jeudi 29 février 2024

En vue de ne pas confondre l'Eveil du Soi et un accomplissement définitif - Épisode 2/4 - Les dimensions inconscientes et les illusions de la conscience éveillée.


Haruyo Morita née en 1945 à Saitama, Japon


Ce qu'autrui reconnaît comme ma personne est à la lumière du Soi, une manifestation instantanée dans ce qui est vécu ici comme une Présence consciente atemporelle et impersonnelle embrassant tout ce qui apparait. 


Ceci constaté tout est-il réglé ?


Un certain néo-advaita affirme que la présence consciente du Soi étant réalisé, tout est parfait, il n'y a rien à faire. 

Eveil du Soi et réalisation de Soi sont confondus par ce néo-advaita.

Premièrement, pour certains, il y a va-et-vient entre une conscience du Soi et une conscience égocentrique où la présence du Soi est éclipsée. Pour de telles personnes, le constat précédent que ma personne est une manifestation du Soi peut être fait, mais il est évident que quelque chose manque de clarté pour que soudain l'ego séparé seul subsiste éclipsant le Soi. De telles expériences invitent à modérer l'identification de l'éveil du Soi et de sa réalisation.

Ce type de néo-advaita soulignera que cet ego éclipse le Soi tant qu'il prolonge l'identification à un chercheur. C'est l'effort spirituel qui provoquerait ce va-et-vient.

Ce néo-advaita va dès lors dénoncer toute approche spirituelle qui consiste à dire que l'Eveil du Soi ne signifie nullement l'abolition de l'ego à sa périphérie et qu'un effort reste requis tant qu'il y a ego en périphérie du Soi. 

Ce néo-advaita va proclamer que si la conscience de notre vraie nature est réalisée dans son impersonnalité alors il n'y a plus d'ego. Soit il y a le Soi, soit il y a l'ego. 

Comment oser dire, comme Douglas Harding, qu'il y a le Grand au centre (le Soi) et le petit (notre ego) à la périphérie prêt à reprendre sa place au centre ? 

Comment oser distinguer comme Yvan Amar, à la suite de son maître Chandra Swami, l'éveil du Soi et sa réalisation voire divers niveaux de réalisations

J'aimerais ici insister sur des indices qui montrent que l'éveil du Soi n'est pas la fin de l'ego : troubles émotionnels, désirs et pulsions relatives à une personne demeurent. Tant qu'il y a du désir et des pulsions, il y a de l'ego au moins périphérique, il y a un vécu séparé où il y a sujet et objet. Il reste une dualité relative au sein d'un vécu non duel du Soi.

Là-dessus, le néo-advaita n'est pas clair. Il affirme qu'il n'y a plus d'ego quand il laisse libre le cours des désirs et des pulsions.

L'éveil au Soi, même momentané car aussitôt de nouveau éclipsé, montre l'usurpation de l'ego qui s'illusionne centre de la conscience. Si en l'ego, il y a une collaboration qui se développe, un disciple se forme, la lumière du Soi œuvrera en complicité avec ce disciple du Soi. Un processus amènera l'individu à faire face à tous ses autres aspects qui refusent la lumière où ils finiront dissouts, refondus, à ses aspects qui la craignent pour de mauvaises raisons, etc.

Bien entendu, quand la lumière spirituelle du Soi brille consciemment, la personne n'occupe plus illusoirement le centre de la conscience. L'essence de la présence consciente, notre vraie nature est cette lumière spirituelle que nous sommes. Et quand celle-ci brille intensément, notre vraie nature imprégnant tout à l'évidence, comment distinguer de notre Soi une quelconque trace d'ego encore séparé ? comment distinguer notre personne de l'impersonnalité du Soi ?

Mais une proclamation d'une réalisation du Soi à partir d'une expérience et non d'un état n'est pas sincère et dit bien un manque de soumission d'un restant d'ego au Soi. Le disciple du Soi en la personne est irrémédiablement devenu un ego spirituel discret mais luciférien, son accès à la lumière du Soi est indéniable mais sa capacité à agir dans l'ombre de cette lumière l'est aussi !

