mercredi 16 août 2023

L'EGO N'EST PAS L'ACTEUR, MAIS LE DIVIN L'EST EN NOUS. Qu'est-ce que cela signifie authentiquement ?

Le but de l'action n'est pas le résultat, mais la félicité éternelle de Dieu dans le devenir, la vision et l'action - Sri Aurobindo


Dans la spiritualité Shivaïste, il est dit que l'ego n'est pas l'acteur, mais que Shiva l'est en nous ! Il y a là une précision utile. 

Dire que je n'agis pas, que c'est un processus mental et corporel qui a lieu en la conscience quand ce sont des désirs bien égocentriques ou égoïstes qui s'expriment... Quelle calamité ! 

Il faut être sincère pour ne pas tomber dans la confusion. 

La réalisation de la vacuité, du Soi, de notre essence de Paix et de Silence, à ma connaissance, ne suffit pas pour incarner la "volonté" Divine.


Se réaliser l'enfant de la Mère Divine et se laisser porter par elle comme un chaton s'abandonne dans la gueule de sa mère n'est pas une mince affaire. L'image d'abandon et de soumission est belle. Mais nos images sont souvent de la fausse monnaie spirituelle. Peut-on affiner ce que cette image nous permet déjà d'entendre ?

Accepter ce qui est, dire Oui à ce qui arrive, "vouloir que ce qui arrive arrive comme cela arrive" (Epictète) est inhérent à une réalisation du Soi, comme participation à l'intelligence de la Vie Divine. Mais l'accueil inconditionnel et non préférentiel de ce qui est, n'est pas encore une action qui est un instrument de la "volonté" Divine. 

Je mets ici "volonté" entre guillemets car si le Divin est une supraconscience, ce que nous pourrions considérer comme volonté serait en lui indiscernable de son Devenir autocréateur et de sa connaissance consciente immédiate de son unité innombrable. Nous ne pouvons esquisser mentalement que des conceptions très approximatives de la volonté Divine. Le terme même de "volonté" Divine n'est que vaguement analogique.  

A ce stade où la Vie Divine reste Paix, Silence et Vacuité, de ténèbres lumineuses, faute d'intuition surmentale précise de cette "volonté", un intellect attentif à la morale reste nécessaire. 

Ne pas faire à autrui, ce qu'on ne voudrait pas qu'on nous fasse est la règle d'or à ce niveau, même si, par ailleurs, l'éveil du Soi Divin s'expérimente indiscutablement en nous.

L'ouverture du cœur nous rapproche davantage de la "volonté" Divine. L'amour du prochain comme soi-même n'est pas limité alors à des rigidités comportementales que les règles morales déduites intellectuellement engendrent. L'intuition du pardon fructueux, par exemple, n'est pas réductible à des règles d'une morale bienveillante.

Mais l'ouverture du cœur ne signifie pas encore échapper à des forces ne nous permettant pas d'individuer véritablement la "volonté" Divine. L'ouverture du cœur, qui passe par le Oui à ce qui est, nous rend libre des désirs, mais pas sans désirs personnels. Être libre du désir, en ce sens, où disparaître en faveur d'autrui est spontané si besoin est, n'est pas encore être un instrument soumis de l'action Divine.

Tant qu'on ne sent pas la seule "volonté" Divine, il y aura des forces bien mécaniques, des expressions bien secondaires du Divin qui agissent. Et cela, c'est tout sauf Shiva ou le Divin devenu conscient de lui en personne en nous. C'est tout sauf l'enfant de la Mère abandonné à sa seule action.

Le fou peut avoir un ego démesuré et se prendre pour Shiva, mais ce sont bien les forces de la folie qui agissent en lui et non des forces de Vérité. L'écervelé peut se croire l'enfant de la Mère, qui s'y est abandonné, mais sa négligence dit le contraire. A un certain niveau, je dois encore reconnaître ma part de folie et mon côté écervelé pour ne pas les laisser de s'emparer de cette individualité.

