jeudi 17 août 2023

L'AMOUR VRAI SEUL PEUT LIBERER DE L'ATTACHEMENT. Eléments de psycho-spiritualité.

 


Cette parole de Jésus-Christ résonne particulièrement pour moi depuis quelques jours.

Elle ne parle pas d'abord de nostalgie. 

Pour moi, j'ai souvenir d'une enfance bénie jusqu'à mes quatre ans. Tout n'était qu'émerveillement. Ma foi d'aujourd'hui est dans la continuité de la foi innocente en la vie qui m'était naturelle. J'ai pu avoir dans ma vingtaine d'années une nostalgie pour cette période bénie. Puis ma défiance face à la vie a fondu, ma foi en la Vie Divine est devenue une foi à partir d'une conscience de la Vie universelle elle-même. Bien sûr, à côté de cela, j'avais des croyances spirituelles et religieuses. Mais la foi, cet engagement naturel du cœur, shradda en sanscrit, est libre de toute croyance. Seul le nihilisme peut en restreindre le pouvoir. C'est quand la foi ne s'accroche à aucune croyance qu'on peut faire le saut dans la vacuité, s'abandonner à l'Être et dire Oui au Devenir.

Mais comme toujours, dans l'aventure de la Vie Divine, gagner une bataille, conquérir une position inexpugnable n'est nullement remporter la Victoire.

Commencer à être libre de nos désirs n'est nullement être sans désirs relatifs à un individu.

La parole de Jésus qui m'enjoint de ne plus regarder en arrière me parle plus spécifiquement aujourd'hui de la question de l'attachement relationnel, qui pour moi individu est restée problématique.

D'ailleurs, si on reste sur le seul plan de la vie égocentrique oublieuse du Soi, de l'Être et du Devenir de la Vie Divine, l'attachement est comme un facteur de dualités au sein même de l'ego. 

Par exemple, l'attachement crée une vulnérabilité de l'ego, fatalement ce désir a été blessé ou le sera. L'ego fuit sa vulnérabilité donc il s'en prend à l'amour qu'il y a dans son attachement, il endurcit son cœur au lieu de le purifier de l'attachement. Ou bien encore, il a des stratégies de distanciation pour ne surtout pas encourir ce risque. Plus globalement l'ego par sa vulnérabilité à l'attachement a des élans paranoïdes.

Je vois bien que je n'échappe pas encore à ces incohérences égoïques de l'attachement. Ayant eu affaire ces derniers temps à une version aiguë et dramatique de l'attachement, j'ai même constaté le paradoxe d'une survie égoïque à travers des tendances nihilistes (qui peuvent même chercher des cautions spirituelles). La révolte contre le Divin, même si elle est une impasse, manque moins de sincérité. 

Une même flamme - Tableau de Niranjan Guha Roy 

Je ne peux que dire ici le bénéfice de nos discussions avec mon amie Amita Guha Roy, la compagne spirituelle de Niranjan Guha Roy. Elle partage l'œuvre qu'ils ont bâtie au fil de leur engagement sur la voie de Sri Aurobindo et Mère. Elle m'a relaté ses difficultés particulièrement longues avec l'attachement avec une sincérité rare parmi ceux qui partagent leur spiritualité. Amita refuse d'entrer dans toute relation d'enseignant à enseigné, de guru à disciple. Amita signifie en sanscrit "l'amie de tous". Nous sommes juste des amis intéressés par une même voie dont le point de départ est l'idée que toute la vie est yoga. Et donc, dans l'amitié, nous n'avons jamais à nous présenter avec une image d'une quelconque perfection à transmettre. Dans une amitié entre aventuriers de la Vie Divine, on peut se partager nos expériences, même en cours, de l'imperfection et assumer simplement nos défauts sans les camoufler. Cela est d'une richesse sans commune mesure pour avancer dans la jungle de cette vie en évitant de tourner en rond trop longtemps.  Une amitié sur la voie de l'aventure de la Vie, ainsi libre des dangers de l'attachement enseignant-enseigné, ou pire de ceux de la relation guru-disciple, permet d'éclairer nos problématiques réciproques. Le récit sincère d'Amita sur ses attachements m'a permis d'éclairer ma propre problématique singulière d'asservissement persistant à l'attachement. 

La synthèse que je partage ici n'est que le fruit de notre dialogue et de l'éclairage singulier qu'il a permis en moi, même si elle peut apparaître assez impersonnelle grâce à un vocabulaire conceptuel phénoménologique, philosophico-spirituel ou psychologique. Pour moi, cet effort conceptuel permet de parler de l'intime pudiquement. Et si, de son côté, le lecteur fait l'effort, cette phénoménologie pragmatico-herméneutique sera efficace. Il faut accepter de ne pas tout comprendre, pour peu à peu comprendre de mieux en mieux ce dont il est question. Une phénoménologie pragmatico-herméneutique est un discours conceptuel descriptif de la conscience qui implique une pratique de conversion et de transformation de soi pour être bien compris.

