mercredi 28 février 2024

En vue de ne pas confondre l'Eveil du Soi et un accomplissement définitif - Textes de Yvan Amar - Épisode 1/4

Yvan et Nadège Amar avec leur maître spirituel Chandra Swami

 ''Je m’apercevais que depuis des années je visais quelque chose qui se situait hors du monde, qui était transcendant du monde : ce qu’on appelle l’être ou le Soi, la réalité, quelque chose d’immuable que la peur ne peut atteindre. Je commençais à pressentir qu’en réalité je cherchais une « planque » ultime, et que tous les enseignements que j’avais reçus ne l’avaient été que dans la mesure où ils cautionnaient la peur que j’avais du monde et justifiaient cet élan vers une réalisation, une expérience ultime. Je cherchais constamment " au-delà " : au-delà du corps, au-delà des émotions, au-delà de la pensée, au-delà du changement, au-delà de la dualité. De fait, cet au-delà était toujours une façon de ne pas m’engager dans ce qui était la.

Ainsi, a un moment donné, j’ai vu le mensonge, et j’ai vu que, viscéralement, cela ne me correspondait pas, que je ne pouvais pas continuer à vivre dans une telle histoire. J’avais en outre l’intuition, et ce depuis des années, qu’il existait pour chacun une façon d’agir dans le monde qui lui correspondait en propre ; si je cherchais à savoir ce que j’avais à faire et si je faisais ce qui m’était juste, je devais logiquement me trouver dans l’axe de l’être, tout simplement. C’est alors que j’ai réalisé qu’il pouvait y avoir deux voies, que la réalisation, l’éveil, l’illumination n’étaient pas seulement de l’ordre de la transcendance, hors du monde.
J’avais vécu sous l’emprise d’un malentendu, ce qu’on pourrait appeler " le privilège exclusif de la transcendance". Comme si la transcendance avait le privilège exclusif du réel et qu’en fait, au sein du monde, il n’y avait d’autre possibilité que de vivre d’abord le réel transcendant, pour revenir ensuite dans le monde. Au fond de moi, j’avais le sentiment qu‘il devait exister une voie au sein du monde : une voie de l’immanence où il était possible de vivre le réel. A cet instant, j’ai senti que je prenais un risque : le risque de quitter le chemin de la transcendance.(...)
Et j’ai pris le risque de la vie, le risque de ne plus chercher au-delà. Cela c’est passé en trois jours...j’ai senti la vie. Je suis allé vers ce qui était là et j’ai senti la vie qui entrait en moi. J’ai senti que cette vie m’aimait, comme j’étais, tel que j’étais. C’était comme si elle m’attendait. J’ai alors compris pourquoi les grands mystiques parlent de la Mère Divine: parce que ce sentiment d’amour de la vie envers nous, on l’éprouve dans l’amour absolu d’une mère ; on est dans les bras de la Mère Divine. Aucune vision, aucune hallucination, c’était quelque chose de très simple, de concret et d’immédiat, qui me prenait à l’intérieur et que je reconnaissais.
Je sentais que cette vie m’aimait. Au fur et à mesure que c’était ressenti, éprouvé, montait en moi une confiance impérieuse. Autant je me sentais auparavant en conflit, séparé, avec une peur constante, autant j‘éprouvais alors une confiance absolue dans ce qui était, dans la vie. Ce qui est apparu immédiatement, c’est que cette confiance était ma nature : à la fois cette confiance et son objet. Cela n’a fait que grandir pendant ces trois jours, jusqu’au moment où s’imposa une confiance absolue dans tout ce qui était sans que ce soit un objet. Alors tout disparut : La Mère Divine, Yvan Amar... Il n’y avait que Cela : une réalité absolue où n’existaient plus ni division ni conflits, où seule existait l’évidence l‘être. Tout ce dont j’avais entendu parler, c’était l’évidence, c’était ce que j‘étais.
Indubitablement, ce dont avait parlé Ramakrishna, mon maitre, les grands textes que j’avais lus, c’était cela. J’avais toujours été Cela et tout était Cela. « Tout en vérité est Brahman. « « Tout en vérité est le Réel. « C’était l’évidence, chaque être était Cela. Dire « je suis Cela « ou « tu es Cela » ne faisait aucune différence.
La grande surprise de cet éveil, c’est que Cela était précisément ce que j’avais essayé de dépasser pour le réaliser ailleurs, dans l‘immuable, dans le transcendant. J‘avais soudain la révélation que cette vie qui s’écoulait d’instant en instant, ce changement permanent, ce grand processus, c’était cela le Réel, et que la peur que j’en avais m’avait fait rechercher une réalité immuable au-delà du changement. Ce changement était la réalité, et être la réalité c’était être ce changement, sans décalage. C’était être un avec le mouvement de la vie. Pendant des années, j’avais cherché une connaissance immuable qui abolirait toute ignorance, sans pour autant entrer dans aucune connaissance.
La mouvance est par nature mystère et être la mouvance de vie, c’était être le mystère. La question n’était donc pas d’être le mystère où d’un seul coup quelque chose était connu, mais de connaitre le mystère parce qu’on est le mystère. Quand on m’a demandé, à l’époque, si je pouvais dire à quoi correspondait cet éveil, cette illumination, j’ai dit : " C’est tout simple, je suis passé d’une incompréhension triste à une incompréhension joyeuse" . De fait s’était complètement effacé de moi l’idée d’une connaissance acquise, et cette ignorance, cette incompréhension joyeuse, apparaissait bien plus intelligente que tous les savoirs que j’avais pu accumuler.''
YVAN AMAR