Certes, à un niveau, toutes les forces sont une manifestation du Divin. Mais comme dans un fleuve, il y a les forces qui ramènent l'eau vers l'océan et il y a des courants qui la ralentissent et l'emprisonnent dans des bras marécageux où elle croupit, surtout si les pluies manquent. Combien d'individus croupissent dans leurs eaux marécageuses, si la descente du Divin ralentit relativement à cette frange de son fleuve. 

Cependant, quand le Divin se manifeste pleinement, le fleuve enfle et même les eaux prisonnières sont éjectées dans le courant vers l'océan. Toutes les eaux convergent inexorablement vers l'océan unique où la goutte et l'océan ne font qu'un. 

Le Devenir, c'est la Mère Divine. Elle est Mahashakti au point de vue intégral de la Vie Divine. Quand elle perpétue notre monde, le vieil homme en nous, elle est la prakriti inférieure. Mais elle a de nombreux aspects supérieurs. Elle est aussi Maheshwarî, celle qui a en vue la transformation de ce qui perpétue en une nouvelle manifestation qui l'exprimera davantage. Elle est, en outre,  Mahakâli, l'énergie et la force du Devenir vrai, celle qui peut vraiment couper la tête à ma folie, celle qui mettra fin à ce qui doit disparaître pour une manifestation plus vraie. Par ailleurs, elle est Mahâlakshmî, celle qui est douceur et sourire, facilitatrice de notre transformation. Enfin, elle est Mahâsaraswatî, celle qui peut nous entraîner dans une action vigilante, minutieuse et endurante, elle est alors celle qui nous met du plomb dans la tête. Ces quatre aspects de la Mahashakti ont été décrits plus amplement, entre autres, par Sri Aurobindo (ici on aura une lecture par Mirra Alfassa, la compagne de Sri Aurobindo).

Soyons lucide, beaucoup d'individualisations humaines ne vont offrir au courant Divin que des morceaux épars lors de la dissolution de leur individualité au moment de la mort.  

Pour moi, les propos mainstream de la non dualité sur l'absence d'acteur, faute de précisions, peuvent justifier malheureusement des forces d'égarement dans le fleuve Divin. Toutes les eaux du fleuve Divin sont Divines : ces propos font du fou dans sa folie destructrice une manifestation tout aussi Divine que le courant qui nous porte porte vers la Divinisation ! Mais si on admet que dans le Devenir du fleuve certains courants sont plus en adéquation avec le mouvement global et même le facilitent, alors le courant qui nous porte vers la Divinisation serait plus aligné au Devenir Divin. 

S'unir à ce courant de Divinisation, c'est discerner de plus en plus la Mahashakti qui incarne l'action du Seigneur Suprême - sous les traits de Shiva dans le shivaïsme.

Seul le Divin qui s'individue en nous, notre âme vraie, peut nous influencer pour que nous nous dirigions vers le meilleur courant possible du Devenir. Prendre conscience de cette individuation Divine en nous, c'est donner son sens vrai à l'image d'être un Enfant de Mère, comme un chaton dans la gueule de sa mère. 

Cette influence de notre individuation Divine dont la substance est en continuité avec celle de Mère est toujours là, mais au milieu de forces vitales qui sont celles qui nous rattachent au vieil homme à la traîne dans le courant du Devenir. La spiritualité chrétienne parle à ce sujet de la grâce Divine sans laquelle nos choix sont asservis aux courants du Devenir qui mènent à la perdition. Dans notre expérience, la perdition n'est que celle d'une individualisation humaine. Ce n'est jamais celle de l'individuation Divine qui s'y tente en arrière-plan dans la lumière de la Mère et qui en retirera un meilleur discernement pour une incarnation ultérieure plus bénéfique. 

Certaines idées vraies manquent profondément de nuances pour servir la Vérité ! C'est le cas de cette question de l'acteur. L'illusion de l'ego d'être l'acteur est une idée vraie mais une demie-vérité quand à la réalisation de l'acteur vrai en nous. La dissipation de notre attention, l'insincérité, les troubles de la personnalité,  et plus généralement tout ce qui relève de notre folie humaine sont le produit du Devenir Divin mais pas d'une individuation Divine.

En nous, il n'y a pas d'acteur, à proprement parler, autre qu'une individuation du Divin en continuité de l'action transformatrice de la Mahashakti, la Mère. 

Son action peut contredire des systèmes rationnels et des conceptions morales, mais, même dans ce cas, elle ne contredit pas la raison (morale, entre autres), elle l'amène invariablement à se dépasser en lui fournissant de nouveaux éclairages. 

Il n'y a pas d'acteur véritable autre qu'une individuation du Divin soumise à Mère, si l'action est désintéressée, si elle est guidée par l'intuition du cœur, s'il n'y a plus de volonté égoïste de se saisir du fruit de l'action, etc. [On peut ici consulter un texte de Sri Aurobindo sur le Karma yoga] [Ainsi qu'ici une approche du triple ou quadruple sentier comprenant outre le karma yoga, bhakti yoga, jnana yoga et yoga de la perfection ou de la beauté]

Tant que l'individuation du Divin n'a pas abouti à constituer une personne cosmique, l'action de l'individuation du Divin restera une docte ignorance de l'action cosmique du Divin. Admettre que le plan global d'action du Devenir nous échappe évite d'investir ce qui se passe d'une ambition de contrôler au-delà de ça qui est juste. Il faut abandonner complètement tout contrôle à Mère, celle qui est  seule l'intelligence du Devenir. Cela prend du temps ; il faut donc commencer par abandonner maintenant dans la mesure du possible tout ce qui peut l'être. 

Pour ce que je sais, s'éveiller à la Vie Divine du Soi, notre vraie nature, est immédiat. Par contre, laisser le Divin se réaliser en nous est loin de l'être. La descente dans le cœur et la découverte de notre âme, l'individuation du Divin en nous, prend beaucoup de temps. Suite à sa découverte indubitable, sa venue en avant dans un processus de plus en plus radical d'abolition de l'ego qui implique son accès à des formes de connaissance au-delà du niveau mental de conscience demande aussi beaucoup de temps.

Offrir notre individualisation humaine mentale, vitale et physique, à l'individuation Divine n'est pas une mince affaire. En ce qui me concerne, dès que j'ai entendu parler d'une connaissance supramentale, j'ai cru que mon ego mental pouvait s'en emparer ! Ce n'est pas une dimension individuelle de conscience mentale, vitale et physique qui peut intégrer une forme de connaissance autre et au-delà que celle du mental. Si dans les ténèbres lumineuses de la Vie Divine, une supraconscience peut se révéler et se réaliser, ce ne sera pas notre individualisation humaine telle qu'elle est qui peut l'incarner.

Au final, "incarner la volonté Divine" me semble une réalisation progressive et apparemment sans fin, car c'est aussi apprendre à aimer divinement, à laisser l'amour créateur nous déposséder de tout désir personnel, de toute pulsion animale, de toute petitesse physique, etc. 

Après, pour certains génies sur ce chemin, il n'est peut-être pas impossible d'incarner au travers d'une individualité physique "la volonté Divine" : ce serait possiblement devenir conscient de la vibration première dans un corps, ce serait  possiblement être la prise de conscience absolue propre au Divin enfin matérialisée. De tels individus ne seraient probablement plus des êtres humains, il s'agirait peut-être des premiers échantillons d'une nouvelle espèce. 

Dans mon cas, nier une telle possibilité ne peut que passer que par une résistance nihiliste du vieil homme invoquant une faiblesse fondamentale de la manifestation Divine. Pour d'autres, c'est l'horreur de ce qui est manifesté, qui rend improbable une manifestation alternative, seule la perspective du Non Soi leur semble satisfaisante. La seule action honorable pour eux est la compassion qui consiste à partager la connaissance de cette issue de secours intérieure qu'on trouve à côté de la source consciente de la manifestation. Mais au moins cette position interdit un progrès de l'ego dans l'ombre du Soi.

NB : Sur ce dernier point, je renvoie à un dialogue entre le point de vue de Ramana Maharshi et celui de Sri Aurobindo que j'ai mené ici.

Les nouveaux êtres - Tableau de Niranjan Guha Roy


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