Même si, sur le plan humain, nous admettons que les attachements peuvent être troubles et devenir pathologiques, nous pouvons difficilement admettre qu'un amour puisse être fort et intense sans attachement. Or l'expérience spirituelle intérieure remet en cause une telle croyance.

A vrai dire, la réalisation et l'émergence de l'âme, l'individuation du Divin en nous, peut changer radicalement le vécu de ces problématiques d'attachement. Elle finit par éclairer toutes ces problématiques de l'attachement d'une façon libératrice.

Sur la voie de la Dévotion, l'attachement au Divin doit l'emporter sur tous nos attachements humains. Les Confessions d'Augustin d'Hippone sont à ce sujet un chef-d'œuvre spirituel. Pour Augustin, c'est seulement de notre relation à Dieu dont nous pouvons jouir sans crainte, puisque son amour pour nous est indéfectible, quels que soient nos défauts et nos empêchements à l'aimer purement. L'attachement à Dieu, seul, semble pouvoir nous libérer de la dimension paranoïde de nos attachements humains (jalousie, possessivité, défiance, haine, etc.). En tout cas, même si ces déficience demeurent, notre attachement dévotionnel au Divin, qui, lui, s'en libère plus aisément, commence à les mettre davantage en lumière. Le Divin ne nous trahit jamais. Les tribulations qui, immanquablement, nous arrivent ne sont pas du fait d'une perversité de son amour. Nous seul pouvons trahir la relation d'amour que le Divin nous propose dans notre cœur. Nous seul pouvons lui fermer cette porte et ne pas avancer vers Lui qui nous y attend et nous y attire.

Quand, au fil de la descente dans le cœur (voir les autres articles sur ce sujet), dans les profondeurs subtiles qui sont au niveau de l'arrière du thorax, l'étincelle de notre âme s'avère le Divin s'individuant en nous, plus nous que nous-même, l'attachement au Divin devient lui-même relatif. Comment pourrait-on éprouver des craintes et de la vulnérabilité pour demeurer attaché et relié à ce que nous sommes par nature. Avec le Soi, nous sommes unis à la Vie Divine sur des plans universels et transcendants. Outre cette réalisation impersonnelle, le Soi avec une âme comprend aussi une union avec le Divin sur un plan individuel personnel. Comme l'attachement est une caractéristique des relations humaines personnelles, il est ici directement objet d'une transformation. Cet amour, cette Joie que nous sommes, comment pourrions-nous lui être encore attachée, puisque, par essence, elle est rayonnement, surabondance se détachant d'elle-même et se répandant sans frein aucun autour d'elle ?

La dévotion au niveau de l'individuation du Divin que nous sommes, qui grandit en nous et que nous avons pu contacter dans notre cœur est naturelle. 


"La Bhakti ou dévotion n'est pas une expérience, c'est un état du cœur et de l'âme. C'est un état qui vient quand l'être psychique est éveillé et prédomine.", Sri Aurobindo


La dévotion à ce niveau est aussi naturelle que respirer. Dans l'attachement même le plus pur au Divin nous nous croyons encore l'auteur de l'amour. Bien sûr, à la lumière du Soi, nous pouvons savoir déjà qu'il n'en est rien. Mais soyons honnête, même à la lumière du Soi, pour beaucoup d'entre nous, il y a des problématiques d'attachement y compris avec le Divin qui se voile dans les ténèbres lumineuses du Soi. Nous ne serions pas des amoureux du Divin authentiques, si notre amour pour le Divin n'engageait pas notre attachement qui demeure sur le plan humain. Mais quand notre attachement au Divin, à la lumière du Soi, touche au tréfond de notre cœur, il y a un basculement essentiel : l'amour dont nous aimons le Divin devient ici indiscernable de l'amour qu'il fait briller en nous et autour de nous. L'âme d'individuation du Divin en lequel l'ego dévotionnel fond et de laquelle il devient un pur instrument, un masque personnel extériorisé, sait alors qu'il n'est pas l'auteur de l'amour. Sur le plan psychique de l'âme vraie, et non de notre âme égoïque de désirs, il y a unité de substance de Paix et de Joie avec le Divin, son Être et son Devenir. Autrement dit, notre âme est en continuité de substance avec le Divin, elle ne fait aucun effort pour être unie avec le Divin puisqu'elle en est une parcelle à la fois distincte et unie. Sur ce plan, l'amour est donc d'abord un fait d'unité substantielle. L'ego n'est qu'une créature et ses amours fondés sur les désirs comportent inéluctablement des attachements. Il lui faut s'agripper à ce qu'il aime car il en est séparé : ses amours ne sont jamais en une unité substantielle d'amour pur et vrai. Les amours de l'ego sont temporels et forcément temporaires : même quand son attachement est relativement équilibré et durable, il est condamné à cesser. Notre âme n'est pas une créature temporelle et temporaire, c'est une parcelle du Divin, immortelle, car partageant la condition atemporelle de l'Être Divin et perpétuelle de son Devenir. Dès lors, notre aspiration à l'amour éternel ne peut être satisfait que sur le plan du Soi avec une âme.

Vivre le Soi avec une âme, c'est vraiment mettre la main à la charrue du champ Divin pour que vienne le Royaume de Dieu sur terre.