Yvan Amar




"On ne reproduit jamais un éveil ; on ne fait que collaborer étroitement au processus éveillant qui s’est mis en route. Dans la mesure où l’on y collabore de façon profonde, sincère, intelligente, on devient de plus en plus conducteur de ce processus, et on l’incarne de plus en plus. (...)
Il faut reconnaitre que la lumière, l’intelligence de l’éveil n’éclairent en fait que les lieux dont on a ouvert les portes en nous. Ensuite tout le travail consiste à coopérer avec cette dynamique de l’éveil, à ouvrir une à une les portes de toutes les zones obscures pour y faire s’engouffrer la lumière de l’éveil, la lumière de cette intelligence que l’on conserve en soi. Elle est vivante en moi. Au cœur de mon être, je me sais éveillé, je me sais libre, indéniablement. Pourtant, je sais que ce n’est pas suffisant, que je ne suis pas ce qu’en Inde on appelle un « réalisé », c’est a dire un homme définitivement établi dans l’éveil, et qu’il reste encore bien des domaines de ma conscience qui doivent être investis de cette qualité, visités par cette intelligence.
Il m‘est alors apparu évident que ce qui était au cœur de la voie du monde, dans la vie quotidienne, c‘était la relation, et que la pratique consistait à faire de cette relation un travail constant. C’est ce que j’ai appelé la pratique de la « relation consciente ». (...)
Je me suis rendu compte à quel point l’enseignement qui mettait en avant l’éveil comme le but ultime avait tendance a individualiser la démarche et à renforcer l’égoïsme de chacun. Dans mon enseignement, j’ai voulu au contraire que les personnes entrent en relation les unes avec les autres, qu’elles oublient un objectif personnel d’éveil, de libération, et reconnaissent qu’on ne peut grandir qu’ensemble, en prenant le risque de l’autre, en entrant en relation profonde avec l‘autre dans la mesure où celui-ci est l‘occasion d’aller voir ce qu’on n’est pas capable de voir tout seul. (...)
ll se passe quelque chose a partir du moment où l’on n’est plus obsédé par l’éveil et où l’on entre vraiment en relation avec ce qui est. C’est d’ailleurs là que j’ai compris la vraie signification du mot satsang, qui tient une grande place en Inde cela ne se limite pas à la fréquentation du guru, mais c’est élargir le guru à tout ce qui est et fréquenter le réel en tout et partout. Le grand enseignement, le vrai satsang, consiste à vivre en relation consciente avec tout ce qui est ; c’est l’occasion d’un grandir qui, par nature, est de la nature de l’éveil.
En sanskrit, Brahman signifie « grandir », « croître «. Cette dynamique, du fait qu’elle devient prioritaire, nous libère de l’objectif de l’éveil ; on prend peu a peu conscience de la nature réelle du grandir et on se rend compte que cette nature est la réalité. Quand le Christ dit : "Je suis le chemin, la vie, la vérité ", il ne dit pas " Je suis le bout du chemin ", mais " je suis le chemin ". C’est quand on entre dans un grandir constant, qu’on ne cherche plus à atteindre une destination finale, un but, qu’on l’appelle « éveil » ou autrement, que le grandir devient lui-même la conscience vivante dans laquelle tout est inclus. Saint Jean de la Croix disait : « Celui qui s’arrête en quelque chose cesse de se jeter dans le tout. » "
Yvan Amar





