Dans le monde spirituel, il y a assurément des grandes figures qui se dégagent. Elles semblent rencontrer plus d'unanimité, il semble qu'elle fasse mieux transparaître que d'autres la présence du divin dans l'humain. Sans même raconter quelque chose, transmettre un enseignement, en leur présence il y a des expériences d'ouverture spirituelle.
Mais qu'on le veuille ou non, certains qui ont une réelle expérience spirituelle semblent passer à côté de ces grandes flamme spirituelles qui brillent à travers ces êtres. Bien sûr on peut s'empresser de dire que ces personnes sont fausses et ne sont pas véritablement spirituelles. Selon moi, c'est une chance. Car avec ces grandes figures spirituelles il y a un grand risque d'adorer le divin dans cette personne, de rester focaliser sur des expériences faites en présence de cette personne sans avoir en soi une ressource personnelle de divinisation devenue claire. Un défenseur de la non-dualité insistera sur le fait qu'il n'y a qu'une seule conscience et que cette "grande figure spirituelle" apparaît dans cette seule conscience qui se déploie à l'intérieur de notre personne. Confondre cette réalité qu'est la seule conscience présente ici et maintenant et dont nous devons prendre conscience avec la présence divine dans cette figure spirituelle reste une erreur. Toute grande figure spirituelle peut s'accompagner certes d'une force de conscience qui par définition est en résonance de par sa nature avec l'unité de la seule conscience en présence englobant notre personne. L'erreur est d'associer cette force de conscience à cette grande figure spirituelle que nous croisons alors au lieu de découvrir cette résonance qui pointe la seigneurie de la seule conscience.
Alors en un sens si les grandes figures spirituelles rendent pour beaucoup la spiritualité tangible. L'expérience d'ouverture que leur influence induit n'est que fort rarement vue comme résultant de la seigneurie de la seule conscience qui soit englobant notre personne, le monde et toutes les consciences forces qui y sont à l’œuvre.
Des figures spirituelles moindres dans le sens où elles semblent moins impliquer une conscience force peuvent nous donner un enseignement pour découvrir en nous l'unique conscience et nous apprendre à nous y maintenir. L'enseignant ne serait qu'un transmetteur patient de son enseignement appelé à devenir nôtre. On ne serait plus dans l'illusion que tout se résume à une grande figure spirituelle dont nous serons jamais à la hauteur. On ne croirait plus qu'il faut coller à cette figure comme des mouches à l'odeur pour recevoir la pitance. Une petite flamme spirituelle serait plus à même d'éveiller en nous le feu endormi mais qui couve là intact dès qu'on se tourne vers lui.
Évidemment certaines grandes figures spirituelles se montrent capables d'adapter leur grande flamme pour rallumer en l'autre le feu qui couve. Elles communiquent ce feu faisant autour d'elles de nombreuses petites flammes.
Dans tous les cas c'est un même feu, une même lumière. Celui qui s'est éveillé a rarement dès le départ une grande flamme qui transparaît à travers lui, même si lui intérieurement le ressent comme tel tellement le décalage est grand entre la présence et l'absence de ce feu intérieur dans la vie de la personne. D'ailleurs la flamme qui apparaît en l'autre à l'occasion de telle rencontre n'est pas forcément non plus celle qui est ressentie par la personne rencontrée.
La grande flamme révèle une lumière subtile mais découvrir la conscience ou la vacuité revient à devenir sensible à la lumière de fond de la lumière subtile qui est tout autant celle de la lumière de la perception (et pas seulement la lumière de la lumière solaire) et celle de la lumière intellectuelle.
On peut adapter le vocabulaire pour intégrer la perspective des bouddhistes évitant de spécifier Cela sous la forme d'un champ unifié et unique et aussi considérer la discontinuité et l'impermanence de quoi que ce soit. Le multiple se fait alors interdépendance mais sans unité, sans clôture, sans limite ; ce multiple brisant vraiment le champ de représentation de la conscience. Voir un libéré vivant n'est donc pas voir sa vraie nature. La perfection de l'éveil d'un autre ne change rien à la problématique essentiel de son propre éveil à ce qui relativisera notre identité personnelle.
Le feu de l'éveil s'immiscera dans la personnalité mais la personnalité qui par certains aspects s'est bâtie comme un pare-feu peut retarder l'irréversibilité de l'embrasement. Elle peut même l'interrompre et le réinterpréter comme une illusion, une grande illusion. Ce processus qui accompagne le retour à la source et qui peut l'interrompre comme le faciliter et l'installer au cœur même de "l'individualité" met certainement en jeu ce qui est remarquable dans les grandes figures spirituelles.
A ce niveau il ne faudrait confondre la nécessaire valorisation de la transmission de la flamme sur toutes les questions de qualité de résonance de la flamme spirituelle avec la question d'un processus de transformation de l'individualité qui saute aux yeux dans les cas des grandes figures spirituelles. Certains manqueront la transmission spirituelle en ne considérant que le processus de transformation extraordinaire qui caractérise les grandes figures spirituelles et d'autres manqueront l'importance du processus de transformation se satisfaisant de la libération à laquelle mène la transmission.
Une qualité nette des grandes figures spirituelles est la joie débordante qui émane y compris silencieusement sous la forme d'un amour inconditionnel et non préférentiel qui s'adresse à tous ceux rencontrées. Il y a une descente dans le cœur, une découverte de la lumière psychique de l'âme, d'une lumière bodhisattvique, etc qui seule assure l'embrasement de la personnalité.