L'éveil du Soi est un pas, mais plus de cœur et d'intelligence pour le monde et son Devenir est entrer davantage dans la lumière. 

L'amour pur et vrai ne comporte et ne s'accompagne d'aucune forme de désir centré sur nos intérêts personnels. La dévotion ou Bhakti en sanscrit est rendue possible par la coexistence du Soi éveillé avec un ego bhakta qui demeure en sa périphérie, mais cherche à s'y fondre par amour et désir mêlés. Le paradoxe est que l'accomplissement de son désir personnel d'amour le mènera vers la réalisation d'un amour pur et vrai, une saturation de Joie dans le cœur qu'il n'est pas possible de confondre avec des désirs appétits et des pulsions. L'accomplissement de la dévotion est précisément une purification de l'amour dévotionnel de tout désir appétit ou pulsion. Ici si l'union d'amour est réalisée, il n'y a plus d'ego spirituel possible sur cet aspect de notre personne où s'est réalisé cette union. Il y a réalisation que l'amour pur et vrai est une unité de substance entre individu et Divin au sein du Soi. L'amour pur et vrai ainsi réalisé au sein d'une relation d'un aspect de ce petit avec le Grand abolit par son vécu toute idée de différenciation de valeur entre individu et Soi, toute idée de différenciation de valeur entre personnalité et impersonnalité.

La dévotion même réalisée n'empêche pas que des désirs et pulsions d'agrégats d'ego demeurent non encore transmutés dans l'amour vrai et pur présent dans le centre du cœur. Si cette irruption de l'Amour divin dans la lumière du Soi se poursuit dans son activité transformatrice alors même les petits désirs que sont les pulsions peuvent commencer à se soumettre à la lumière du Soi. Il y a à côté d'un Soi vécu comme indifférence au devenir du monde, un chemin d'incarnation de la lumière du Soi comme lumière de l'Amour divin.

Le chemin de la prise de conscience du Soi surmontant l'illusion égocentrique est assez balisé et simple. Il est nécessaire. Mais l'aventure en aval de l'éveil du Soi ne semble pas avoir de fin car l'ego périphérique et l'inconscient de l'individu où il demeure est le terrain où se joue le Devenir du Soi.


Il y a là plusieurs chemins, les aventures sont singulières, les chemins ne sont même pas établis, plusieurs vocabulaires sont possibles. Ces cartes qui dessinent un territoire encore inexploré s'avèrent forcément subtiles et délicates pour quelqu'un qui n'a que quelques pressentiments de ce dont il pourrait s'agir. Toutefois si l'heure est venue, l'éveil du Soi servira en cet individu l'aspiration de l'amour pour qu'émerge l'individuation du Divin. Alors, face à ces cartes offertes par des pionniers de cette aventure spirituelle, il saura surmonter le défi de leurs subtilités, de la délicatesse d'interprétation due aux zones imprécisément cartographiées et elles commenceront à lui être utiles.

Par exemple, la Katha Upanishad donne un enseignement à Nachiketas qui selon Yama, la mort, manifeste consciemment le Soi (Katha 1.II.9) et aspire à la vérité aux mépris de tous les désirs mondains (Katha 1.II. 12-13). Le lecteur pressé citera les passages qui le confirment dans son néo-advaita. Mais devant l'idée qu'au fond de la grotte du cœur soit présent un feu sans fumée, un purusha individuel, pouvant grandir par la présence de la Mère Divine, etc. il passera son chemin. Les notions d'Isvahra au-delà de l'atman et de purusha qui comportent l'idée d'un absolu individuel et personnel seront même traduites à contresens.

Qui aujourd'hui parmi nos éveillés néo-advaïtas ouvre un passage dans ces subtilités du Soi en prenant vraiment au sérieux une telle carte laissée par les rishis des Upanishads ?

