Première découverte, il y a le perçu et le percevant. Il ne s'agit pas d'une simple posture intérieure qui consiste à mettre son ego en retrait pour le détacher de ce qui se produit dans la conscience. Il s'agit de constater que tout est perçu par le percevant, l'ego y compris. Un pur témoin impersonnel semble alors réalisé. Mais ce n'est qu'un premier pas que le retour à ce Témoin. Il reste une dualité entre le Témoin et ce qui apparaît devant lui. Il n'y a pas encore d'unité de cette dualité. Une insatisfaction demeure en place dans le creux de ce dont le Témoin est témoin. A moins que l'ego magnifié par cette existence du Témoin ne fasse preuve de complaisance envers lui-même et ne se réfugie dès qu'il est pris en flagrant délit dans la tanière du Témoin pour éviter la souffrance.
Les spiritualités de la non-dualité traditionnelles les plus élaborées estiment que quand Cela est réalisé alors la vide et la forme s'embrassent dans l'unité joyeuse que Cela EST. Cela se révèle alors amour inconditionnel et non préférentiel : l'égocentrisme est dès lors aboli . L'insatisfaction quand Cela est réalisé disparaîtrait : une plénitude grandirait du fait de la dissolution immanquable de l'ego qui suit la disparition de son principe fondamental d'existence qu'est l'égocentrisme.
L'aventure de la Conscience proposée par la non-dualité traditionnelle me semble insatisfaisante. Le vide et la forme s'embrassent-ils seulement dans l'Être de Cela ? L'auto-satisfaction de la source de ce qui Est est-elle la réalisation la plus profonde de Cela ?
Socrate décrit Eros comme l'enfant de la pauvreté (Penia)et de la richesse (Poros). En termes spirituels, afin d'éviter les confusions, on devrait dire que Eros est l'enfant paradoxal du besoin d'Être et de la plénitude d'Être. Le daimon érotique de Socrate, le génie de son âme en quelque sorte, si il correspond non à une projection illusoire mais à une dimension profonde de Cela, présente une option à l'insatisfaction du chercheur spirituel qui s'ignore et à la satisfaction inhérente à une forme de réalisation spirituelle.
Le platonicien envisage que la pleine satisfaction sera recouverte quand ce démon intérieur qu'est l'amour du beau aura trouvé la beauté transcendante source de l'Être et de la Conscience (l'intelligence ?). L'aventure de la Conscience auquel pousse ce démon intérieur qu'est l'amour du beau s'achèverait alors réalisant que la source transcendante engendrerait l'âme.
Le stoïcien est aussi un disciple de Socrate et il n'aura pas la même vision de ce démon qui nous pousse vers la beauté et la connaissance de soi : un stoïcien est plus sensible à l'harmonie du tout et à sa découverte en nous. Notre âme serait l'individualisation du tout. Plus précisément si on suit le stoïcien, le tout engendre une partie au travers de laquelle le tout peut prendre conscience de soi.
A vrai dire, le démon de Socrate ne se caractérise pas tant par la découverte d'une beauté transcendante ou d'une harmonie cosmique qu'à la découverte de notre véritable âme. Il œuvre à ce que chacun devienne davantage ce qu'il est, à ce qu'il accouche de sa véritable et authentique dynamique dans l'aventure de la Conscience. La pluralité d'options spirituelles et philosophiques qu'ont développées ses disciples n'en est-elle pas la preuve ?
Cette interprétation de l'aventure de la conscience socratique est celle que Sri Aurobindo nous suggère dans la Vie Divine, livre IV.
Ce paradoxe de plénitude et de besoin d'Être peut nous habiter au cœur même du mouvement immobile où vide et formes s'embrassent. Ce paradoxe érotique tranche avec toute forme de complaisance de notre petit ego "spirituel" qui demeure.
L'amour du beau que cet Eros incarne n'est peut-être pas seulement le retour à la source transcendante de ce qui Est ou la réalisation de son harmonie cosmique, mais il est aussi l'appel amoureux d'une individualisation de la Conscience à plus de beauté au cœur même de la manifestation de la Conscience. C'est comme si la transcendance elle-même s'ancrait individualisée dans sa manifestation pour y faire grandir le besoin de s'y manifester en tout point. Ce besoin d'Être est comme le besoin de Cela de se délecter de son amour et de sa joie en tout point de sa manifestation sans un espace délaissé.
Ce besoin d'Être est le besoin de Beauté, d'harmonie et de diversification individualisée de Cela s'intensifiant à l'infini. C'est la soif d'évoluer propre à l'auto-création de Cela qui n'a rien de linéaire puisque ces dimensions se recoupent, se rejettent, se surmontent, s'intègrent sans cesse dans de nouvelles formes, de nouvelles harmonies, de nouvelles originalités et des éclats inédits de la transcendance.
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