Les attaches des amours égoïques sont toujours sécables, corruptibles, etc. Les attaches de l'amour égoïque humain ne survivent qu'avec de la réciprocité. La relation ne dure pas sans échanges d'énergies vitales sous la forme de désirs satisfaits de l'un par l'autre et réciproquement. La relation humaine est donc par nature un équilibre instable. D'ailleurs, on passe d'une relation à l'autre, d'un attachement à l'autre, pour temporiser les défauts de réciprocité et éviter de rompre ces équilibres instables. Nos amours humains font preuve d'impatiences, d'intolérances, etc. Avoir fait le deuil d'une relation, au plan humain usuel, cela signifie presque toujours être suffisamment prêt psychologiquement à prendre le risque de passer à un nouvel attachement. On ne guérit d'un attachement douloureux que pour passer à un autre qui immanquablement risque de l'être, puisque la mort finit toujours par séparer ceux qui s'aiment. Ces échanges vitaux qu'engagent nos attachements ont toujours des aspects obscurs et inconscients : la psychologie nous a appris que nous rejouons parfois sous d'autres visages et avec d'autres personnes, des jeux relationnels du passé. Et si notre bagage psychologique s'allège, il n'en reste pas moins qu'aucun attachement n'est libre de manque source de souffrance, libre d'une recherche sous-jacente d'échanges vitaux et donc libre de toute attente. 

L'amour Divin au cœur du cœur en notre âme et pour le Divin, en tant que substance du réel, de l'Être et du Devenir, est Pure Joie infinie allant vers de Plus Grandes infinités de Joie. Notre âme est le véritable aventurier de la Vie en nous. Ici l'insatisfaction n'est pas un manque souffrant, c'est un manque paradoxalement porté par une plénitude, c'est un manque sûr d'être comblé, c'est un goût authentique de l'inconnu, c'est une aspiration sûre d'être comblée. Ici dans les relations de l'âme, il n'y a pas d'échange, il n'y que partage d'une profusion sans fin, l'aspiration à davantage d'incarnation de l'amour Divin sert le partage de cette profusion. Ici, c'est par le Divin et dans sa substance que les rapports entre âmes s'auto-organisent.

Tout forme d'attachement, quand vivant le Soi avec un âme les mains sont sur la charrue du champ du Divin, c'est déjà regarder en arrière. Ne paniquons pas ces regards en arrière sont courants. Jésus ne nous en parlerait pas sinon. S'il s'est présenté comme le Fils de Dieu, affirmant que Lui et son Père ne sont qu'Un, il a donc réalisé en profondeur le Soi avec une âme.

L'âme, l'individuation du Divin en nous grandit de l'intérieur vers l'extérieur. Lorsqu'elle émerge en surface de notre individualisation, cela reste souvent de façon discontinue car notre individualité est encore alternativement contrôlée par des mouvements égoïques non encore abolis et transformés. Mais le contraste croît entre une relation d'unité substantielle Divine qui est Joie et une relation d'attachement qui inclut un manque impliquant la souffrance. Un tel contraste rend nos attachements de plus en plus indésirables dans nos relations d'amour quelles qu'elles soient. C'est comme si nos amours humains entachées d'attachement commençaient à être purifiées. Et, même si l'attachement vient à se mêler à une relation qui prend sens d'abord sur le plan psychique des âmes, cela semble encore bien plus nettement une souillure. Car, au plan humain, nous ne saurions affirmer qu'il y a amour sans observer la trace d'un attachement. Je me souviens que découvrant des philosophies du détachement, il m'a fallu comprendre tout d'abord qu'il ne s'agissait pas d'entrer en relation avec un recul, un effort d'indifférence. La vacuité de la conscience solutionne d'ailleurs assez bien une notion de détachement qui n'entraîne pas un désinvestissement de l'engagement relationnel. Mais ce détachement inhérent à une conscience de la vacuité du Soi, ne solutionne pas la problématique de l'attachement. On peut aimer dans le détachement de la vacuité, mais aimer restera l'occasion de prendre des coups, de vivre le trouble de la vulnérabilité. Certes ces coups, cette souffrance, cette vulnérabilité seront accueillis pleinement et ne nous atteindront pas dans notre essence de vacuité, d'Être de Paix et de Silence. Habitué à estimer l'amour, sur ce seul plan humain, même devenu conscient de la vacuité, nous pouvons ignorer longtemps que tout attachement dans l'amour est souillure. L'évidence nous en est fournie qu'à travers le contraste vécu entre une relation d'amour à l'intérieur de l'unité substantielle Divine et une relation typique des attachements humains, qui peut demeurer encore en surface extérieure de notre individualité.

Je ne sais trop quand je serai purifié complètement de tous les processus extérieurs d'attachement, mais si, en moi, le processus de purification est déjà possible intérieurement alors une communion d'âmes, une fraternité d'enfants du  Divin, substantiellement unis dans la Vie Divine, s'incarnant sur terre pour y faire l'œuvre Divine n'est pas un idéal déplacé.

Welcome - Tableau de Niranjan Guha Roy 


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