Dans la relation d'accompagnement : Il n'est pas question d'aider l'autre ! C'est peut-être la notion d'aide qui est à revoir. Aider ... La première fois que j'ai utilisé ce mot avec Chandra Swami - j'avais dix neuf ans , il m'a dit : «Pas aider, servir». C'est très différent. Servir, c'est reconnaître que l'autre est en train de grandir là où il est, et c'est le servir là où il se trouve. Et c'est nous obliger, nous, à une écoute de ce dont il a besoin, là où il est maintenant, sans jamais lui imposer ce que nous avons reconnu pour nous-mêmes. Ce qui est une preuve de générosité, de tolérance, sinon d'amour, c'est de ne pas imposer à l'autre ce qui n'est pas encore sa reconnaissance à lui.
Yvan Amar, La pensée comme voie d'éveil


Texte de Yvan Amar



L'intégration de l'éveil
Comment reconnaître un authentique instructeur d'un faux ?
Comment, dans la quête spirituelle, ne pas se faire posséder par les charlatans, à quelque confession qu'ils appartiennent?
Chez celui qui enseigne ou possède un charisme, il existe un double processus. L'un de séduction, l'autre de conduction.
L'homme ou la femme inspiré par le divin et doté de charisme est porté à témoigner et à partager son vécu profond. L'expression verbale et corporelle permet de mesurer le niveau d'intégration de ce vécu et de se poser la question: "Subsiste-t-il encore un processus de séduction ? "
Même si son authenticité originelle ne peut être mise en doute, et quelle que soit la conscience qu'il met dans la relation, l'instructeur sent à un moment donné qu'il est en train de mettre la jolie fille sur le capot de la Rolls- qu'il use de séduction - alors que la relation se suffit à elle-
même.
Celui qui est libre n'est plus habité par l'image de lui-même.
Il n'a plus besoin de reconnaissance et encore moins d'entrer en relation avec l'autre pour abolir un sentiment de solitude.
Il est conducteur de la Réalité et témoigne, en se mettant à la hauteur de la personne qu'il a en face de lui.
Cet échange est facilité si celui qui trans-
met fonde sa pédagogie sur la compassion et la purification profonde de sa structure émotionnelle.
On est d'autant plus pédagogue que l'on est compatissant, car on se situe alors au niveau de la souffrance de l'autre.
Là réside la grande différence entre celui qui cherche à séduire et celui qui enchante par la magie opératoire du Verbe vivant, en conduisant la personne à ressentir cette transparence au fond d'elle-même.
Témoin et conducteur du Réel, l'instructeur donne plus qu'une simple présence; il transmet, par la structure même de sa présence, les outils de transformation qui vont accomplir l'enchantement chez celui à qui il s'adresse.
L'instruit, ayant reconnu ces outils, les adopte et se consacre au travail de transformation, que le maître ne peut évidemment faire à sa place.
En agissant de la sorte, l'instructeur spirituel révèle le degré d'intégration de l'éveil auquel il est parvenu.
Si la part de séduction a disparu, c'est propre, net, seule demeure la conduction.
Yvan Amar, L'effort et la grâce


Gilles Farcet, photo prise à Mangalam, Québec, mai 2023



Gilles Farcet cite Yvan Amar :

A toutes et tous qui avez eu la délicate attention de me souhaiter cet anniversaire , à mi chemin dans les « sixties », en route vers les « seventies » ….
Cette citation de mon très cher ami Yvan Amar qui résume parfaitement mon état d’esprit aujourd’hui :
« C’est quand on entre dans un grandir constant, qu’on ne cherche plus à atteindre une destination finale, un but, qu’on l’appelle « éveil » ou autrement, que le grandir devient lui-même la conscience vivante dans laquelle tout est inclus. Saint Jean de la Croix disait : « Celui qui s’arrête en quelque chose cesse de se jeter dans le tout. »
Ce que je me souhaite donc, c’est simplement de ne m’arrêter en rien et de continuer à me jeter bras ouverts dans le tout.
En gratitude indicible pour tout ce qui m’a été donné (y compris sous la forme de ce qui m’a été « pris »). Et dans la curiosité attentive de ce qui va suivre.



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