Ce schéma est de Douglas Harding parlant du triple ou quadruple sentier. |
Ceux qui invoquent la libération amoindrissent souvent le quadruple sentier qui commence en fait seulement vraiment à partir du moment de cette découverte. L'individu se met sans effort dans cette présence quand la transmission la lui a découverte. Mais il s'y maintient par un effort : il lui faut une foi dans l'action de cette présence si pauvre et discrète qui enrichira sa compréhension et dont la compréhension fera croître l'intensité et l'aspiration, il lui faut un amour de cette présence et compter sur des élans est insuffisant ; il lui faut en cerner la beauté dont le rayonnement est sans cesse variable pour être un amant toujours sur les traces de son amour, il lui faut un sens de l'action dans la lumière du non agir agissant de la présence.
C'est dans cette perspective et le prolongement de ce sentier infini que s'inscrirait le supramental de Sri Aurobindo que la non dualité moque souvent comme une figure de changement alors qu'une fois la lumière de toutes lumières connue tout est parfait selon elle. Pour vraiment préciser l'enjeu pratique dont il est question, lisons Niranjan Guha Roy sur ce sujet :
Différence entre la conscience mentale et supramentale
Niranjan Guha Roy – France- 2002
Différence entre la conscience mentale et supramentale
Il faut bien noter la différence fondamentale entre la spiritualité
la plus haute traditionnelle et la conscience supramentale. La plus
haute conscience mentale spirituelle, ce que Sri Aurobindo appelle “
over-mind ” appartient à l’hémisphère inférieur et la conscience
supramentale appartient à l’hémisphère supérieur. L’over-mind peut
apporter une grande paix dans le mental, vital et le corps dans un état
de méditation, de concentration profonde et surtout dans l’immobilité et
l’inaction. L’over-mind ne transforme pas, par exemple les instincts et
les passions de l’animal dans l’homme mais agit comme une drogue
puissante, un tranquillisant efficace pas du tout nuisible au corps.
L’over-mind ne transforme ni l’obscurité du mental totalement ni les
désirs, les instincts et les passions du vital, ni les appétits naturels
animaux du corps. Tout est tranquillisé mais pas transformé.
La Conscience Supramentale au contraire transforme radicalement tout ce
qui est faux, obscur, non divin dans l’être. Quand cette conscience de
vérité agit en pleine puissance, elle est trop forte pour la conscience
et le corps faibles et limités de l’homme. C’est pour cette raison que
la transformation divine est longue, dangereuse et difficile à
l’extrême, car même si l’âme aspire à la transformation divine, il y a
beaucoup d’éléments dans l’homme qui refusent obstinément toute
transformation. La Conscience Supramentale doit doser sa puissance pour
ne pas griller l’instrument. Elle agit doucement, avec patience et
précaution. C’est pour cette raison que la transformation divine est
très longue, difficile. A moins que l’être psychique ne soit bien
développé, le voyage est prématuré. Mais ce yoga n’est pas une longue
suite d’épreuves mais plutôt à chaque pas cette ascension vers la vérité
devient une aventure, un défi exaltant. A chaque pas la force pour
progresser augmente, la vision devient plus claire, la Présence divine
plus constante et l’aide divine grandissante. Cela devient comme une
conquête, une victoire merveilleuse. L’impossible est réalisé à chaque
pas.
Les grandes figures spirituelles elles-mêmes brillent certainement de l'imperfection humaine. Ainsi certains chercheurs spirituels authentiques ont-ils certainement était sensibles à ces défauts que tant de lumière ne parvenait guère à amoindrir alors que pour ces défauts étaient un obstacle à cette lumière. Le supramental esquisse la possibilité que notre humanité par son enracinement dans l'inconscient animal et matériel soit seulement une étape dans l'évolution de la manifestation de l'individualisation divine. La plupart des individus ayant une expérience spirituelle voire des réalisations indéniables n'entendent pas cette différence. Certaines traditions estiment que c'est le corps animal et matériel qui fait problème, ils affirment que c'est une pure illusion ou qu'un corps de lumière est nécessaire pour échapper à leurs défauts : ils développent leur sens intérieur des réalités intelligibles ou imaginales. D'autres ignorant la décrépitude, confiant la douleur aux médecins et envoyant balader toutes les finitudes devant leur vacuité continuent de vivre comme si de rien n'était tout en célébrant et partageant leur libération sans se demander vraiment si la conscience ne pourrait pas être plus consciente en chacun de ses phénomènes. La transformation supramentale est l'éventuelle émergence d'une conscience au cœur même de notre animalité et matérialité physique, d'une conscience plus consciente de son évolution matérielle et biologique : ceci n'a jamais été réalisé encore. Si cette hypothèse est juste : les biotechnologies et les nanotechnologies d'une réalité augmentée transhumaniste ou la constitution d'un corps de lumière intelligible, d'une alchimie recherchant une formule d'immortalité de l'ordre de l'intelligible sont des fuites en avant.
Pour nous, qui n'avons même pas opéré parfaitement la descente dans le cœur, qui avons une pratique guère consciente du triple ou quadruple sentier, cette aspiration supramentale peut sembler farfelue mais elle a le mérite de nous faire admettre que connaître la lumière (l'Être) ne signifie pas connaître le chemin de transformation (le Devenir de l'Être). Hiérarchiser les figures spirituelles ne sert à rien : c'est à nous de faire le chemin et à nous seuls, chaque Devenir de l'Être a ses caractères incomparables, sa singularité et cela même s'il touche toute l'humanité par sa familiarité. Nos aînés et nos prédécesseurs sur le chemin ont certainement des réponses et peuvent nous éclairer sur certains points mais certains nœuds intérieurs dans le processus sont éminemment personnels avant d'être une facilitation universelle.
Celui qui vient boire à la source est la plupart du temps un pêcheur qui peut encore vendre son maître intérieur... mais l'eau est si bonne... le maître si doux...
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire