Jaurès lecteur de Rousseau explicite les liens entre une pensée politique juste et une spiritualité liée à la grande nature.
Sur le lien manifeste de Jaurès avec une exploration spirituelle de l'intériorité, on lira cet extrait sur le site Eveil et philosophie.
Jean Jaurès écrit dans Les idées sociales et politiques de Jean Jacques Rousseau :
C’est ainsi que Jean-Jacques a été réformateur, révolutionnaire malgré lui, et que sa pensée a eu toute sa puissance. En effet, il n’apportait pas au monde les combinaisons arbitraires d’un cerveau inquiet, mais des conclusions naturelles, pleines de vie intérieure, très riches, interprétées par un esprit puissant. Lorsque les esprits entraient dans ses doctrines, qu’ils étaient entraînés par lui, au moment où ils pouvaient hésiter, résister, ils sentaient tout à coup que ses doctrines avaient pour arrière-fond la nature immense, joyeuse et libre. Le point de départ des idées sociales de Rousseau était l’amour du monde naturel ; il arrivait à une source délicieuse, cachée sous bois. En communiquant aux hommes ses joies, il communiquait sa doctrine. Il semblait qu’on ne pût revenir à la nature que par ses études. Danton disait dans sa prison, après les agitations furieuses de sa vie révolutionnaire : « Que je voudrais voir des arbres ! ». Il y a là une contradiction bizarre que les épris des œuvres de Jean-Jacques n’avaient pas à redouter. Partout dans la doctrine du maître, circule la sève, pénètrent les senteurs des grands bois. Et les hommes qui retrouvaient à la fois la nature et la liberté, s’éprenaient pour l’âme que leur donnait cette révélation, de cette sorte d’adoration qui fut, dans la société vieillie, une grande force de transformation.Ce texte est à rapprocher de cet extrait de la thèse de Jean Jaurès, De la réalité du monde sensible :
Bilan provisoire :« La pensée, d’un mouvement naturel et en dehors même de toute règle et de toute méthode, s’élève, par degrés, des objets les plus particuliers aux conceptions les plus générales. Il y a d’un degré à l’autre une certaine continuité logique, parce que les idées superposées s’enveloppent partiellement les unes les autres, et que l’esprit retrouve, dans les conceptions plus générales, quelques-uns des éléments compris dans les idées moins générales, ou les objets particuliers. Mais, au point de vue purement logique, ce mouvement de l’esprit n’est en quelque sorte qu’un appauvrissement continu, puisqu'il laisse en chemin toutes les déterminations, et qu’arrivé au bout, il n’a retenu qu’une idée, la plus générale, mais aussi, au point de vue logique, la plus vide de toutes, l’idée d’être. Comment se fait-il donc que dans ce mouvement de contemplation l’esprit sente en lui-même, non pas une détresse croissante, mais, au contraire, un enrichissement de joie et d’orgueil ? Comment se fait-il que Platon, ayant longuement familiarisé son âme avec les objets bons et beaux, s’élève, avec un enthousiasme grandissant, jusqu’à cette idée de l’être, qui lui apparaît si belle et si pleine, qu’on se demande si ce n’est pas en elle que l’idée du bon resplendit le mieux ? Cet ignorant de Jean-Jacques s’abandonnait lui aussi, dans les champs et sous les bois, à l’essor spontané de la pensée platonicienne ; il avait fait de l’histoire naturelle tout le jour, il avait ramassé des échantillons minéraux, classé des plantes, étudié des insectes, et peu à peu, le soir venu, il méditait sur tous les rapports qui enchaînaient tous ces êtres, puis tous les êtres ; et sa pensée s’élargissait bien au-delà des vastes horizons du soir jusqu’à l’idée de l’être universel, en qui elle résumait et agrandissait tout ensemble les joies éparses de sa journée. Comment cela est-il possible ? Comment la pensée, en paraissant se dépouiller, s’enrichit-elle en effet ? C’est que l’idée d’être n’est pas un élément juxtaposé aux choses qu’on en isole par dissection ou analyse ; elle est au fond des choses, ou, plutôt, elle en est le fond. Ni l’âme, ni l’esprit, ni les sens, ne peuvent rien toucher sans toucher à elle. En savourant les parfums, les clartés, les formes, les joies intimes, nous nous imprégnons d’être par toutes nos puissances de connaître et de sentir. Il y a, de l’être à ses manifestations changeantes, une merveilleuse réciprocité de service. Si nous ne sentions