c’est a dire un homme définitivement établi dans l’éveil, et qu’il reste encore bien des domaines de ma conscience qui doivent être investis de cette qualité, visités par cette intelligence.
Il m‘est alors apparu évident que ce qui était au cœur de la voie du monde, dans la vie quotidienne, c‘était la relation, et que la pratique consistait à faire de cette relation un travail constant. C’est ce que j’ai appelé la pratique de la « relation consciente ». (...)
Je me suis rendu compte à quel point l’enseignement qui mettait en avant l’éveil comme le but ultime avait tendance a individualiser la démarche et à renforcer l’égoïsme de chacun. Dans mon enseignement, j’ai voulu au contraire que les personnes entrent en relation les unes avec les autres, qu’elles oublient un objectif personnel d’éveil, de libération, et reconnaissent qu’on ne peut grandir qu’ensemble, en prenant le risque de l’autre, en entrant en relation profonde avec l‘autre dans la mesure où celui-ci est l‘occasion d’aller voir ce qu’on n’est pas capable de voir tout seul. (...)
ll se passe quelque chose a partir du moment où l’on n’est plus obsédé par l’éveil et où l’on entre vraiment en relation avec ce qui est. C’est d’ailleurs là que j’ai compris la vraie signification du mot satsang, qui tient une grande place en Inde cela ne se limite pas à la fréquentation du guru, mais c’est élargir le guru à tout ce qui est et fréquenter le réel en tout et partout. Le grand enseignement, le vrai satsang, consiste à vivre en relation consciente avec tout ce qui est ; c’est l’occasion d’un grandir qui, par nature, est de la nature de l’éveil.
En sanskrit, Brahman signifie « grandir », « croître «. Cette dynamique, du fait qu’elle devient prioritaire, nous libère de l’objectif de l’éveil ; on prend peu a peu conscience de la nature réelle du grandir et on se rend compte que cette nature est la réalité. Quand le Christ dit : "Je suis le chemin, la vie, la vérité ", il ne dit pas " Je suis le bout du chemin ", mais " je suis le chemin ". C’est quand on entre dans un grandir constant, qu’on ne cherche plus à atteindre une destination finale, un but, qu’on l’appelle « éveil » ou autrement, que le grandir devient lui-même la conscience vivante dans laquelle tout est inclus. Saint Jean de la Croix disait : « Celui qui s’arrête en quelque chose cesse de se jeter dans le tout. » "
Yvan Amar





Dans la relation d'accompagnement : Il n'est pas question d'aider l'autre ! C'est peut-être la notion d'aide qui est à revoir. Aider ... La première fois que j'ai utilisé ce mot avec Chandra Swami - j'avais dix neuf ans , il m'a dit : «Pas aider, servir». C'est très différent. Servir, c'est reconnaître que l'autre est en train de grandir là où il est, et c'est le servir là où il se trouve. Et c'est nous obliger, nous, à une écoute de ce dont il a besoin, là où il est maintenant, sans jamais lui imposer ce que nous avons reconnu pour nous-mêmes. Ce qui est une preuve de générosité, de tolérance, sinon d'amour, c'est de ne pas imposer à l'autre ce qui n'est pas encore sa reconnaissance à lui.
Yvan Amar, La pensée comme voie d'éveil


Texte de Yvan Amar



L'intégration de l'éveil
Comment reconnaître un authentique instructeur d'un faux ?
Comment, dans la quête spirituelle, ne pas se faire posséder par les charlatans, à quelque confession qu'ils appartiennent?
Chez celui qui enseigne ou possède un charisme, il existe un double processus. L'un de séduction, l'autre de conduction.
L'homme ou la femme inspiré par le divin et doté de charisme est porté à témoigner et à partager son vécu profond. L'expression verbale et corporelle permet de mesurer le niveau d'intégration de ce vécu et de se poser la question: "Subsiste-t-il encore un processus de séduction ? "
Même si son authenticité originelle ne peut être mise en doute, et quelle que soit la conscience qu'il met dans la relation, l'instructeur sent à un moment donné qu'il est en train de mettre la jolie fille sur le capot de la Rolls- qu'il use de séduction - alors que la relation se suffit à elle-
même.
Celui qui est libre n'est plus habité par l'image de lui-même.
Il n'a plus besoin de reconnaissance et encore moins d'entrer en relation avec l'autre pour abolir un sentiment de solitude.
Il est conducteur de la Réalité et témoigne, en se mettant à la hauteur de la personne qu'il a en face de lui.
Cet échange est facilité si celui qui trans-
met fonde sa pédagogie sur la compassion et la purification profonde de sa structure émotionnelle.
On est d'autant plus pédagogue que l'on est compatissant, car on se situe alors au niveau de la souffrance de l'autre.
Là réside la grande différence entre celui qui cherche à séduire et celui qui enchante par la magie opératoire du Verbe vivant, en conduisant la personne à ressentir cette transparence au fond d'elle-même.
Témoin et conducteur du Réel, l'instructeur donne plus qu'une simple présence; il transmet, par la structure même de sa présence, les outils de transformation qui vont accomplir l'enchantement chez celui à qui il s'adresse.
L'instruit, ayant reconnu ces outils, les adopte et se consacre au travail de transformation, que le maître ne peut évidemment faire à sa place.
En agissant de la sorte, l'instructeur spirituel révèle le degré d'intégration de l'éveil auquel il est parvenu.
Si la part de séduction a disparu, c'est propre, net, seule demeure la conduction.
Yvan Amar, L'effort et la grâce


Gilles Farcet, photo prise à Mangalam, Québec, mai 2023



Gilles Farcet cite Yvan Amar :

A toutes et tous qui avez eu la délicate attention de me souhaiter cet anniversaire , à mi chemin dans les « sixties », en route vers les « seventies » ….
Cette citation de mon très cher ami Yvan Amar qui résume parfaitement mon état d’esprit aujourd’hui :
« C’est quand on entre dans un grandir constant, qu’on ne cherche plus à atteindre une destination finale, un but, qu’on l’appelle « éveil » ou autrement, que le grandir devient lui-même la conscience vivante dans laquelle tout est inclus. Saint Jean de la Croix disait : « Celui qui s’arrête en quelque chose cesse de se jeter dans le tout. »
Ce que je me souhaite donc, c’est simplement de ne m’arrêter en rien et de continuer à me jeter bras ouverts dans le tout.
En gratitude indicible pour tout ce qui m’a été donné (y compris sous la forme de ce qui m’a été « pris »). Et dans la curiosité attentive de ce qui va suivre.



lundi 12 février 2024

Deux méthodes pour arriver à la Réalisation par Niranjan Guha Roy

 

RETOUR AUX SOURCES -Tableau de Niranjan Guha Roy


Deux méthodes pour arriver à la Réalisation


Toute la signification de l’effort spirituel est de devenir conscient de la Présence, de l’Existence Suprême. Au cours des âges il y a eu différentes méthodes pour arriver à cette réalisation. En Inde il y a deux systèmes très puissants.


