Saint Marc 4, 21-25
Jésus disait encore à ses disciples cette parabole : « Est-ce que la lampe vient pour être mise sous le boisseau ou sous le lit ? N’est-ce pas pour être mise sur le lampadaire ? Car rien n’est caché, sinon pour être manifesté ; rien n’a été gardé secret, sinon pour venir au grand jour. Si quelqu’un a des oreilles pour entendre, qu’il entende ! » Il leur disait encore : « Faites attention à ce que vous entendez ! La mesure dont vous vous servez servira aussi pour vous, et vous aurez encore plus. Car celui qui a recevra encore ; mais celui qui n’a rien se fera enlever même ce qu’il a. »
Commentaire :
Quand la lumière de la conscience pure a été vue, elle est encore comme une lampe encore tenue par l'ego. Autrement dit lors de son réveil, la conscience pure dépend fortement de l'ego qui la porte. Celui-ci peut encore cacher cette lumière parce qu'il s'imagine qu'elle lui appartient. Il a peur aussi de détenir un tel trésor et n'ose pas l'exposer aux autres. Il craint qu'on s'en prenne à lui car il sait lui-même combien cette lumière est aveuglante et insupportable pour ses zones d'ombre. La timidité de l'ego qui veut cacher sa véritable nature qu'il a vu se révéler est une forme d'orgueil. Il veut manipuler et porter cette lumière selon son bon vouloir : le porteur de lumière qu'il est est au sens strict un Lucifer (Lux=Lumière; ferre=porter). Celui qui s'éveille ne doit rendre discret son éveil. Il ne s'agit pas d'aller clamer par des mots qu'il est là mais de le laisser briller en présence de soi et des autres comme il le souhaite. Car il y a une première forme d'étouffement de l'éveil qui a plutôt lieu en lien à notre intimité et une autre forme qui a plutôt lieu en lien à la présence des autres. Cette seconde forme n'est pas exactement luciférienne, elle est plutôt liée à un manque de foi en la lumière divine vis-à-vis du poids du jugement social. Car il faut bien en prendre conscience nous sommes dominés par l'intériorisation d'un monde de jugements que nous subissons plus encore que nous y participons.
L'ego doit donc laisser cette lumière sur le lampadaire. Cette lumière ne lui appartient pas: sur le lampadaire elle brille pour tous, elle commence à faire son œuvre à sa façon sans que l'ego n'y puisse rien. Car à vrai dire le geste même de poser la lampe sur le lampadaire ne vient pas de l'ego mais d'un principe de révélation du divin et de la vérité dans l'univers. L'ego devra assumer que cette lumière brillant à travers lui heurte le jugement des autres, il devra accepter de se libérer de ce monde du jugement quitte à en subir des tribulations. Il voudra laisser ce témoin lumineux sur le lampadaire briller comme il l'entend sur le monde. Il sera prêt à offrir sa vie pour cette lumière.
Où est ce lampadaire ? C'est la coupe du cœur. La lampe se tiendra en haut tandis que l'ego se laissera aller en bas de cette coupe. Alors il sera immanquablement éclairé dans ses ombres et purifié.
Ici le texte change passant du sens de la vue à celui de l'audition. Est-ce un collage maladroit du rédacteur ou y a-t-il un enseignement ? Supposons qu'il s'agisse du même enseignement. C'est la lumière présente dans le Christ et qui s'exprime à travers ses paroles qu'il s'agit de reconnaître par l'audition. Si je ne suis pas pure écoute de ces paroles c'est qu'il y a soit une distraction, soit une interprétation soit voire un jugement qui s'interpose et empêche la pure écoute. L'attention véritable est donc une pure écoute dans le silence. A vrai dire le verbe et la lumière renvoient à une seule conscience dans laquelle tous les apports des sens apparaissent. L'attention est la présence à ce qui forme la condition de possibilité de l'apparition des formes existantes : lumière et verbe.
Ceci nous renvoie à une forme d'intensification de la présence de la lumière par l'écoute du verbe et d'une meilleure écoute du verbe par la concentration de la lumière.
Pour nous lecteur, le Christ propose l'expérience de l'écoute du verbe, de la lectio divina plus accessible que la lumière. Mais il s'agit bien de découvrir un point de passage de l'écoute du verbe à la prise de conscience de la lumière invisible pour l'instant mais qui brille en nous.
"La mesure dont vous vous servirait servira pour vous". Ici il n'est pas seulement question de nos critères de jugement qui serviraient à nous juger. D'ailleurs nous avons plutôt suggéré qu'écouter purement consiste à ne plus juger mais à se laisser imprégner et agir à même le verbe. Dans l'écoute pure, il n'y a pas de distance entre ce qui est dit et ce qui écoute. Ce qui est dit se fait écouter sans effort si je ne perturbe pas l'écoute. Voilà donc la mesure : laisser le verbe se faire écouter sans perturber cette écoute puisque il n'y a que par notre absence de perturbation que nous pouvons y contribuer. Appliquons-nous cette mesure dans le domaine de la vision : faisons le pari de nous laisser nous voir par la lumière divine sans la perturber. Nous passons dès lors de la lectio divina à l'oraison.
Mettons nous devant la transparence invisible dans laquelle nous apparaissons comme une pensée-sentiment de nous-même. Renonçons à la perturber en s'agitant comme pensée-sentiment se pensant et se sentant comme nous avons appris à écouter en silence sans rien commenter à côté ou du moins en relativisant le commentaire. Faisant le pari que la lumière se tient cachée dans cette transparence où d'habitude nous faisons notre lit en la recouvrant de notre pensée-sentiment. Laissons en cette transparence sur le lampadaire se révéler la lumière divine. Nous verrons d'abord qu'elle se reflète sur nous. Elle se révélera à même la pensée-sentiment de nous-même comme l'écoute se faisait à même le verbe sans distance. Cette Lumière est de la joie débordante. Comme si la coupe de notre esprit resplendissait dans la scorie déposée tout en bas que nous sommes.