pas l’être, au fond même des choses les plus subtiles et les plus fuyantes, notre âme se dissoudrait dans la vanité et l’incohérence de ses joies. Il y a, jusque dans la subtilité du rayon qui se joue, quelque chose de résistant, et si les couleurs et les sons peuvent se compléter dans notre âme par d’étranges et mystérieuses harmonies, c’est que les sons et les couleurs mêlent, dans les profondeurs de l’être, leurs plus secrètes vibrations. Mais, pendant que d’un côté l’être donne ainsi, à toutes les manifestations sensibles, ce commencement d’unité qui est nécessaire aux choses les plus libres, et cette solidité qui est nécessaire aux plus exquises, les manifestations sensibles, à leur tour, communiquent à l’être un ébranlement mystérieux qui leur survit. Rien de précis ne subsiste dans mon âme des belles formes que j’ai admirées, des parfums que j’ai respirés, des splendeurs dont je me suis enivré ; et pourtant, lorsque mon âme, toute vibrante de ces émotions disparues, s’élève jusqu’à l’idée de l’être universel, elle y porte, elle y répand à son insu les frissons multiples qui l’ont traversée ; voilà comment l’idée de l’être n’est point vaine : c’est que, s’étant répandue en toutes choses, dans les souffles, dans les rayons, dans les parfums, dans les formes, dans les admirations et les naïvetés du cœur, elle a gardé quelque chose de toute chose ; ses profondeurs vagues sont traversées de souffles que l’oreille n’entend pas, de clartés que l’œil ne voit pas, d’élans et de rêves que l’âme ne démêle pas. Toutes les forces du monde et de l’âme sont ainsi dans l’être, mais obscurément et n’ayant plus d’autre forme que celle qui est marquée, pour ainsi dire, par leur plus secrète palpitation. Quand la mer a débordé doucement sur une plage odorante, elle ramène et emporte, non pas les herbes et les fleurs, mais les parfums, et elle roule ces parfums subtils dans son étendue immense. Ainsi fait l’être qui recueille, dans sa plénitude mouvante et vague, toutes les richesses choisies du monde et de l’âme. Dirons-nous donc, maintenant, qu’il est une abstraction et non pas une réalité ? » (De la réalité du monde sensible, chapitre VI)
Cette tradition minoritaire qui visiblement s'enracine en France dans les écrits de Jean Jacques Rousseau passe aussi par un Pierre Leroux dont Jaurès a été un lecteur attentif.
Nicolas Weill écrit en critiquant un livre de Vincent Peillon sur Pierre Leroux et le socialisme républicain qu'il y a là de grands intérêts pour la gauche souvent antireligieuse et prompte à s'en prendre aux minorités spirituelles (cf. le rôle du PS dans la constitution de la Miviludes dont l'action à l'égard des minorités spirituelles toujours jugées d'ors et déjà sectaires par elle a été contestée y compris devant la justice et ici) :
En revanche, il est une actualité de Leroux particulièrement forte en ces temps de laïcité militante. Celle d'un moderne paradoxal qui s'efforce de réconcilier le socialisme républicain avec l'idée religieuse. Si, pour lui, la religion est avant tout "religion de l'humanité", l'ambition du socialisme républicain n'en reste pas moins d'accomplir ici bas le programme que le christianisme a failli à réaliser. Cette vision, quoique séculière, n'en aboutit pas moins à une véritable théologie laïque. En cela, suggère M. Peillon, auteur chez Grasset d'un Jean Jaurès et la religion du socialisme (2000), elle pourrait porter les prémices d'une laïcité plus conciliante et plus respectueuse du pluralisme.
Affleure donc ici une tradition française liant spiritualité et politique qui a été et reste largement minorée. En fait Jaurès n'a pu face au déferlement matérialiste marxiste expliciter clairement ses liens de sa pensée politique avec la spiritualité. Les lecteurs de Jaurès qu'ils soient de droite (cf. la reprise de certaines idées par les discoureurs de Sarkozy) ou de gauche (cf. Vincent Peillon) voient bien quelque chose de non matérialiste et de plutôt spiritualiste dans le républicanisme socialiste de Jaurès mais ils ne voient jamais clairement de quoi il est question faute de bien incarner comme Jaurès lui en était capable l'expérience de générosité liée à cette immensité intérieure (qu'un lecteur averti comme un Jean Michel Le Lannou sait le faire).
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