L’un est le chemin élimination “Neti-Neti” “ pas cela, pas cela” On regarde la matière avec un mental tranquille, puis on perçoit que cette matière n’est pas la substance finale qu’elle dépend pour son existence d’une substance plus subtile. On perçoit alors le vital, l’énergie de vie comme le principe dominant , universel dans son aspect, plus libre, plus subtil et plastique, plus une énergie en action. Comme notre perception de cette énergie en action s’approfondit, on devient conscient qu’elle n’est pas la substance ultime, qu’il y a une énergie plus grande, plus raffinée, moins limitée dans son action, avec une plus grande liberté de mouvement, cette énergie est l’énergie mentale. Comme nous examinons cette substance mentale, on va se rendre compte clairement de sa nature créative. On sentira le mental comme la source d’où provient la création. Au fur et à mesure que notre   perception  de la substance mentale va s’approfondir, devenir plus claire, notre mental lui même va devenir plus paisible, tranquille, serein et quand les activités d’un mental ordinaire cesseront et que notre mental deviendra pratiquement silencieux, on va commencer à sentir la présence de la conscience spirituelle, une force, une félicité, une existence infinie, éternelle, à jamais libre, indépendante de toute manifestation, ne dépendant de rien d’autre pour son existence mais qui est la substance, l’énergie, la vie de toute manifestation, ne nécessitant rien d’autre pour sa félicité d’existence ; peu à peu, le mental, la vie, la matière vont sembler être les propres formulations temporaires, progressives de l’Esprit dans l’existence. En rejetant et éliminant tous les noms et formes de la matière, de la vie et du mental, nous émergeons dans la vérité de la réalité spirituelle, dans l’Être suprême. On est sorti de l’ignorance dans la réalité spirituelle de notre être, du plus bas hémisphère dans le plus haut lumineux hémisphère. Par une méditation constante, rejet et élimination, on peut devenir conscient de l’Esprit.


L’autre procédé est connu comme” Iti-Iti ” ” C’est cela, c’est cela”. Ce procédé est accessible à une très vaste catégorie de mental. On regarde les noms, les formes et on dit  “Cela est la Réalité”. Ça n’a jamais existé avant, ça existe comme voulu par la Réalité Suprême, ça restera en existence autant que le voudra  la félicité  du Suprême. Toutes formes de la matière sont cette Réalité. Tous les mouvements sont l’expression d’un seul Esprit. Toutes les pensées sont les pensées de l’Éternel. Dans ce procédé, nous reconnaissons  la Présence de l’Être Éternel. Avec foi, reconnaissons Sa Présence. Il n’y a pas d’obscurité, tout est une manifestation de l’Esprit . Le Suprême a pris ces milliards de formes pour la félicité d’expérimenter l’existence dans ces formes. Toutes les expériences sont ses propres expériences. Il n’y a rien d’autre que l’Esprit. Cette approche est la discipline la plus libératrice du yoga. Nous sommes alors dans la vision et la présence de l’Être Suprême dans chaque nom, forme, mouvement. Nous sommes entourés par l’Éternel, Nous voyons le Divin, entendons le Divin, touchons le Divin, sentons le Divin, mangeons, buvons le Divin, rencontrons le Divin dans la lutte, la colère, la violence, l’amour, l’adoration dans chaque contact. C’est le procédé le plus radical du yoga. Nous sommes réalisés quand nous disons simplement, sincèrement "Tout ceci est en vérité la suprême Réalité". Notre mental a alors subi la plus merveilleuse transformation et est devenu un mental lumineux. Le Divin pourra alors agir à travers nous. Nous vivrons en Lui, par Lui, pour Lui. Ceci sera la début de la plus merveilleuse ascension vers une transformation de plus en plus grande.


Niranjan Guha Roy


Œuvre d'Amita et Niranjan Guha Roy


samedi 10 février 2024

PREMIER PAS POUR QUE L'EGO CESSE D'OBLITERER L'IMMENSITE INTERIEURE

Offrande - Œuvre de Niranjan Guha Roy

Si nous avons connu une expérience d'ouverture à un état de conscience différent de notre état de conscience usuel centré sur notre ego, nous pouvons être amené à nous intéresser à la spiritualité.

Ou, c'est simplement la curiosité pour une aventure que des témoignages nous rendent attrayante, parce que nous ressentons comme un manque, un vide que cette possibilité pourrait combler.

Nous lisons, nous pensons, nous fantasmons à ce sujet. Mais nous ne sommes encore la plupart du temps qu'un ego qui accumule des informations sur des états de conscience sans pour autant revivre un état de conscience qui n'est plus centré sur notre conscience de moi usuelle.

Nous pouvons apprendre à mieux penser, à mieux vivre nos émotions et à détendre notre corps, mais c'est encore et toujours une vie de conscience centrée sur notre ego que nous vivons.


Alors ?


Avec le plus grand sérieux, je vous invite à penser à la plus grande chose possible. Pour rendre cela plus aisé, je vous invite à vous imaginer une sphère que vous allez faire grandir le plus possible.

Pour la faire grandir le plus possible, vous devez vous inclure à l'intérieur d'elle et ne pas seulement la faire grandir devant vous.

Vous pouvez lui donner une couleur par imagination si cela vous aide, un bleu translucide par exemple.

Tout ce que vous entendez, sentez, voyez, ressentez sera inclus dedans. Cela ira au-dessus du champ visuel, au-delà de l'horizon, cela  s'étendra au-dessous du sol.

Mais bientôt votre sphère de pensée la plus grande possible sera arrivée à un point où votre effort mental patine. C'est comme si vous faisiez déborder la pensée au-delà de la possibilité de grandeur de votre pensée.

Dans quoi cette sphère de pensée s'est-elle étendue ? Dans quoi cette pensée s'évanouit-elle au-delà de ses possibilités d'imagination d'extension ?

Si vous avez tenu bon et mené l'expérience à fond, vous venez de toucher une immensité intérieure qui échappe à votre vie centrée sur l'ego et la pensée.

Et alors, me direz-vous ? N'est-ce pas une bien pauvre expérience puisqu'à peine je reviens à mes pensées usuelles, cette immensité intérieure entrevue s'efface ?

Vous pouvez refaire l'expérience les yeux fermés et vous constaterez que cette immensité intérieure, ces ténèbres lumineuses sont partout, une sphère sans borne, dont le centre est partout et la circonférence nulle part.

Mais, me direz-vous encore, et vous avez raison de questionner, cette intériorité qui dépasse ma subjectivité même si elle est là, en arrière-plan, en quoi pourrait-elle changer ma vie subjective centrée sur mon ego ? Le frêle moment où l'expérience l'a découverte, qu'a-t-il découvert sinon comme des ténèbres lumineuses au-delà de mes possibilités de pensée. 

Or les témoins spirituels parlent d'une paix, d'une joie, de lumières, d'énergies décuplées, de mémoires de vies antérieures, d'anges, de dieux, etc.

Cette expérience d'une immensité non saisissable mentalement n'est-elle pas bien pauvre ?

Ce premier pas est pourtant un pas spirituel dans une conscience immense au-delà de la conscience de l'ego. En trouvant cela bien trop pauvre, n'oubliez-vous pas dans vos lectures et vos informations qu'il y a une valeur spirituelle de la pauvreté ?

Avez-vous compris la voie de la pauvreté comme une voie du renoncement de l'ego à ses biens ? La pauvreté, c'est renoncer à l'enrichissement de l'ego aux dépends des autres, des êtres sensibles et du monde. Mais ce n'est pas le choix d'une misère matérielle qui est requis, il s'agit de renoncer à être un propriétaire et de se contenter d'être un régisseur de biens, le temps de ce corps au service de tout et de tous. La pauvreté au sens spirituel, consiste à renoncer à nos désirs d'ego de s'approprier de la valeur, y compris par des expériences extrêmes d'émotion, d'énergie et de vision de pensées-sensations merveilleuses.

Ces ténèbres lumineuses au-delà des possibilités de nos lumières intellectuelles nous invitent à leur pauvreté, à leur silence, à leur laisser-être sans juger, à leur ouverture inconditionnelle à ce qui se manifeste... 

Les pauvres ne dirigent pas le destin du monde et rien ne les amène à le penser. 

Faisons vœu de pauvreté, consentons à descendre du trône de la conscience où nous siégions en ramenant tout à nous ! Cédons ce siège égocentrique où notre règne catastrophique n'était que querelles avec nos voisin(e)s et nos frères ! Laissons ces ténèbres lumineuses au centre de nous-mêmes. Devenons ce régisseur inquiet, ce simple ouvrier qui œuvre même s'il n'a encore jamais vu ses Maîtres qui l'ont embauché et s'il n'entend pas intuitivement leur volonté hormis par quelques réflexions universalisables toujours à amender.

Pauvres d'Esprit, faisons place avec foi au centre de nous-mêmes à ces ténèbres lumineuses où notre Seigneur Suprême et notre douce Mère se tiennent cachés. Des indices par eux laissés, des murmures discrets, de petites variations de luminosité finiront par nous parler de ce qui en est précisément de nos résistances du moment à surmonter, de l'offrande à faire.


Pour en revenir à l'expérience de ce premier pas à tester et à pratiquer, voici un plan d'action qui pourrait aider :

 

Plan pour éprouver l'immensité inspiré par Douglas Harding

Dans cet article, avec l'aide d'expériences transmises par Douglas Harding, je propose un deuxième pas sur ce chemin de pauvreté et d'humilité :


lundi 5 février 2024

Au sujet de la Paix par Niranjan Guha Roy

œuvre de Niranjan et Amita Guha Roy



 Au sujet de la paix

La chose la plus recherchée dans le monde et en même temps la plus rejetée par les hommes est la paix. Quand elle est là, les hommes et les femmes s’ennuient. Quand elle est absente ils se plaignent. Mais la paix est toujours là, comme l’air que nous respirons. Elle est toujours accessible et peut devenir permanente dans notre conscience, dans notre être. Elle est la présence du Divin, de l’Esprit, un aspect tangible du Créateur suprême. Elle est accessible, présente dans le corps, dans le domaine vital de la vie, dans le mental et dans l’âme. Les arbres et les plantes, les pierres, la mer ou la matière juste vitalisée émanent une grande paix. C’est pourquoi ceux qui recherchent la paix se retirent souvent dans des endroits déserts. Les explorateurs qui ont été au pôle nord, ou au sommets des montagnes, les marins perdus dans l’immensité de l’océan, les voyageurs se reposant la nuit dans les déserts, même les cosmonautes loin de ce monde, sans pour autant être des êtres spirituels, ont souvent senti une grande paix, une paix vivante qui les pénètre et leur apporte un bonheur ineffable. On peut trouver une paix vivante dans la foret, spécialement dans des arbres géants, on peut sentir la paix dans leur sève même. 

C’est avec l’éveil progressif de la vie que commence le tourment. L’éveil de la vie est en même temps celui du désir, du feu qui peut être apaiser juste pour un moment. Avec les animaux les plus évolués nous voyons une alternance entre paix et perturbation. Un lion qui chasse n’est pas paisible, un tigre qui se bat pour une femelle est la violence incarnée. Un lion bien repu est une image de paix. Les animaux ont la capacité naturelle d’être vraiment paisibles quand leur besoins primordiaux sont satisfaits. Même les hommes des tribus primitives ont une entrée dans une profonde paix. Chez eux, le mental, le tyran suprême, le tourmenteur est à peine né encore. 

La réelle torture de l’homme commence avec l’éveil de l’être mental quand il mangea “la pomme de la connaissance”.

Avec l’éveil des idées de ce qui est bien ou mal, vrai ou pas vrai, de ce qu’il doit avoir, de ses droits, ses besoins et demandes, ses caprices, ces espoirs et aspirations, il est exilé du paradis. La paix est partie. La vraie raison ? Il est victime de ses propres pensées, de sa propre vision du monde. Il est lui même le lieu d’une immense contradiction incessante et à chaque pas, il est en contradiction avec le monde qui l’entoure. Sa recherche de la paix a commencé il y a bien des âges. 

Les sages nous ont révélé comment l’obtenir. Le Bouddha nous a montré que pas l’abolition des désirs, on peut arriver à une paix absolue. Bien avant lui, il y a eu des sages qui recommandaient la pratique du détachement. Nous devons essayer de percevoir les choses à travers le témoin qui existe réellement en nous. Pour beaucoup de choses nous sommes vraiment des témoins mais pour ce qui nous touche personnellement, il est difficile d’être paisible, un témoin inébranlable. C’est le premier pas. On doit pratiquer la discipline de devenir un témoin. C’est la clé de la spiritualité indienne. 


Puis graduellement, on découvrira que le témoin a le pouvoir d’apaiser, de calmer même les plus violents assauts des impulsions vitales et peut même apaiser les souffrances physiques. Le témoin peut calmer le mental assez facilement. C’est pourquoi les intellectuels désintéressés sentent une paix en eux. Mais il y a des degrés, des intensités, même des différentes substances de la paix. En résumé. L’abolition des désirs, au moins un contrôle lumineux des désirs, un détachement progressif et la découverte du témoin en nous sont des moyens à notre disposition.


Mais il y a un autre moyen tout puissant, souverain, infaillible qui est la prière.

 Si nous pouvons nous abandonner dans les mains du Seigneur, de la Mère Divine, du Créateur divin, du Mystère de cette invisible Personnalité dans un mouvement d’humilité, de supplication, avec quelques mots spontanés d’un enfant "Aide moi, soutien moi, protège moi, donne moi la paix" alors le miracle se fait. Le grand mystère ne refuse jamais ses bénédictions et amour même à l’être le plus faible, misérable, déshérité du monde. Il nous enveloppe de sa paix qui est un bonheur indescriptible. Prier comme un enfant, ouvrir son cœur, exprimer ses tourments, souffrances, simplement, s’approcher de lui avec la confiance du chien fidèle. Alors il prend soin de son enfant qui ne se sentira plus jamais seul. La paix sera avec lui. La paix lui apportera une grande compréhension. La paix contient la lumière en elle. Dans la paix on comprend infiniment mieux. La paix apporte un repos bénéfique. En même temps, la paix nous libérera de ce que la spiritualité indienne appelle le recul, la peur, la honte, la haine, etc. Elle abolira intérieurement, psychologiquement le sens de séparation des autres. Nous sentirons profondément à l’intérieur de nous une unité avec tous les êtres, toute la création, comme si tout devient soi-même, tout est une paix infinie.


Si nous devenons plus vaste, si nous pouvons prier pour la paix, pour toute la terre, si nous pouvons être impersonnels, nous serons capables de sentir la paix partout, dans chaque chose, la seule réalité, la base de l’existence.

 Que la paix apaise les désirs aveugles et la violence et soulage les souffrances. Paix pour chacun et pour toute la terre. Dans cette paix nous pouvons sentir l’Être suprême, le bonheur durable au dessus de tout conflit et contradiction. La paix immuable.


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Niranjan Guha Roy 1977


Peace par Amita et Niranjan Guha Roy


vendredi 2 février 2024

Les différentes voies spirituelles par Douglas Harding ou le quadruple sentier

 21 décembre 2015

Les différentes voies spirituelles par Douglas Harding

être-et-ne-pas-être



LA  FEUILLE  DE  TREFLE ou Montre-moi  Le Chemin Pour Rentrer Chez Moi


 par Douglas E. Harding, dans Être et ne pas être, telle est la réponse, Edition Almora


 


           


Il y a peu de chances que les éditeurs de la précieuse revue WHICH ? publient, dans un avenir prévisible, un numéro consacré cette fois non pas à comment choisir votre voiture, ou votre caméscope ou votre carrière professionnelle, mais votre carrière spirituelle ou le Chemin Pour Rentrer Chez Vous. C’est donc à vous d’étudier la question, même superficiellement et brièvement. Et j’ajouterai qu’il serait grand temps !


Car, voyons un peu les faits. Avant d’en choisir une pour la vie, les jeunes gens intelligents et responsables prennent la peine d’examiner soigneusement les carrières qui s’offrent à eux dans ce monde. Ils pèsent le pour et le contre de chaque métier. Ils demandent conseil. Ils en essaient même parfois quelques uns, pour vérifier la température de l’eau du bain avant de s’y plonger. Il est rare que l’on épouse une carrière pour la vie par accident ou distraction. Comme il en va différemment si et quand ces mêmes jeunes personnes intelligentes et responsables en arrivent à choisir ce qui est infiniment plus important, leur carrière spirituelle. Choisir, mon œil ! Pourquoi ne pas admettre que vous y avez été poussé(e) par ce qui avait toutes les marques du plus pur des hasards ? Un ami avait un ami qui avait un billet de trop pour cette conférence passionnante. On vous a poussé(e) à lire ce livre sensationnel. Vous avez voulu draguer cette charmeuse dans le train : en fait c’est elle qui vous a dragué, et recruté ainsi un disciple de plus pour son gourou bien-aimé. Vous vous ennuyiez, vous ne saviez pas trop quoi faire, et voici que cette circulaire flamboyante a atterri sur votre paillasson, y mettant presque le feu ! Etc. Quoi que ce soit qui ait déclenché votre voyage de retour Chez Vous, je parie que, pas plus dans votre cas que dans le mien, cela n’a été une étude approfondie du terrain spirituel, des routes qui le traversent et de leurs conditions de circulation respectives.


Eh bien, il est tard, mais pas trop tard, pour nous amender. Peu importe si le voyageur a l’habitude ou non des grandes routes, peu importe où il en est sur le trajet, plus il a de renseignements sur la route, mieux c’est. Visibilité, intempéries, flux de la circulation, limites de vitesse, accidents, travaux, et surtout les détournements éventuels – autant de signaux ou d’informations radio auxquels il n’est ni prudent, ni raisonnable de s’aveugler ou de faire la sourde oreille. Et c’est particulièrement important s’il s’agit de la route spirituelle, la voie qui vous ramène Chez Vous. D’où cet article.


Ici, vous allez peut-être me dire qu’en réalité votre engagement spirituel n’a pas été déterminé par le hasard, mais par votre tempérament. Certains d’entre nous sont naturellement attirés par la poursuite de la Vérité, d’autres pas celle de la Bonté, d’autres encore par celle de la Beauté. Ou bien, si vous vous inspirez d’une autre tradition, vous allez peut-être faire remarquer à quel point notre legs spirituel ou héritage karmique varie – de sorte que certains d’entre nous sont attirés par la voie de la Connaissance, celle du Sage qui Voit – beaucoup par la voie de la Dévotion, de l’adoration de Dieu ou l’abandon total à Dieu ou à l’une de Ses incarnations – et quelques-uns par la voie des Bonnes Œuvres, celle d’une vie désintéressée consacrée au service d’un monde souffrant. « Si je suis fidèle à ma vocation, à mes dons (tels qu’ils sont) ils me conduiront finalement Chez Moi », me direz-vous. « Je suis ma propre voie et m’occupe de mes propres affaires, reconnaissant que les autres routes sont faites pour d’autres voyageurs, qui conduisent d’autres marques de voiture, qui roulent probablement avec d’autres sortes de carburant. Je leur souhaite bonne chance ! »


 Argument plausible, certes, mais qui ne me convainc pas. Pour deux raisons. Tout d’abord, je dois dire que cette invocation de mon tempérament, de mon caractère, de mon inclination n’a guère de sens pour moi. J’ignore ce qu’il en est pour vous, mais quant à moi, je ne parviens tout simplement pas à décider si je suis le type intellectuel, ou le type sensoriel-sensuel, ou le type émotionnel, ou le type actif, ou le type fainéant, ou un peintre de trottoir manqué, ou (par la grâce de Dieu) une sorte d’idiot éveillé. Et qui plus est, personne d’autre que moi n’est en mesure de me le dire. Ma source de renseignements intérieure me dit que si j’ai un tempérament, c’est un brouet de sorcière composé de tous les ingrédients que j’ai cités, et bien plus encore. Celui qui fait surface dépend de la personne qui tourne le brouet dans le chaudron. Deuxièmement – et c’est ma raison principale – bien qu’il soit certainement possible de rentrer Chez Soi par une seule route, on ne peut y rester que très brièvement, la visite est une visite éclair. En fait, j’affirmerai plus loin, dans cet article, que pour arriver Chez Soi, s’y reposer et s’y installer, il faut y arriver par plusieurs routes différentes. De sorte que finalement l’approche est latérale et pas seulement linéaire, elle est convergente, et non unidirectionnelle. Ainsi, notre soi-disant tempérament ou disposition est une restriction imaginaire dont il faut nous débarrasser, et non une particularité réelle à cultiver.


 Ou peut-être au lieu d’invoquer le fantôme du tempérament interprétez-vous (assurément avec plus de raison) les « évé­nements fortuits » qui vous ont lancé sur votre chemin spirituel pas du tout comme des événements fortuits mais comme les sages dispositions d’un Dieu bienveillant et omniscient. Dans ce cas je suggère que ce même Dieu, qui est certainement l’ex­pert par excellence en toutes choses, le prince de la tolérance et absolument pas chicaneur en ce qui concerne le chemin de Retour à Lui-même, accueillera chaleureusement votre découverte, à savoir que la voie qui vous a été tracée par Lui pour rentrer Chez Vous est tellement liée aux autres voies également tracées par Lui, qu’ensemble elles constituent un réseau routier invisible, l’unique flux du grand Retour. Comme nous allons le voir incessamment.


 Ces préliminaires nécessaires étant terminés, passons maintenant à notre étude comparative des quatre chemins de Retour suivants :


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Route n°1 : Le chemin de Celui Qui Voit, celui qui voit ce qui est Donné, ce qui est Vrai ; son voyage de Retour au Centre de toutes choses est le même que son voyage de Retour en son propre Centre et véritable Soi.


Route n°2 : Le chemin du Disciple Fervent, de l’Amour absolu ; cette voie de Retour conduit le voyageur au Divin Autre, seul objet d’adoration auquel on doive s’abandonner totalement.


Route n°3 : Le chemin du Serviteur, celui qui fait le Bien, et qui rentre Chez Soi incidemment, pour ainsi dire, en aidant les autres à se diriger dans cette direction.


Route n°4 : Le chemin de l’Artiste, celui qui savoure profondément la Beauté, qui est si totalement ému par la beauté du panorama de cette route qu’elle le ramène Chez Lui.


Chacune de ces quatre voies a ses avantages et ses inconvénients, ses pour et ses contres.


 


Route n°1 : La voie de celui qui Voit ce qui est Vrai


 



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POUR


De toutes les routes de Retour Chez Soi, c’est de loin la plus droite et la plus directe, la plus rapide (il n’y a aucune limite de vitesse dans aucune direction) et la circulation y est vraiment très réduite. Pour tous ceux qui la suivent, c’est la voie absolument EVIDENTE, et ils sont très étonnés qu’elle soit si impopulaire.


Pour voir, simplement, à quel point c’est évident, direct et rapide, faites ce voyage des voyages dès maintenant. Mon dessin vous montre ce qu’il faut faire, mais ne vous dispense pas de le faire.


Tenez un miroir à bout de bras et jetez un coup d’œil tout neuf sur ce que vous y voyez, comme si c’était pour la première fois. Observez comme ce visage est petit, opaque, compliqué, plein de lui-même à l’exclusion de tous les autres – sans parler de son caractère éphémère : ici-aujour-d’hui-disparu-demain.


Eh bien voilà ce que vous êtes pour vous-même et pour les autres là-bas, dans le pays lointain, loin de Chez Vous….


Maintenant, faites ce voyage des voyages : lentement, avec le plus grand soin et la plus grande attention, longez la route de votre bras tendu, du poignet à l’avant-bras jusqu’à l’articulation du coude, ensuite le long de votre bras jusqu’à l’épaule, puis tout le long de votre épaule – jusqu’à… QUOI ?


Jusqu’à l’ABSENCE ici de cou, de pomme d’Adam, de menton, de bouche, d’absolument tout. Jusqu’à la Non-chose, l’immense Espace, la Vacuité ou Clarté Consciente (je répète : Consciente), la Grande Ouverture qui vous Accueille à la fin du voyage.


De toutes les demeures, la vôtre est certainement la plus majestueuse. Remarquez le contraste total entre le Palais d’où vous regardez maintenant, et la masure (jolie, peut-être, et couverte de chèvrefeuille, mais masure tout de même, promue à la démolition) que vous regardez, loin là-bas, au bout de votre bras. Et vérifiez maintenant qu’ici vous n’êtes plus petit(e), mais immense et libre, vous n’êtes plus opaque mais complètement transparent(e), vous n’êtes plus enfermé(e) en vous-même, mais éclaté(e), grand ouvert(e) pour accueillir tout ce qui se présente dans votre infinie hospitalité, vous n’êtes plus du tout périssable, mais absolument impérissable (puisqu’il n’y a rien ici qui puisse périr), vous êtes sans âge, intemporel(le), immortel(le). Ici, Chez Vous, vous n’êtes visiblement plus un quelque-chose insignifiant dans le monde, mais l’unique Non-chose dans laquelle apparaît le monde, la Conscience qui contient le tout, le Mystère d’où tout procède et où tout retourne.


Oui, cette route qui vous ramène Chez Vous est aussi facile que cela, aussi évidente que cela, aussi rapide que cela. Et je vous assure (parole d’honneur) que ce voyage le long de votre bras n’était pas une excursion-en-chambre, ce n’était ni une imitation, ni un aperçu, ni une version inférieure de votre Retour Chez Vous. Si vous avez pris la peine de chercher un miroir et de prendre un vrai départ, si vous avez fait le voyage avec toute l’attention requise et un esprit ouvert, c’était le véritable voyage et il vous a ramené droit à votre vraie demeure. Mais alors, pourquoi cette route est-elle si impopulaire, si peu fréquentée ?


CONTRE


Il y a plusieurs raisons. La Route n°1 a plusieurs inconvénients (réels ou imaginaires), et on peut trouver plusieurs excuses plus ou moins spécieuses pour l’éviter comme la peste, ou même pour l’effacer carrément de la carte.


La première raison et la plus importante n’est pas difficile à trouver : nous l’avons déjà entrevue. Vous avez sans doute remarqué que votre vision de la Clarté Infinie dans laquelle disparaît votre épaule était un aperçu des plus brefs. Vous vous êtes peut-être déjà posé la question : pourquoi se donner la peine de rentrer Chez Soi (ou n’importe où, d’ailleurs) si l’on ne peut même pas s’y arrêter un moment pour regarder autour de soi, encore moins s’y garer ? En fait, ce n’est qu’après de nombreuses visites éclair de ce genre que vous aurez droit à un ticket de parking. Et naturellement, peu de voyageurs sont assez persévérants et patients pour gagner ce privilège.


La seconde raison tout aussi évidente pour laquelle la Route n°1, la voie de la Vision, est impopulaire, c’est qu’elle traverse un pays inintéressant : le paysage est terne, ennuyeux, austère, gris. Dites-moi, votre voyage de-la-main-à-l’absence-de-bouche vous a-t-il édifié(e) ? Vous a-t-il transporté(e), donné un sentiment d’élévation ? Ou au contraire, cela n’a-t-il pas été une descente en chute libre ? Vous et moi entendons tellement parler des joies et consolations de la voie spirituelle – de n’importe quelle voie digne de ce nom. Avez-vous fait l’expérience de quoi que ce soit de ce genre au cours de ce voyage extrêmement bref et le moins spirituel qui soit ? Ou y a-t-il la moindre chance qu’il vous soit donné de la faire si vous refaites éternellement ce voyage, tel un fou du Shuttle fasciné par la vue sous le tunnel de la Manche ?


Ici, pour ma part j’aimerais ajouter un troisième écueil à notre liste. Pendant un demi-siècle, j’ai observé les voyageurs suivant cette voie de la Vision, y compris moi-même, bien sûr. Et cela m’a persuadé d’une chose : il n’est que trop facile de rentrer fréquemment Chez Soi par cette route, et pourtant de manquer désespérément de l’humilité, de l’amour et de la compassion active – sans parler de l’émotion devant la Beauté – dont nous ferions certainement l’expérience si seulement nous pouvions y rester assez longtemps. Certes, nous, adeptes de la Vision, ne sommes pas des saints. J’ai même l’impression que tôt ou tard chacun d’entre nous va être horrifié de se trouver pire, et non pas meilleur, que  la moyenne des êtres humains. Alors, « que vaut donc cette voie spirituelle ? » allez-vous me demander.


Cet inconvénient de la Route n°1 est déjà assez sérieux, mais le quatrième est pire et de loin le plus décourageant. Le voyage vous a peut-être inspiré une certaine crainte, peut-être même avez-vous éprouvé une peur bleue, plutôt qu’une plénitude. Ce n’est pas étonnant. Même si le vous qui apparaît dans votre miroir, et en bien d’autres endroits, est une pauvre petite chose, très déficiente à bien des égards, et en fait un criminel attendant l’heure de son exécution – du moins ce vous existe, si brièvement que ce soit. Vous êtes au moins quelque chose, même dérisoire. Vous êtes au moins quelqu’un, même si ce quelqu’un est solitaire, sans amour, perdu au milieu des milliards d’autres « quelqu’uns » également infortunés. Mais même cette lueur de réconfort s’évanouit en fumée au bout de la route. Je vous demande alors (et vous me demandez ) : quel est donc l’intérêt de persister à rentrer assidûment chez Soi si ce n’est que pour découvrir que, malheureusement, on a disparu en route ? De quel accueil Chez Soi peut-on parler lorsqu’il n’y a personne à accueillir ? Parlez-moi des dangers de la route de nos jours ! Voilà une route qui est garantie suicidaire !


POUR


Bref, voilà bien un formidable acte d’accusation ! Et pourtant, je suis ravi de vous assurer qu’il existe une réponse radicale et convaincante à cette avalanche d’objections. Qui plus est, il se trouve que la réponse est intégrée dans la Route n°1 elle-même, et fournie par elle, là où elle prend la forme, si familière aux automobilistes, d’une feuille de trèfle – et dans ce cas, d’un trèfle à quatre feuilles, le vrai porte-bonheur.


 



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 En termes imagés, très souvent, la dernière ligne droite avant d’arriver au but est bloquée par des travaux sur la route, un accident ou des conditions atmosphériques atroces. Résultat : le voyageur est détourné sur l’une ou l’autre des trois autres voies qui mènent au Centre, Chez Soi, via la feuille de trèfle. En vérité, bien sûr, ces obstacles fréquents se révèlent en définitive une vraie bénédiction. Grâce à eux, finalement, mon chemin de Retour linéaire, mon approche unilatérale, devient une convergence multilatérale. Le pratiquant assidu de la Vision n’est pas contraint de pratiquer la dévotion, le service d’autrui ou le culte de la beauté, il y est amené doucement, naturellement. Selon les termes du Mundaka Upanishad : « S’étant approché par tous les côtés de Ce Qui est partout et tout, il passe dans le Tout. » Le mérite ne nous revient ni à lui ni à moi. Cela se passe tout simplement ainsi. Alors, et seulement alors, nous recevons un ticket de parking valable indéfiniment au Centre même de la Cité. Alors, et seulement alors, nous sommes en mesure de réaliser que c’est ici, et seulement ici, que se trouve notre Plénitude, notre Refuge incomparable, et à quel point ces craintes de l’annihilation étaient peu fondées.


En résumé, quelle que soit la voie que vous avez choisie (ou pas) pour rentrer Chez Vous, essayez sincèrement, je vous prie, la Route n°1, pour les bonnes raisons suivantes : elle est directe, rapide et facile, elle s’accorde parfaitement avec les autres routes auxquelles elle vous amène forcément, et en fin de compte on ne peut pas l’éviter. (Oui, les voyageurs qui suivent d’autres routes doivent finalement emprunter celle-ci aussi.) Mais n’en attendez pas trop tant que vous n’aurez pas fait le voyage si souvent que les conditions variées de circulation (par quoi j’entends les épreuves et obstacles que la vie nous  réserve toujours) vous auront obligé(e) à rentrer Chez Vous fréquemment par les autres routes, en particulier la Route n°2. Et vous comprendrez ce que Dieu veut dire lorsqu’il vous dit, comme à Al Niffari : « Contente Moi en t’occupant de ton Œil, et Je te contenterai en m’occupant de ton Cœur. »


 


Route n°2 : La voie du Disciple Fervent, de l’amour pour l’ADORABLE


 


POUR


Le voyage de Retour Chez Soi par cette route, qui est la Voie du Cœur, contraste nettement, à presque tous les égards, avec le voyage par la Route n°1, qui est la Voie de l’Œil. Par exemple : la Route n°1 était fraîche, parfois glacée, celle-ci est agréablement chaude, parfois brûlante. La première consistait à contempler le Vide – une Vacuité, une Absence pas plus exaltante, ni adorable, ni colorée, ni belle, ni parfumée qu’un trou dans votre chaussette – celle-ci est une Emotion qui n’est pas seulement teintée de rose et parfumée à la rose mais vraiment belle comme une rose, un Amour qui est déversé sur un Etre ou une Personne ou une Super-personne absolument adorable. La première était un exercice rigoureux d’indépendance, le Ne-cherchez-pas-de-refuge-à-l’extérieur que recommandait fortement le Bouddha – celle-ci est une façon détendue de s’en remettre à, se reposer avec un soupir de soulagement sur, Quelqu’Un dont vous savez qu’Il ou Elle ne vous décevra jamais. La première était un voyage solitaire, celle-ci est une joyeuse ballade dans un autocar plein de joyeux codisciples. Et, bien sûr, il n’y a rien de plus contagieux, de plus favorable à l’amitié, rien qui fasse mieux sauter les barrières que l’adoration commune et collective du même Quelqu’un divin – que ce Quelqu’un soit l’Un Lui-même, ou (plus vraisemblablement) une manifestation très spéciale ou un représentant de cet Un.


L’un dans l’autre, il n’est donc guère surprenant que la Route n°2 soit tellement plus populaire que la Route n°1. Et elle n’est pas seulement encombrée, elle est finalement obligatoire. Jusqu’à un certain point en route, et totalement à l’arrivée Chez Vous, de quelque direction que vous veniez, votre volonté personnelle et superficielle doit être subordonnée à – et se fondre dans – la volonté de l’UN que vous êtes vraiment, vraiment. C’est seulement si vous n’avez aucune volonté propre à déclarer, seulement si vous n’avez RIEN à déclarer à la douane du Ciel, qu’on vous laisse entrer pour de bon.


CONTRE


Ceci est la condition la plus dure et la plus astreignante que l’on puisse imaginer. C’est tellement difficile que, sur la multitude d’individus qui empruntent la Route n°2 et le nombre considérable d’entre eux qui la suivent assez longtemps, fort peu arrivent au bout du voyage et y établissent leur demeure. De sorte que finalement, la dernière ligne droite de cette route n’est pas plus populaire ni plus fréquentée que celle de la Route n°1. Plutôt moins, peut-être.


De plus, deux dangers formidables nous guettent sur cette route. D’abord, le risque que le Maître adoré se révèle un jour tout à fait indigne de notre adoration, sans parler de notre respect. Somme toute, s’il revendique, ou néglige de refuser, un titre tel que Sat-guru (terme sanscrit signifiant : « enseignant divinement inspiré »), ou Swami (sanscrit signifiant : « le Seigneur »), ou Maharaj (sanscrit signifiant : « Grand Roi »), ou Bhagwan (sanscrit signifiant : « Dieu »), ou l’un ou l’autre de nos équivalents occidentaux moins ambitieux, on peut dire qu’il se fixe un niveau très élevé, sinon qu’il cherche les ennuis. Et si l’on devait apprendre par la suite que toute sa vie se révèle être la négation et la contradiction de toutes les valeurs qu’il a prêchées, alors à la consternation de ses disciples s’ajoutent le scandale public et le discrédit jeté sur la spiritualité en général. Je ne dis pas que c’est ce qui arrive normalement, mais que cela arrive trop souvent. Disciples, prenez garde !


Le second danger, c’est que même si le maître spirituel rejette ce titre et ne cherche pas le pouvoir, il y a toujours un grand risque que la dévotion du disciple envers lui, personnellement, crée une telle dépendance qu’il s’arrête là. On pourrait presque dire que moins le maître a de prestance, mieux c’est, parce qu’il risque moins de bloquer le disciple à mi-chemin de Dieu. (Je songe à St Jean de la Croix et St Vincent de Paul qui ne rayonnaient ni l’un, ni l’autre, la sainteté). C’est bien joli que le maître déclare (en toute sincérité, on l’espère) : « Si vous n’êtes pas prêts, ou pas disposés à vous abandonner à Dieu, abandonnez-vous à moi pour le moment, comme une première étape avant d’arriver au but véritable de toute dévotion. » Mais trop souvent, cette première étape s’avère être la dernière dans cette direction, et le pauvre disciple reste bloqué sur le bord de la route, indéfiniment, très, très loin de sa Demeure. Probablement bloqué, s’il est chrétien, dans une adoration idolâtre de l’homme Jésus – oubliant cet avertissement : « Seul Dieu est bon » que donna Jésus lui-même à l’homme qui, dans un moment d’impétuosité, l’avait appelé « Bon Maître ». Titre bien moins prétentieux, je vous prie de remarquer, que Maharaj ou « Grand Roi », sans parler de Bhagwan ou « Dieu ». Oubliant également que St Paul se décrivait lui-même comme: « le plus grand des pécheurs ». Entre parenthèses, où nous situons-nous alors vous et moi, qui ne sommes certainement pas des saints ?


Je m’empresse cependant de répéter que, malgré ces conditions de circulation et de voyage risquées, ceci est une route que nous devons tous emprunter finalement, pour arriver au Centre. Ensuite, nous n’avons plus qu’à nous laisser aller dans l’abandon ultime, nous y fondre, lâcher prise totalement, et surtout ne rien faire. En termes chrétiens, c’est simplement la participation à la Divine Procession des Personnes, à l’adoration du Père pour Lui-même en tant qu’autre que Lui-même, en tant que le Fils qui est le Christ universel – et inversement, à l’adoration du Fils pour Lui-même en tant qu’autre que Lui-même, en tant que le Père de tous. Oui, vraiment : l’adoration de soi ne sent pas meilleur en Dieu qu’en l’homme. En vérité, seul Dieu ne dégage pas la moindre bouffée de cette odeur écœurante. Ce n’est qu’en Lui, qui est l’amour même, que notre amour est pur, sans la moindre trace d’amour de soi.


 


Route n°3 : La voie du Serviteur, de celui qui fait le Bien.


 


POUR


Il semblerait que ce soit une voie de Retour Chez Soi comparativement sûre et qui ne prête pas à controverse. En fait, la majorité des citoyens instruits et sages sont bien près d’affirmer que c’est la seule voie, les autres (dans la mesure où elles apparaissent même sur la carte) n’étant que l’expression d’un égocentrisme morbide. Nourrir les affamés, vêtir, loger et instruire les pauvres, soigner les malades – (s’ils ne le disent pas franchement, ils le laissent entendre) – c’est cela, vivre selon l’Esprit, c’est-à-dire s’oublier soi-même, oublier son bien-être personnel en servant avec amour. Et c’est juste, bien sûr. La soi-disant spiritualité qui consiste à regarder son nombril et reste fermée à la compassion est une imposture. En termes chrétiens une fois encore, le mendiant lépreux est le Christ voyageant incognito, et tout ce que vous ferez pour lui, c’est pour le Christ que vous le ferez, dans l’esprit même du Christ qui se soucie plus de lui que de toute la spiritualité de la chrétienté.


CONTRE


Mais là encore, si c’est la seule route que vous empruntiez, vous êtes sûr(e) d’avoir des problèmes et d’être retenu(e) loin de Chez Vous. Il est certain qu’aucun d’entre nous ne peut se permettre de contourner cette route, mais nous ne pouvons pas non plus nous permettre d’ignorer ses difficultés et ses dangers. En voici trois :


Se consacrer à faire le bien tout à fait naturellement, par pure compassion, sans la moindre trace d’autosatisfaction à jouer ce rôle de saint, c’est extrêmement difficile. Non : c’est humainement impossible ! St Vincent lui-même était-il saint à ce point ? Et Mère Teresa ? Non, je ne crois pas que vous puissiez rentrer Chez Vous par cette route. Vous devrez la combiner avec d’autres. Avec la Route n°1, par exemple, où le voyageur est à l’abri de l’autocongratulation puisqu’il n’y a plus personne à congratuler. Bien sûr, celui ou celle à qui vous venez en aide se moque pas mal de votre précieuse motivation. Et bien sûr, mieux vaut une charité qui se passe un peu (ou même beaucoup) la main dans le dos, que pas de charité du tout.


Bien plus grave que le problème des intentions mitigées, ce sont les conséquences mitigées. Songez aux résultats néfastes de vos actions les mieux intentionnées, aux effets secondaires imprévus de vos remèdes les plus efficaces. Il est notoire que l’aide à court terme a une méchante façon de dégénérer en entrave à long terme. Aider ceux qui sont dans le besoin à cesser d’avoir besoin de votre aide – voilà l’aide véritable, mais ce n’est ni facile, ni courant.


Finalement et essentiellement, il reste la question de savoir quelle qualité, quel niveau d’aide est vraiment salutaire. Une aide matérielle et psychologique qui ne tient pas compte de ses conséquences spirituelles peut s’avérer être un très mauvais service. Je songe à ces « chrétiens du riz » dont la conversion par des missionnaires bien intentionnés a été non seulement vaine, mais néfaste. Je pense à ces analgésiques que l’on administre par compassion aux mourants et qui les abrutissent à tel point que le Grand Retour Chez Soi qui aurait pu être l’aventure la plus brillante, le couronnement de la vie du patient, est effacée, ensevelie dans un épais brouillard. Bref, donner à votre patient ou à votre pauvre ce qu’il veut, sans discernement, ce n’est pas plus raisonnable que donner à votre enfant tout ce qu’il veut, sans discernement.


Que faire alors ? Comment découvrir ce dont il a vraiment besoin ? Les problèmes que vous rencontrez le long de la Route n°3 commencent à sembler si insolubles que l’on peut vraiment se demander si ce n’est pas simplement une énorme dérive, et pas du tout un Chemin de Retour Chez Soi.


POUR


Mais ne vous inquiétez pas, âmes généreuses ! Il y a bel et bien une sauvegarde contre toutes les mauvaises conséquences imprévues de vos bonnes œuvres, et contre les autres défauts de cette voie. Et il ne s’agit pas de bien calculer les résultats possibles, ni d’aucune autre sorte de réflexion habile. Non, ce n’est pas cela. Vous ne serez pas surpris d’apprendre qu’il s’agit simplement de combiner ce voyage de Retour Chez Soi par la Route n°3 avec le même voyage le long d’autres routes, et en particulier la Route n°1. Et voici comment procéder :


 


Tout en tournant votre regard vers l’intérieur de vous-même pour voir Qui vous êtes vraiment, vraiment, regardez à l’extérieur pour voir ce que vous allez être amené naturellement à faire. Ne demandez par pourquoi vous agissez comme vous le faites, n’essayez surtout pas de le calculer d’aucune façon. Cesser de fermer les yeux sur votre Œil Unique. Cessez d’ignorer l’Immobilité Centrale, l’Immuable qui meut toutes choses et certainement vos mains charitables et vos pieds d’évangéliste. Cessez de faire la sourde oreille au Silence Central qui parle à travers votre voix réconfortante et encourageante. Faites cela et le reste vous sera donné par surcroît. Faites cela, et soyez assurés que vous faites et dites ce qui est bon, au bon moment, de la bonne manière, et aux bonnes personnes – malgré vos doutes et toutes les apparences du contraire. Peut-être allez-vous donner à ce mendiant tout ce qu’il vous reste comme monnaie – ou peut-être pas. Peut-être allez-vous répondre généreusement à cet appel lancé par cette nouvelle organisation humanitaire – ou peut-être pas. Attendez et voyez, voyez et attendez. Vous n’attendrez pas longtemps. La vie Chez Vous ne suit pas de règles. C’est un bus, non un tramway. En fait, c’est un hélicoptère libre comme l’air et non un bus collé à la route. C’est cette seule vraie Spontanéité, expression authentique de la compassion, qui n’est déterminée ni par l’habitude ni par des principes mais va directement de l’Origine de toutes choses à la Solution des problèmes qu’elles posent continuellement. Le savoir-faire et le savoir-comment-faire issus de votre Centre Divin sont infiniment sages et merveilleux, alors que leurs analogues qui se prétendent produits par votre périphérie qui n’est que trop humaine sont illusoires et, en fait, non existants.


Ne me croyez pas. A partir de ce jour et désormais, essayez de faire confiance aux premiers et de vous méfier des derniers.


 


Route n°4 : La voie des Amoureux de la Beauté


 Cette voie de Retour Chez Soi est si peu reconnue dans les milieux dits spirituels que vous êtes sans doute surpris de voir que je l’ai incluse ici. Eh bien, pour vous l’expliquer, je commencerai par une histoire vraie.


Le Curé d’Ars, canonisé sous le nom de St. Jean-Marie Vianney, est l’un des saints modernes les plus émouvants et les plus doués de pouvoirs surnaturels. Pourtant, lorsque l’une de ses ouailles lui apporta une belle rose rouge délicieusement parfumée, il s’en détourna immédiatement, de peur qu’elle ne le distraie de son adoration de la Beauté Eternelle. Pour le curé, « la soif des yeux », comme « la soif de la chair », était un obstacle diabolique et en aucune façon une aide divine sur le chemin du Retour Chez Soi. Je soupçonne que cette malheureuse partialité était liée aux deux fait suivants : d’une part, comme Padre Pio, il était la proie d’horribles combats avec le Diable en personne, d’autre part il jugeait nécessaire de se flageller à intervalles réguliers. Deux disgrâces qu’il aurait pu éviter s’il avait seulement vu que toute beauté – et celle de la chair pas moins que les autres – témoigne de et procède de la Beauté de l’UN qu’il adorait si passionnément. Il est regrettable que, n’ayant pas reçu une instruction libérale, il n’ait sans doute jamais lu ‘Le Banquet’ de Platon, dans lequel Socrate, avec le charme et l’éloquence qui le caractérisent, montre comment l’appré­ciation des belles formes terrestres peut et doit vous amener peu à peu à l’amour de la Beauté Pure céleste.


Mais peut-être allez-vous prendre le parti du curé plutôt que celui du philosophe grec, niant – ou du moins doutant – que la poursuite de la Beauté vous ramène nécessairement Chez Vous. Après tout, ceux qui ont consacré leur vie à cette poursuite, comme Toulouse-Lautrec, Paul Gaugin et Pablo Picasso (pour ne mentionner que quelques uns des Maîtres modernes), ainsi que la grande majorité des Maîtres anciens, n’étaient ni des saints, ni des sages. Pas plus que Dante, Shakespeare ou Mozart ne courent le risque d’être canonisés. D’accord. Néanmoins je soutiens que la pléiade prestigieuse de génies des beaux arts nous rend à tous un service inestimable et indispensable, et ce dans le dévouement le plus absolu, sans se soucier du prix élevé que cela leur coûte personnellement. Dans notre contexte, on peut dire que, sans en avoir aucunement l’intention, tout en empruntant leur Route personnelle n°4, ils empruntent également les Routes n°2 et 3. Et je suis persuadé que les plus doués d’entre eux (sans parler des maîtres spirituels exceptionnels tels que Eckhart, Rumi et St Jean de la Croix qui étaient également des maîtres littéraires exceptionnels) ont emprunté aussi la Route n°1, la voie de la Vision. Shakespeare, en tous cas, l’a fait, en toute conscience, témoin la façon dont il nous avertit solennellement dans ‘Mesure pour Mesure’ que nous risquons fort de nous comporter comme des singes en colère aussi longtemps que nous persisterons à ignorer notre « essence cristalline », c’est à dire notre Transparence au Centre.


Evidemment, peu d’entre nous sont des maîtres, encore moins de grands maîtres, en quelque art que ce soit. C’est vrai. Mais cela ne veut pas dire que la Route n°4 nous soit fermée à nous, humbles mortels. Pas du tout. Voici une autre histoire vraie qui illustre mon propos.


En 1964, je conduisais ce que, faute de mieux, j’appelle « un atelier sans tête », dans le cadre d’une Ecole Bouddhiste d’Eté, près de Londres. Parmi ceux qui « perdirent leur tête » en cette occasion, se trouvait un monsieur qui se présenta comme Lieutenant Colonel Roger Gunter Jones. Le lendemain, alors que nous nous promenions ensemble dans le jardin, il fut transporté par l’éclat de certaines roses, se demandant de quel pays elles avaient été importées. Mais devant d’autres sortes de fleurs, un peu plus loin, il découvrit qu’elles aussi étaient d’une beauté saisissante. C’était comme si toutes les couleurs du monde de Roger s’étaient soudain mises à chanter. Et l’histoire ne s’arrête pas là. Au bas de la route, il y avait une décharge mal dissimulée et malodorante. Une semaine plus tard, je découvris Roger en contemplation devant un tas de vieilles boîtes de conserves, de débris de meubles et de vaisselle, de vieux journaux crasseux et froissés, en extase devant la perfection absolue de cet ensemble de formes et de couleurs. Nullement le genre de sentiment ou d’attitude que vous vous attendriez à trouver chez un officier de l’armée et attaché d’ambassade en retraite !


La vérité, c’est que lorsqu’en grandissant, nous commettons l’erreur monstrueuse mais inévitable d’amener cette tête-dans-notre-miroir sur nos épaules ici, au lieu de la laisser là-bas où elle est très bien sur ces autres épaules, elle obscurcit, déforme et ternit tout ce que nous voyons. Et le seul moyen de retrouver le monde brillant et resplendissant que nous avons perdu en grandissant, c’est de retourner notre attention vers ce qui reçoit le monde, et de voir qu’ici il n’y a pas l’ombre d’un grain de poussière – encore moins une tête – entre le monde et moi. Je vous accorde, bien sûr, qu’il y a une grande différence entre cette capacité renouvelée de savourer le monde et le don de le célébrer par de grandes œuvres de peinture, de littérature ou de musique. Mais cette capacité est vraiment merveilleuse et – oui ! – profondément créatrice : ne vous méprenez pas, elle n’a rien de passif. Et finalement elle est nécessaire si vous voulez élire domicile dans le Palais même de la Beauté.


Alors je vous dis : s’il se trouve que vous pratiquez assidûment l’un ou l’autre des beaux arts, que vous êtes donc engagé(e) sur la Route n°4, laissez-vous détourner aussi souvent que possible sur les autres routes et surtout sur la Route n°1. Vous deviendrez ainsi un(e) artiste encore plus doué(e), et un(e) artiste qui Voit. Ou si, comme c’est probable, vous pensez que vous n’êtes pas un(e) artiste, je vous dis : incluez la Route n°1 dans votre itinéraire, et vous verrez que vous êtes vraiment un(e) artiste, même un(e) grand(e) artiste, qui voit que, à partir du Centre du monde Qui vous êtes vraiment crée un univers incroyablement beau, y compris les décharges d’ordures.


Vous aurez remarqué que jusqu’ici je n’ai pas réussi à trouver un seul défaut inhérent à cette voie de Retour Chez Soi, à la différence des trois autres. Ma description de la Route n°4 a consisté essentiellement en « pours », plutôt qu’en « contres ». Ceci est à la fois surprenant et significatif, et c’est l’une des meilleures raisons pour lui accorder une place honorable dans notre rond-point, notre trèfle porte-bonheur. Le pire que je puisse dire sur cette Route n°4, c’est que ceux qui l’empruntent ont tendance à en baver et à en faire baver les autres. Comme Mozart, par exemple. Et après ? Sa musique me révèle des choses sur Dieu, sur moi-même et sur l’Univers qui ne peuvent être révélées d’aucune autre façon, ni dans aucun autre langage, ni par aucun autre être humain.


 


Conclusion


En un mot, notre travail, notre raison d’être, consiste à faire le tour de la rose des vents, à nous exercer dans toutes les directions, chacun à sa façon. Je ne vous propose pas de prendre pour modèle le célèbre sage indien Ramakrishna (1836-1886), mais son exemple est fascinant et révélateur. A l’âge de six ans (six ans !), il fut si bouleversé par la beauté d’un vol d’oiseaux blancs se détachant sur un ciel de nuages noirs qu’il perdit connaissance pendant des heures, et jusqu’à la fin de sa vie, une phrase musicale, un ensemble d’objets harmonieux pouvaient avoir le même effet sur lui. A l’âge de vingt ans, il devint le prêtre d’un temple dédié à Kali, la Mère qui crée l’univers d’une main, et le détruit de l’autre. La dévotion de Ramakrishna à Dieu sous cette forme frappante était totale. Mais un jour arriva au Temple un sadhu nu, appelé Tota Puri. Pour accomplir la tâche difficile de détourner sur le Dieu Sans Forme la dévotion que Ramakrishna portait à Kali, il prit un éclat de verre, l’enfonça dans le front de celui-ci, entre les yeux, et lui recommanda de méditer là-dessus. Cette fois-ci, Ramakrishna perdit connaissance pendant plusieurs jours, et lorsqu’il revint à lui, ce n’était plus à Kali qu’il était dévoué, mais à la Source de tout, la Source sans nom, ineffable. Voilà pour les Routes n°4, 2 et 1. Et la Route n°3, la voie du Service ? Eh bien, c’est précisément celle de l’Ordre de Ramakrishna, la communauté de moines qu’il fonda et dont la spécialité est de se mettre au service de l’humanité de toutes les façons concrètes possibles. Ainsi le rond-point est bouclé, la roue tourne en un cercle parfait et les rayons mouvants convergent sur l’Axe immobile.


Quand j’étais jeune, il y avait un chant à la mode, intitulé « Montre-moi le chemin pour rentrer chez moi ». C’était Stanley Holloway qui le chantait, et dans ce temps-là, il buvait. Je dirai cependant ceci en sa faveur : même ivre, il voyait juste, contrairement à la plupart d’entre nous. Nous sommes tellement « bourrés » que nous ne réalisons pas à quel point nous nous sommes tragiquement égarés loin de notre Demeure. (Les chiens perdus sont-ils aussi inconscients d’être perdus ?) Ou alors, nous sommes tellement ivres morts que nous prenons pour notre Demeure la boîte minable dans laquelle nous nous glissons le soir. Et beaucoup d’entre nous qui avons la nostalgie de notre vraie Demeure et tendons vers elle sommes tellement soûls que nous imaginons qu’il n’y a qu’un seul chemin vers elle – c’est-à-dire, bien sûr, le nôtre. Eh bien, désenivrons-nous et, avec l’aide de notre trèfle porte-bonheur, regagnons notre Demeure par tous les côtés, rejoignons-la, savourons-la, et élisons domicile dans le Palais que nous n’avons jamais quitté.

 En bref, la réponse à la question QUELLE VOIE ? est toujours TOUTES LES VOIES.


Douglas Harding



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