Et évidemment d'autres aventuriers qui partent de là et vont encore plus loin seront ainsi aussi banalisés ou méprisés par ces tenants du néo-advaita qui ont pu les rencontrer. Bien sûr, leur vécu du Soi leur inspire l'idée qu'ils sont ouverts et tolérants puisque tout est accueilli sans jugement ici et maintenant. Par ailleurs, eux, ont le sentiment de l'humilité de leur non-savoir et sont, il est vrai, reliés à des traditions multiséculaires éprouvées, contrairement à ces aventuriers parlant d'une nouvelle conscience et prétendant redessiner les cartes du territoire spirituel.






Ce n'est pas un problème : comprenne qui pourra. Seuls ceux qui y sont destinés, parce que c'est leur heure de Dieu, prendrons le chemin de l'aventure qui commence dans les territoires inconnus qui s'ouvrent à un individu où brille l'éveil du Soi.


Pour repérer ces territoires inconnus, revenons à notre observation initiale :

Ce qu'autrui reconnaît comme ma personne est à la lumière du Soi, une manifestation instantanée dans ce qui est vécu ici comme une Présence consciente atemporelle et impersonnelle embrassant tout ce qui apparait. 

Essayons d'observer, avec la qualité de lumière du Soi qui brille en nous, cet acte de Conscience à l'instant qui produit notre forme individuelle et ses désirs relatifs. 

L'autocréation de notre forme individuelle humaine n'est certes pas un hasard, elle n'est pas réductible à un pur produit d'indéterminations matérielles ! Mais soyons sincère, la présence consciente de la Conscience infinie dont il y a ici vécu semble être aussi en partie bien inconsciente ! L'autocréation est pressentie, mais elle est à l'œuvre dans les ténèbres lumineuses du Soi. Au niveau de notre subconscient humain physique, vital et mental, peut-on nier l'évidence de l'inéclairé. Si par le fait du Soi, ce que nous sommes est imbriqué et interdépendant avec le tout de l'univers, à l'évidence, il y a de l'inconscient concernant ces imbrications et interdépendances pourtant partiellement aperçues. 

A côté de notre subconscient et de notre inconscient cosmique, y a-t-il de l'Inconscient au sein de la Conscience infinie ? La présence consciente malgré son infinité serait intrinsèquement lié à une base d'Êtreté inconsciente ou, là encore, est-ce une supraconscience, l'Ishvara, le Suprême, qui ne peut se dévoiler en nous ? 

Face à la conscience infinie qui forme pourtant notre vraie nature, nous serions comme quelqu'un quittant une pièce très sombre dans une journée d'été, qui voit certes l'évidence ensoleillée, mais n'en reste pas moins aveuglé et enténébré parce qu'il n'est pas coutumier de cet excès de lumière. 

Alors cet inconscient de la Conscience infinie est-il ténèbres intrinsèques à celle-ci ou est-il le fruit de notre enténèbrement individuel et cosmique ? 

Cette question qui semble résulter d'un jeu intellectuel, qui semble oiseuse, superflue, met en jeu une carte lié à un territoire : elle pointe l'espace immense d'une aventure, d'un jeu de cache cache du Divin avec lui-même.


Quant à ce qui se passe ici, entourant l'individu que je suis, je dirais que la Conscience source est pressentie à la racine de cette individuation de manière bien plus claire que ne l'est le Devenir des autres et de ce monde. Cette inconscience affecte le mental, le vital et le physique de cette individualisation et limite le chemin d'individuation qui s'y produit. Certes il y a éveil du Soi avec une âme. Mais la parfaite soumission du mental, du vital et du physique n'étant pas réalisée, l'autocréation Divine de tout ce qui est reste dès lors pour la plus grande part inconsciente.

Ainsi quant à ce qui passe ici, le pressentiment d'être l'autocréation de la Conscience est loin d'en être la réalisation. Ici la Conscience d'être l'Un innombrable en Devenir n'est pas réalisé. 


L'auto-expérience de la Conscience au-delà de l'illusion d'une conscience égocentrique peut certainement s'approfondir dans une transformation de ses véhicules individuels car cette auto-expérience quand elle celle d'un Soi avec une âme est tempiternelle autant qu'atemporelle. 


"Petit doute, petit éveil ; grand doute, grand éveil. Pas de doute, pas d'éveil", sentence du bouddhisme T'chan. 


Haruyo Morita


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